Cette semaine chez les Surligneurs : Non, la réforme des retraites n’est pas imposée par l’Union

Publié le 27/01/2023

La réforme des retraites en France est-elle vraiment imposée par l’Union européenne, comme le soutient Jordan Bardella ? Pas si simple, nous expliquent les Surligneurs. Les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur le statut en Europe des fact-checkeurs. Isabelle Wiseler-Lima, députée membre du Parti populaire européen  a présenté, ce mercredi 25 janvier, une proposition de rapport pour renforcer la protection des journalistes dans le monde. 

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Pour Jordan Bardella, la réforme des retraites est une exigence de Bruxelles pour toucher les fonds européens du plan de relance

Sur BFM-TV dans un débat qui l’opposait à Olivier Véran, le porte-parole du Gouvernement, et Mathilde Panot, chef de file de la France insoumise à l’Assemblée nationale, Jordan Bardella, député européen et président du Rassemblement national,  a répété une idée reçue assez répandue ces derniers mois : la réforme des retraites serait imposée par l’Union européenne. Pour le président du Rassemblement national, “Si on en vient à faire la réforme des retraites aujourd’hui (…) c’est parce que c’est une exigence de la Commission européenne. C’est une exigence que de réformer notre système de retraite qui est formulée par l’Union européenne qui était la contrepartie du plan de relance qui a été octroyé à la France par les institutions européennes après la crise sanitaire”. Une affirmation aussi d’un économiste sur TV Liberté le 14 janvier, ou encore de la députée RN Laure Lavalette. Sauf que la réalité est bien différente.

Il est vrai que l’Union européenne, par la voix du Conseil (le Conseil réunit les ministres des 27 États membres), a recommandé dès 2019 à la France de “réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes” (voir page 8, paragraphe 1 de la recommandation). S’il est bien fait mention de la fusion des régimes de retraites, le recul de l’âge légal n’est, lui, pas mentionné. Mais trois remarques  tempèrent sérieusement le raccourci selon lequel l’Union européen serait à l’origine de l’actuelle réforme des retraites.

La réforme des retraites n’a aucunement été exigée pour obtenir les fonds européen du plan de relance

Tout d’abord, la recommandation du Conseil de 2019 est en réalité une reprise de la promesse d’Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017 (page 7 du programme du candidat). Le gouvernement français, à l’occasion d’un cycle annuel qu’on appelle le “Semestre européen”(période d’échanges entre les 27 pour coordonner leurs  politiques économiques), a donc fait savoir à la Commission européenne puis au Conseil de l’Union européenne qu’il souhaitait fusionner les différents régimes de retraites. Cette promesse de campagne fut simplement reprise dans la recommandation de 2019. Avant lui, François Hollande avait fait de même, en faisant ajouter dans la recommandation adressée à la France qu’une éventuelle réforme se ferait en consultant les partenaires sociaux. Une manière de dire qu’il ne poursuivrait pas la politique de Nicolas Sarkozy. Et lorsqu’en 2014 le Conseil recommande à la France de geler les retraites et de créer un comité de suivi des retraites pour surveiller le déficit du système… il s’agit de mesures déjà prises pendant la présidence de François Hollande. Les recommandations du Conseil comportent donc en réalité un grand nombre de propositions venues des gouvernements eux-mêmes. Il y a parfois même des cas où les recommandations ne reprennent pas toutes les propositions de la France.

En revanche, en 2021 lorsque la France a transmis son programme de réformes en vue d’obtenir les fonds du plan de relance européen, elle avait mentionné son souhait de fusionner les régimes de retraites. Une proposition qui n’a pas été reprise par le Conseil de l’Union européenne. Dans sa recommandation du 5 juillet 2021 qui permet à la France de recevoir les 40 milliards d’aides européennes pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire – le plan Next Generation EU –, le Conseil ne fait à aucun moment référence à une réforme des retraites. La Commission européenne ne pourrait donc pas suspendre ses versements si la France ne réformait pas son système des retraites.

