Cette semaine chez les Surligneurs : Le cas inédit d’Éric Dupond-Moretti devant la CJR

Publié le 28/10/2022

Éric Dupond-Moretti appelé à nommer le procureur général qui sera en charge des poursuites contre lui devant la Cour de justice de la République ? Le scénario est inédit. Les Surligneurs, spécialistes de legal checking, nous expliquent les raisons de cette situation. Cette semaine, ils reviennent aussi sur le droit à l’avortement, la liberté de parole à l’assemblée, le droit pour les policiers de faire usage de leurs armes et enfin la possibilité d’un « blocus maritime » proposé par Giorgia Meloni. 

Cette semaine chez les Surligneurs : Le cas inédit d'Éric Dupond-Moretti devant la CJR

Les enjeux de la nomination du nouveau Procureur général sur proposition d’Éric Dupond-Moretti, actuellement mis en examen devant la Cour de justice de la République

Situation inédite sous la V° République, le ministre de la Justice est en mesure, tout à fait légalement, de proposer le nom du magistrat qui sera chargé de mener l’accusation contre lui-même devant la Cour de justice de la République (CJR). En effet, la loi du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit que les magistrats du parquet, dont fait partie le procureur général près la CJR, sont nommés par le président de la République, sur proposition du Garde des Sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature. Or, l’actuel procureur général près la CJR, François Molins, part à la retraite en juin 2023. Son successeur sera donc nommé par le président de la République sur proposition du garde des Sceaux E. Dupond-Moretti, précisément poursuivi devant la CJR au motif qu’il aurait usé de l’influence de sa fonction pour satisfaire des intérêts personnels. Il a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts le 16 juillet 2021, à la suite de deux plaintes de syndicats de magistrats. Mieux, l’actuel garde des Sceaux aura, comme le prévoit la loi, autorité sur son propre accusateur. La loi de 1958 prévoit ce principe de subordination hiérarchique des magistrats du parquet au garde des Sceaux.

Bien sûr, il faut relativiser. D’abord, le Conseil supérieur de la magistrature doit se prononcer. Ensuite, le ministre de la Justice ne peut plus adresser d’instructions d’ordre individuel aux magistrats du parquet. La subordination des magistrats du parquet au ministre de la Justice avait été très critiquée au regard du principe d’indépendance de l’autorité judiciaire. Mais le Conseil constitutionnel, en 2017, jugea que cette subordination ne méconnaissait aucun principe garanti par la Constitution car l’ingérence de l’exécutif était tempérée par le fait qu’il ne pouvait adresser aucune instruction dans les affaires individuelles (comme c’est le cas de l’affaire Dupond-Moretti). De plus, ajouta le Conseil constitutionnel, les magistrats du parquet bénéficient en tout état de cause du principe de liberté de parole à l’audience, et sont soumis au principe d’impartialité dans l’exercice de l’action publique, ce qui garantit leur indépendance.

Une possibilité pour remédier à cette situation problématique serait que le nom du futur procureur général soit proposé par Elisabeth Borne, Première ministre, pour transmission au président de la République. Ce dispositif de déport aurait le mérite d’éviter tout conflit d’intérêts mais il n’est, aujourd’hui, pas prévu par les textes. Jean Castex avait pris un décret en 2020 interdisant à Éric Dupond-Moretti, nouvellement nommé ministre de la Justice, d’intervenir dans certaines affaires mettant en cause son ancien cabinet. Mais ce décret n’est pas applicable au présent problème, qui reste inédit et sans solution légale.

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Selon la commission des lois du Sénat, l’inscription d’un droit à l’avortement et à la contraception dans la Constitution « n’est pas justifiée par la situation rencontrée dans notre pays »

La commission des lois du Sénat a rejeté ce mercredi 12 octobre la proposition d’inscrire le droit à l’IVG et à la contraception dans la Constitution. Une proposition « pas justifiée » selon les sénateurs. Quoiqu’on pense du droit à l’avortement, le problème posé ici ramène simplement à la hiérarchie des normes.

Mélanie Vogel, sénatrice Europe Écologie les verts (EELV), auteure de la proposition d’inscrire dans la Constitution le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la contraception, s’est montrée déçue face à ce que la majorité sénatoriale a qualifié de « démarche purement proclamatoire et symbolique ».

Il reste juridiquement indéniable, cependant, qu’inscrire un droit dans la Constitution revient à créer une sorte de garde-fou, indifférent aux aléas électoraux. Modifier la Constitution est évidemment bien plus difficile que modifier la loi, et la crainte de certains partis politiques est que le droit à l’avortement résultant précisément d’une loi, une autre loi le remette en cause.

Certains événements extérieurs leur donnent raison : de 1956 à 1993, la Pologne avait autorisé l’avortement sous certaines conditions, avant, progressivement, de la réinterdire en 2020. De plus, la Cour suprême des États-Unis a supprimé la protection fédérale du droit à l’avortement en juin 2022.

Pour autant, la majorité au Sénat part du principe que l’IVG et l’accès à la contraception sont des droits désormais acquis. Le juriste s’arrête à ce constat et n’a pas à dire quel droit doit être inscrit dans la Constitution et quel droit n’a pas besoin de l’être.

