Cette semaine chez les Surligneurs : participer à une manifestation non déclarée est-il un délit ?

Publié le 07/04/2023

Participer à une manifestation non déclarée n’est pas un délit, contrairement à ce que soutient le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. En revanche, persévérer après sommation le devient. Les Surligneurs vous expliquent comment ça marche. Cette semaine, ils reviennent aussi sur la « votation » organisée par la Mairie de Paris sur les trottinettes, ainsi que sur la situation de la franco-turque Pinar Selek. 

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Selon Gérald Darmanin, « La participation à une manifestation non déclarée est un délit, qui mérite une interpellation »

Lundi 27 mars, à la suite du rejet de la motion de censure du gouvernement entraînant l’adoption du projet de réforme des retraites, des manifestations non déclarées ont eu lieu. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a déclaré le lendemain “qu’être présent à une manifestation non déclarée est un délit qui mérite une interpellation”. C’est faux.

Le droit de manifester est garanti dans la DDHC, un texte à valeur constitutionnelle, tant que celui-ci « ne trouble pas l’ordre public ». Pour cette raison, la loi prévoit différentes contraintes quant à l’organisation de manifestations.

Les manifestations doivent être déclarées par l’organisateur, au moins trois jours avant l’événement, en Préfecture de département ou en mairie. À défaut, il s’expose à une peine d’emprisonnement et une amende. Cette formalité permet de garantir la sécurité des personnes et des biens, en permettant aux forces de l’ordre de sécuriser ses participants et les tiers.

En revanche, les participants à une manifestation non déclarée ne s’exposent à aucune sanction et ne sont pas dans l’illégalité (Cass. crim 8 juin 2022). Néanmoins, si la manifestation engendre un risque de trouble à l’ordre public, la force publique peut disperser les manifestants après deux sommations. Continuer à y participer après les deux sommations constitue un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Le fait de participer à une manifestation non déclarée est différent du fait de participer à une manifestation interdite où les organisateurs ont bien déposé la déclaration, mais en raison de risques de troubles à l’ordre public, le maire ou le préfet a pris la décision d’interdire l’événement en amont, par un arrêté publié et notifié aux organisateurs. Celui qui y participe ne peut donc ignorer l’interdiction et se met en infraction consciemment, du moins lorsque l’arrêté d’interdiction est dûment publié dans les temps légaux, ce qui n’est pas toujours le cas.

Indépendamment de toute déclaration préalable, le Préfet ou le maire peut aussi prendre un arrêté – publié puis diffusé – interdisant les manifestations non déclarées, même si elles sont déjà interdites. C’est le cas quand des organisations appellent à manifester sans déclarer, comme cela est arrivé par exemple récemment  à Paris. Là encore, la participation est une infraction passible d’une amende, si l’arrêté est publié dans les formes et temps légaux.

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Fin des trottinettes à Paris : selon l’opposition, « plutôt que de prendre la décision elle-même (…) la maire s’est défaussée sur les Parisiens »

Après la publication du résultat de la consultation des Parisiens sur le sort des trottinettes en libre-service dans la capitale, Maud Gatel, présidente du groupe MoDem au Conseil de Paris, juge sévèrement que « cette consultation ne fait qu’acter l’incapacité d’Anne Hidalgo de mener une politique efficace en matière de mobilité. Elle n’a jamais réussi à réguler ces trottinettes électriques en libre-service, et plutôt que de prendre la décision elle-même de mettre un terme à ce système, la maire s’est défaussée sur les Parisiens ».

À entendre cette partie de l’opposition municipale parisienne, consulter la population parisienne reviendrait à « se défausser ». Or il existe deux types de consultations au niveau local, dont les mêmes partis politiques prônent l’usage plus intensif : le référendum local et la consultation locale. Dans les deux cas, la loi permet à un maire, mais aussi un président de conseil départemental ou de conseil régional, de rechercher l’assentiment de sa population à propos d’une « affaire de la compétence » de la commune, du département ou de la région.

Dans le cas d’une consultation locale des électeurs, ces derniers sont « consultés » (Art. L1112-15 CGCT). La maire de Paris avait choisi ce mode de consultation : elle n’était pas liée par le résultat, surtout lorsque seuls 7,46 % des électeurs inscrits se sont déplacés, mais elle pouvait librement décider de s’y conformer, ce qu’elle a annoncé vouloir faire.

L’autre mode de consultation est le référendum local, plus contraignant : « Le projet soumis à référendum local est adopté si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au scrutin et s’il réunit la majorité des suffrages exprimés » (Art. L01112-7 CGCT). Autrement dit, le maire n’a pas le choix face à la majorité qui se dégage lors du scrutin.