En tout état de cause les recommandations du Conseil ne sont pas contraignantes

Ensuite, les recommandations du Conseil de l’Union européenne ne sont pas contraignantes. Le Conseil peut bien coordonner les politiques économiques via les “grandes orientations de politiques économiques” (connues aussi sous l’acronyme GOPE), comme le prévoit l’article 5 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, mais ces orientations ne sont pas contraignantes, comme le prévoit cette fois l’article 288 du même traité.

Enfin, une telle réforme n’est pas le seul moyen réduire le déficit public français. Ce déficit devrait s’établir autour de 5 % en 2022, contre 6,4 % en 2021 et 8,9 % en 2020, du fait de la pandémie. Il se rapprocherait donc des 3 %, comme l’exige le droit européen. Mais d’une part la France n’est pas en procédure de déficit excessif donc ne risque pas de rappel à l’ordre de l’Union européenne à court terme. Et d’autre part rien n’oblige la France à mettre en œuvre cette réforme-là pour réduire son déficit. Elle peut tout à fait emprunter d’autres voies : augmenter les prélèvements sociaux ou les impôts, réduire d’autres dépenses, améliorer la croissance. Décider d’une politique économique reste donc largement du ressort de la majorité au pouvoir en France.

Enquêtes : le Parlement européen à la rescousse des fact-checkeurs en danger

Sur internet, à la télévision ou en presse écrite, les fact-checkeurs sont partout et sont désormais les indispensables des rédactions. Mais à l’heure des réseaux sociaux et des tentatives de contrôle de l’information, ils sont aussi l’une des cibles privilégiées des harceleurs. Un harcèlement d’autant plus pressant en Colombie, aux Philippines, en Argentine ou en Géorgie, où l’État tente de contrôler les organes de presse et propage de fausses informations. Mais pas que. Dans l’Union européenne aussi, la casquette de fact-checkeur est lourde à porter, ce qui a poussé le Parlement européen à se saisir de la question.

En Colombie et aux Philippines, respectivement 145ème et 147ème pays sur 180 du classement mondial de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières (RSF), les fact-checkeurs sont particulièrement vulnérables. Carlos*, fact-checkeur, évoque l’intimidation dont il a régulièrement fait l’objet depuis 2018. Des proches du pouvoir, épinglés dans ses enquêtes, le menacent de “conséquences juridiques”. Une situation non anecdotique, puisqu’une étude réalisée en 2020 par l’UNESCO et le Centre international des journalistes (ICFJ) sur le harcèlement des femmes journalistes plaçait les acteurs politiques comme la deuxième source (37%) d’attaques et d’agressions en ligne. À la pression virtuelle s’ajoutent parfois des descentes de police, dans le but de mettre un terme au travail journalistique. Ellen Tordesillas, fact-checkeur pour le média Vera Files, aux Philippines, raconte avoir reçu la visite de policiers en civil. ‘Le message de cette visite était clair pour nous.” Elle a été visée, plus tard, en avril 2019, par “un [faux] ‘rapport de renseignement’” publié par le bureau du Président philippin, alléguant qu’elle était “derrière le complot visant à évincer [Rodrigo] Duterte avec plusieurs organisations médiatiques, dont Vera Files”.

En Georgie, le média FactCheck est lui aussi presque quotidiennement menacé par le parti au pouvoir. ‘’[Les] ONG qui travaillent à démystifier la désinformation, comme FactCheck, ce sont souvent elles qui diffusent la désinformation et les mensonges’’ avait accusé Irakli Kobakhidze en 2019, à l’époque président du Parlement georgien. Une déclaration qui aide à comprendre la décision de l’Union européenne, prise en juillet 2022, de placer la Géorgie sur liste d’attente de l’adhésion, notamment au regard de la situation des médias et de la liberté d’expression dans le pays. Un peu plus tôt, le Parlement européen avait adopté une résolution, demandant “ à tous les représentants du gouvernement géorgien de s’abstenir de recourir à une rhétorique agressive et à un traitement discriminatoire à l’égard des représentants des médias en Géorgie”.

