Cette semaine chez les Surligneurs : L. Wauquiez peut-il supprimer les autorités indépendantes ?

Publié le 02/06/2023

Laurent Wauquiez (LR) estime nécessaire la suppression de la quasi-totalité des autorités administratives indépendantes, ou AAI, du type de la CNIL. Seulement est-ce possible ? Pas si sûr, répondent les spécialistes du legal checking. Cette semaine, ils analysent également la position d’Olivier Véran, porte-parole du gouvernement,  sur la proposition de loi LIOT ainsi que la menace d’une interdiction de Twitter en Europe émise par Jean-Noël Barrot, ministre du numérique.  

Cette semaine chez les Surligneurs : L. Wauquiez peut-il supprimer les autorités indépendantes ?

Laurent Wauquiez veut supprimer les autorités indépendantes comme l’Arcom et la CNIL, pour que la « volonté politique s’applique »

Selon Laurent Wauquiez, la « machine française est bloquée, car les pilotes ont perdu les commandes », il estime nécessaire la suppression de la « quasi-totalité » des « autorités indépendantes », qui assurent des missions de régulation dans certains secteurs, qu’il qualifie de « monstre juridique ». Il prend exemple de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Il veut que seule « la volonté politique s’applique » et non « l’administration qui met en œuvre sa propre logique ». Cette position n’est toutefois pas compatible avec le droit de l’Union européenne.

Les autorités administratives indépendantes (AAI) sont des institutions de l’État créées ou reconnues directement par la loi, qui assurent des missions de contrôle et de protection dans des secteurs divers en disposant à cette fin d’un pouvoir d’avis ou de sanction. Le Gouvernement ne peut s’immiscer dans leurs actions ou les contrôler : elles sont soustraites à la hiérarchie classique parce qu’elles sont amenées à prendre des décisions dans des secteurs où l’État est souvent juge et partie.

Laurent Wauquiez ne liste pas précisément les AAI qu’il supprimerait ou épargnerait. Il n’en demeure pas moins que la suppression de la CNIL et de l’Arcom, qu’il cite comme exemples, serait contraire au droit de l’Union européenne.

Concernant la CNIL, elle est imposée par le Règlement Général de Protection des Données (RGPD) qui énonce que « chaque État membre prévoit qu’une ou plusieurs autorités publiques indépendantes sont chargées de surveiller l’application du présent règlement« . Le droit de l’Union a imposé à la France de créer d’autres autorités indépendantes dans des secteurs différents : l’Arcom (audiovisuel), l’ART (transports), la CRE (énergie), l’ADLC (concurrence)… Ces AAI sont généralement dotées de nombreux pouvoirs d’enquête, d’injonction et de sanction contre les opérateurs, d’où l’importance de leur indépendance.

Laurent Wauquiez a donc précisément choisi comme exemples des AAI que la France ne peut supprimer sans aller à l’encontre du droit de l’UE ou sans obtenir une modification de celui-ci. Revenir sur cette évolution ne serait pas chose facile : juridiquement, c’est envisageable, mais cela implique de revenir sur un modèle économique basé sur la libre concurrence et le pluralisme.

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Olivier Véran : « l’abrogation de la réforme des retraites n’est pas constitutionnelle »

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, réagit à la proposition de loi du groupe LIOT à l’Assemblée nationale abrogeant la réforme des retraites. Il déclare qu’elle est contraire à l’article 40 de la Constitution qui fixe la recevabilité financière d’une proposition de loi. Mais cela dépend de l‘interprétation que l’on peut en faire.

L’article 40 de la Constitution prévoit que les propositions de lois ne sont pas recevables lorsque “leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique”. Ainsi, lorsqu’une proposition de loi est déposée, sa recevabilité financière est examinée. Selon l’article 89 du règlement intérieur de l’assemblée, le ou la Présidente doit refuser le dépôt si la proposition méconnait l’article 40, après consultation du président de la Commission des finances en cas de doute. L’irrecevabilité peut être soulevée à n’importe quel moment de la procédure législative.