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Liberté d’expression au Parlement et députés rappelés à l’ordre : “jusqu’où on peut aller trop loin” ?

Plusieurs députés ayant été rappelés à l’ordre pour des propos tenus dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, Marine Le Pen s’est insurgée contre ce qu’elle considère comme une violation de la Constitution.

Quels sont ces propos ? “Lâche” (Alexandre Loubet (RN), à propos de Bruno Le Maire) ; “communautariste” (Frédéric Boccaletti (RN), à propos de Pap Ndiaye). Marine Le Pen a estimé que ces propos ont été tenus dans une enceinte politique, protégée par une liberté d’expression étendue. Le rappel à l’ordre, ou le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal sont deux des quatre sanctions disciplinaires prévues par le Règlement de l’Assemblée nationale (Article 71). Les deux autres sanctions sont l’exclusion temporaire. En raison de la séparation des pouvoirs, ces sanctions ne peuvent être contestées devant un tribunal, sauf devant la Cour européenne des droits de l’Homme : cela été reconnu à la suite d’un recours de députés hongrois opposants au Premier ministre Viktor Orban et dont ils avaient qualifié le parti (le Fidesz) de “voleur, tricheur et menteur”. Par cette décision, la Cour admet des limites à la liberté d’expression des parlementaires, mais à condition que les sanctions soient motivées, nécessaires, impartiales et surtout qu’elles ne constituent pas un moyen de bâillonner les parlementaires.

Notons à cet égard que les députés du Rassemblement national ne sont pas les seuls à avoir été sanctionnés le même jour : Astrid Panosyan-Bouvet (Renaissance), a reçu un rappel à l’ordre pour avoir dit du Rassemblement national qu’il avait un “ADN xénophobe”.

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Quel est le cadre légal d’usage des armes pour les policiers ?

Plusieurs décès liés à des tirs policiers sur des occupants de véhicules depuis le début de l’année 2022 ont déclenché une vague d’indignation et replacé dans le débat public la question des conditions d’usage des armes des policiers. Deux lois ont fait évoluer le cadre légal.

Avant la loi du 3 juin 2016, le Code de la sécurité intérieure renvoyait les policiers au principe de légitime défense inscrit dans le Code pénal. Les gendarmes et les militaires des armées, quant à eux, disposaient déjà d’un cadre d’usage spécifique, en plus du cadre de la légitime défense. La loi de 2016, faisant suite aux attentats terroristes meurtriers de 2015, créa la notion de « périple meurtrier » : en plus des cas de légitime défense, les policiers peuvent neutraliser un individu armé venant de commettre plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre et dont on peut légitimement supposer qu’il se prépare à en commettre d’autres – et ce, alors même que l’individu ne représente pas une menace immédiate (on sort donc du cas de légitime défense). Désormais, le policier, le gendarme, le militaire déployé sur le territoire national ou l’agent des douanes, peuvent faire usage de leur arme dans le but d’empêcher la réitération probable d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives venant d’être commis, et ce sans être pénalement responsable.

La loi du 28 février 2017, également votée dans un contexte sensible (agression violente de policiers, en octobre 2016, à Viry-Châtillon), a étendu une fois de plus le cadre d’usage des armes par les policiers. Le Code de la sécurité intérieure (art. L. 435-1) regroupe désormais les différentes hypothèses possibles : légitime défense, périple meurtrier, ainsi que trois nouvelles circonstances : atteinte à l’intégrité ou à la vie d’autrui ; deux sommations non suivies d’effets ; refus d’obtempérer. Selon certains chercheurs, c’est ce texte, ajouté à un défaut de formation des agents, qui expliqueraient l’augmentation du nombre de victimes de tirs.

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Giorgia Meloni défend l’idée d’un « blocus maritime » dans le cadre de la politique d’immigration que propose son parti Fratelli d’Italia, arrivé en tête des dernières élections italiennes

Selon Giorgia Meloni, la seule façon d’arrêter l’immigration clandestine est le « blocus maritime, c’est-à-dire une mission européenne en accord avec les autorités nord-africaines ». “Blocus maritime” est une notion bien ambiguë. Il s’agit soit d’empêcher les départs depuis la Libye notamment, soit d’interdire les arrivées en Italie. Dans les deux cas, ce sera difficile.

La question du débarquement des bateaux est une question tendue pour l’Italie, qui est souvent le plus proche géographiquement de leur lieu de départ. Or, le droit international interdit de refouler un navire en difficulté. La proximité d’un port n’est pas le seul critère : les États doivent assurer un débarquement “dans les meilleurs délais raisonnablement possibles”, et “en lieu sûr”. Le droit international définit le « lieu sûr » de débarquement comme un port où la vie et la sécurité des personnes ne sont plus menacées, et où leurs besoins et droits fondamentaux sont respectés. Dans ces conditions, le retour forcé des migrants à leur port de départ en Libye peut être considéré comme illicite compte tenu des risques qu’ils y encourent (maltraitance notamment).

Quant à faire intervenir des troupes européennes dans les eaux libyennes pour empêcher les bateaux d’en sortir, cela suppose l’accord de la Libye même, plus spécialement, de son Parlement.

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