Mais exercer dans l’Union européenne ne garantit pas la sécurité des fact-checkeurs. Loin de là. En France, en Espagne ou aux Pays-Bas, de plus en plus de journalistes font état de menaces de mort devenues quotidiennes. Julien Pain, journaliste et animateur de l’émission “Vrai ou Fake” sur France Info TV, Samuel Laurent, ancien fact-checkeur à l’origine des “Décodeurs” du journal Le Monde, Julie Charpentrat, journaliste au sein de la cellule de fact-checking de l’AFP, ont notamment été victimes d’un harcèlement “perpétuel des antivax et de l’extrême droite”, qui s’est intensifié depuis l’épidémie de Covid. Une journaliste allemande, restitue la teneur de l’une de menaces recues :« nous avons des balles fabriquées à la main pour chacun d’entre vous, vous apprendrez bientôt ce qu’est la douleur, nous vous noierons tous dans le prochain lac ».

Le média croate de vérification des faits Faktograf, l’Institut international de la presse (IPI) autrichien et le quotidien allemand “TAZ” mènent une étude pour décortiquer le phénomène, et mesurer l’ampleur des dégâts. L’enjeu de L’enquête, réalisée dans le cadre du projet “Décoder le manuel de désinformation des populistes en Europe” financé par le Fonds européen pour les médias et l’information, sera surtout, dans les prochains mois, de mesurer l’implication des responsables politiques dans ce harcèlement des fact-checkeurs, selon Ana Brakus, directrice de Faktograf,

Les réseaux sociaux facilitent à la fois la diffusion à grande échelle de fausses informations, et le harcèlement massif et simultané de ceux qui luttent contre la désinformation. La quasi-totalité des fact-checkeurs avec qui Les Surligneurs se sont entretenus peuvent témoigner d’un harcèlement en ligne. Les signalements, s’ils sont possibles, restent insuffisants. Les journalistes doivent bloquer ou rapporter une à une chaque menace à la plateforme hôte. Une action qui prend du temps, et qui porte peu ses fruits, lorsqu’un journaliste reçoit jusqu’à plusieurs milliers de menaces par jour. Les réseaux sociaux tels que Facebook, Télégram ou Twitter sont dépassés par la vague de commentaires et messages à caractère haineux qui déferle sur leurs plateformes.

Une trentaine de rédactions du panorama médiatique français ont interpellé le gouvernement en 2021 sur le sujet. Au niveau européen, Isabelle Wiseler-Lima, députée membre du Parti populaire européen, s’est aussi saisie du sujet. Elle a présenté, ce mercredi 25 janvier, une proposition de rapport pour renforcer la protection des journalistes dans le monde. Le texte évoque le poids de l’innovation technologique, qui permet la “surveillance illégale” de journalistes, dans le but de collecter leurs informations personnelles en ligne et d’exercer une pression sur leur travail. Il pointe également “l’intimidation” et les “campagnes de dénigrement”, d’autant plus violentes lorsqu’il s’agit de fact-checkeurs. À plusieurs reprises, ils sont évoqués comme des cibles à protéger, de la pression des autorités publiques et des procédures judiciaires abusives.

La députée européenne souhaite le développement par le Service européen pour l’action extérieure (SEAS) d’une “approche structurée pour soutenir les journalistes en butte à des menaces numériques”, via la formation aux enjeux de sécurité numérique. Elle insiste également sur “l’importance de resserrer la collaboration entre les plateformes en ligne et les services répressifs”. Un enjeu clé quand on sait que le PDG de Twitter, Elon Musk, a décidé de la dissolution du conseil de confiance et de sécurité du réseau social début décembre. La même semaine, Twitter est également apparu dans le viseur des Nations Unies, pour avoir arbitrairement suspendu les comptes de journalistes américains. Enfin, elle demande aux États membres d’“apporter ostensiblement et publiquement un soutien moral aux journalistes en danger” dans les pays tiers.

Le texte, qui doit encore être amendé, devra être adopté par la commission des affaires étrangères du Parlement européen, et soumis au vote en session plénière, probablement au mois de juillet.

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