Toutefois, une proposition de loi réduisant les ressources peut être recevable, si elle prévoit une compensation qui rééquilibre (Conseil constitutionnel, n°76-64 DC) mais à condition “que la ressource destinée à compenser la diminution d’une ressource publique soit réelle, qu’elle bénéficie aux mêmes collectivités ou organismes que ceux au profit desquels est perçue la ressource qui fait l’objet d’une diminution et que la compensation soit immédiate”.

Cet examen au cas par cas rend hasardeuse toute prévision quant à la décision que le Conseil constitutionnel prendrait si la proposition de loi LIOT devait être votée.

Tant qu’une proposition n’a pas été déclarée irrecevable par le bureau de l’Assemblée nationale ou sa Présidente, elle peut être discutée et aller jusqu’au vote définitif. Cela signifie que la Présidente de l’Assemblée a validé le dépôt de la proposition, et ne souhaite pas invoquer l’article 40 en cours de procédure. Pour y faire échec, le gouvernement ou un député du parti présidentiel doit lui-même soulever l’irrecevabilité et saisir la Commission des finances de l’Assemblée, ce qui a d’ailleurs été fait. Mais le président de cette commission est ouvertement opposé à la réforme des retraites, il est donc peu probable qu’il déclare la proposition de loi irrecevable.

De plus, la proposition de loi du groupe LIOT prévoit de compenser la perte des ressources en majorant la taxe sur les tabacs : il faudra déterminer dans quelle mesure cette compensation est réelle, et rend le texte conforme à la Constitution…

Si toutefois la proposition de loi LIOT était adoptée par le Parlement, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi avant la promulgation par le Président de la République. Il lui appartiendrait alors de statuer sur la conformité du texte à la Constitution, en examinant entre autres sa recevabilité financière. Si le texte est contraire à l’article 40 de la Constitution, il sera censuré et n’entrera pas en vigueur.

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Lutte contre la désinformation : pour le ministre du Numérique « Twitter sera banni de l’Union européenne s’il ne se conforme pas à nos règles »

Sur France Info le 29 mai 2023, le ministre du Numérique, Jean-Noël Barrot, est revenu sur le retrait de Twitter du Code de bonnes pratiques contre la désinformation, un texte de la Commission européenne signé par plusieurs plateformes et organisations de lutte contre la désinformation. Le ministre a affirmé que si Twitter ne se conformait pas aux règles européennes de lutte contre la désinformation,  il serait « banni de l’Union européenne ».

Il est vrai que DSA (pour Digital Services Act), adopté par le Parlement européen et le Conseil le 19 octobre 2022, oblige les grandes plateformes numériques comme Google, TikTok, Facebook ou Twitter, à prendre des mesures efficaces contre la diffusion de contenus illicites comme la haine en ligne, mais aussi contre la diffusion de contenus pouvant avoir un « effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique » (article 34 du DSA), ce qui inclut la désinformation.

Or, la suspension de Twitter ou de toute autre plateforme numérique n’est possible qu’à certaines conditions, précisées à l’article 51 paragraphe 3 du DSA : il faut d’abord avoir épuisé toutes les autres options : injonction de respecter le DSA, imposition d’une amende et d’une astreinte par jour de retard, ou encore de mesures provisoires. Si rien de tout cela ne fonctionne, alors la suspension peut être envisagée.

Mais d’autres conditions s’appliquent : l’article 51 dit aussi qu’il faut que la désinformation constitue un « préjudice grave, et que cette infraction constitue une infraction pénale impliquant une menace pour la vie ou la sécurité des personnes ». On parle donc ici de désinformation d’une gravité particulière, pouvant relever d’une qualification pénale, ce qui n’est pas commun.

Mais là encore, le ministre du Numérique induit les citoyens en erreur : ce n’est pas le pouvoir exécutif qui décide de la suspension, mais la justice irlandaise, où Twitter et bien d’autres ont leur siège. Il y a donc à parier que la suspension – qui ne peut être temporaire – n’aura pas lieu aussi facilement que semble le dire le ministre du Numérique.

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