Alors que la démocratie élective fait l’objet de critiques acerbes, la consultation de la population constitue un moyen de renouveler l’intérêt des citoyens pour les affaires publiques et de restaurer la confiance dans les institutions. Reste que ces consultations ne permettent pas tout : elles sont encadrées dans le temps et sur le fond : pour éviter leur instrumentalisation lors d’élections et car elles ne doivent porter sur des affaires d’intérêt national. En dehors de ces cas et de celui des décisions individuelles, l’éventail des sujets pouvant être soumis à la population est vaste.

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Pinar Selek : vingt-cinq ans de persécutions judiciaires par la Turquie

Pinar Selek est une écrivaine, sociologue, féministe et antimilitariste exilée en France. Elle est arrêtée en Turquie et accusée d’avoir perpétré un attentat à la bombe. Libérée le 22 décembre 2000, Pinar Selek a, depuis, été acquittée à quatre reprises. Alors qu’en juin dernier, la Cour suprême de Turquie a annulé le dernier acquittement, elle est désormais ciblée par un mandat d’arrêt international assorti d’un arrêt d’emprisonnement immédiat. Ce 31 mars s’ouvrait son cinquième procès.

Pinar Selek est née en 1961 à Istanbul. Fille d’un avocat et d’une pharmacienne, elle est aussi petite-fille de l’un des fondateurs du Parti des Travailleurs, formation socialiste d’opposition au régime. Elle a étudié la sociologie à l’Université de Mimar Sinan d’Istanbul où elle défend une approche de l’enquête sociologique plus immersive et sur le temps long. Selek s’intéresse de près aux minorités discriminées dans la société turque, notamment aux “enfants de la rue” et à la diaspora politique kurde.

Sa vie bascula le 11 juillet 1998, deux jours après une explosion au marché aux épices d’Istanbul, provoquant la mort de sept personnes et faisant 127 blessés. Elle fut arrêtée et torturée par la police turque qui cherchait à obtenir l’identité des militants kurdes interrogés par Pinar Selek dans le cadre de ses travaux. Refusant de les leur révéler, elle fut accusée de complicité avec le PKK avant d’être inculpée pour attentat terroriste.

Pinar Selek passa deux ans et demi en prison avant d’être relâchée en 2000, dans l’attente de son jugement, faute de preuves. Ce fut le début d’une longue saga judiciaire scandée par cinq procès et quatre acquittements successifs (2006, 2008, 2011 et 2014).

En 2008, Pinar Selek a quitté la Turquie pour l’Allemagne puis la France. En janvier 2023, la cour d’assises d’Istanbul a émis un mandat d’arrêt avec emprisonnement immédiat. C’est depuis la France que Pinar Selek – désormais française – a suivi son cinquième procès, un cas qui n’est pas isolé parmi les intellectuels victimes de répression.

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Procès de la franco-turque Pinar Selek : le jeu de dupes de la justice turque

Pinar Selek a suivi son audience depuis les locaux de la Ligue des droits de l’Homme, à Paris. À Istanbul, une impressionnante équipe d’une cinquantaine d’avocats plaide pour le retrait du mandat d’arrêt international et la décision d’enfermement immédiat visant la sociologue, ainsi que pour son acquittement définitif. Élus, presse, chercheurs, militants ont suivi l’audience. Le président de la cour fait alors la lecture de la décision de la Cour suprême qui demande à la cour d’assises de condamner Pinar Selek pour acte de terrorisme.

En condamnant Pinar Selek, il ne ferait qu’obéir à sa hiérarchie judiciaire. La cour d’Istanbul n’a pas l’indépendance suffisante pour s’écarter de la position de la Cour suprême : il faut condamner Pinar Selek à une peine d’emprisonnement à la perpétuité pour avoir participé en 1998 à la commission d’un attentat à la bombe qui a fait sept morts. Fin de l’histoire ? Pas vraiment, le procès est reporté au 29 septembre, après les élections présidentielle et législatives de mai, où Tayyip Erdogan pourrait perdre son siège. La demande de report des avocats de Pinar Selek a donc été entendue par la cour d’assises qui compte sur son extradition d’ici-là par la France.

Devenue française en 2017, Selek devrait être protégée par la France qui n’extrade plus ses nationaux depuis 1820. Cependant, la nationalité est “appréciée à l’époque de l’infraction pour laquelle l’extradition est requise” (Art. 696-4 du code de procédure pénale). Or, à la date de l’explosion du bazar aux épices, elle n’était pas encore française.

En théorie, elle pourrait donc être extradée, mais la loi française prévoit que le gouvernement ne peut autoriser l’extradition si “le tribunal n’assur[e] pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense” ou si l’extradition “est demandée dans un but politique”. En pratique, une réponse favorable de la France semble donc hautement improbable.

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