Chez les Surligneurs : Gabriel Attal peut-il sanctionner le rectorat de Versailles ?
Gabriel Attal a annoncé de possibles sanctions contre ceux qui n’ont pas pris au sérieux les alertes des parents de Nicolas, 15 ans, qui s’est suicidé à Poissy le 5 septembre dernier. Mais quels sont exactement les comportements susceptibles d’être sanctionnés ? Eric Zemmour quant à lui envisage de punir financièrement les parents de harceleurs. Est-ce possible ou non ? Les spécialistes du legal checking vous répondent.
Gabriel Attal et harcèlement scolaire : “il y a eu une défaillance” et “j’en tirerai toutes les conclusions, y compris en matière de sanctions »
Le ministre de l’Éducation s’exprimait à propos du récent suicide d’un enfant de 15 ans victime de harcèlement scolaire, et surtout de la lettre que les parents de cet enfant avaient reçue du rectorat après avoir saisi les autorités scolaires. Ce courrier est « décalé par rapport à la douleur de la famille », “une honte », a fustigé le ministre, qui a déclenché une enquête.
En droit, ce que le ministre appelle “défaillance” est une faute. Mais faute de qui ou de quoi ?
Pour que l’enquête diligentée aboutisse à la sanction d’un ou plusieurs agents du rectorat ou de l’établissement scolaire, il faudra établir que ceux-ci ont commis une faute par leur comportement individuel anormal ou illégal au regard de leurs devoirs, et que cette faute a eu pour conséquence le suicide de l’enfant. Si tel est le cas, alors des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées.
Mais en l’occurrence, pas de retard, pas de malveillance reprochée : c’est sur le fond que l’administration est critiquée, car elle n’aurait pas tenu compte du problème soulevé par les parents et les a même menacés de poursuites.
L’article 40 du code de procédure pénale oblige depuis très longtemps tout agent public à dénoncer les crimes et délits dont il a connaissance. De plus, le harcèlement est un délit depuis 2014, et la loi du 2 mars 2022 “visant à combattre le harcèlement scolaire” prévoit une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour le harceleur.
Les faits de l’affaire sont mal connus pour l’instant, mais manifestement l’administration n’a pas détecté les souffrances endurées par l’élève. Un agent du rectorat s’est lourdement trompé sur le cas qu’il était chargé d’instruire. Mais d’où vient cette erreur ? Cet agent n’était pas dans l’établissement et a donc dû se fier au témoignage des enseignants. Surtout, il n’existait pas à la date des faits d’instructions claires de la hiérarchie sur la manière dont il faut caractériser le harcèlement et sur la marche à suivre.
S’il est difficile de reprocher aux agents de ne pas avoir suivi une ligne directrice inexistante ou trop floue, c’est alors le système qui est en cause. Dans ce cas, le juge s’en tient au résultat désastreux et tente d’en tirer les conséquences, à savoir indemniser les parents, ce qu’il a déjà fait par trois fois au moins.
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Éric Zemmour veut punir financièrement les parents des élèves harceleurs
Interrogé sur le harcèlement à l’école, Éric Zemmour propose de sanctionner financièrement les parents des élèves harceleurs. Si cela devait prendre la forme d’une suppression des allocations familiales pour les familles des enfants délinquants, c’est contraire à la Constitution.
En effet, avant de sanctionner ainsi les parents, il faudrait d’abord appréhender l’enfant harceleur et éventuellement le juger, puisque le harcèlement est un délit (article 222-33-2-2 du code pénal). Une fois le harceleur condamné par la juridiction pour mineurs, il faudrait que les organismes d’aide sociale soient avertis du jugement, afin que soient stoppées ou diminuées certaines allocations aux parents. Cela pose déjà un problème d’atteinte à la vie privée, d’autant plus que la condamnation pénale d’une personne mineure est anonyme pour préserver son droit à la réinsertion.
En droit pénal, une peine a uniquement pour vocation de sanctionner un comportement personnel jugé répréhensible par la loi. Elle vise la seule personne reconnue coupable, pour ses actes, et n’a pas pour but de punir aussi les proches. L’inverse serait contraire au principe de responsabilité du seul fait personnel, selon lequel “nul n’est punissable que de son propre fait” (article 121-1 du code pénal et articles 8 et 9, DDHC)
De plus, le bénéfice des allocations familiales n’est pas, en l’état du droit, conditionné au bon comportement des enfants. Il repose sur le principe de solidarité nationale et sur certaines conditions comme la garde effective de l’enfant par le parent qui en assume la charge effective et permanente, indépendamment du reste. Cela signifie à l’inverse que la condamnation d’un enfant harceleur à de l’emprisonnement ferme sans aucun aménagement, pourrait seulement justifier, à la limite, une diminution des allocations familiales le temps de l’exécution de la peine, puisque cet enfant ne serait plus sous la garde effective de ses parents. Supprimer les allocations familiales dans ce cas reviendrait à modifier toute la logique du système, mais ce n’est pas impossible.
Enfin, bien que les parents soient solidairement responsables des dommages causés par leur enfant (article 1242 du code civil), ils ne peuvent pas être les destinataires d’une amende pour les méfaits de leur enfant, toujours sur la base de la responsabilité du fait personnel. Pour autant, ils peuvent être eux-mêmes condamnés pour avoir failli à leurs obligations d’éducation vis-à-vis de leur enfant (article 371-1 du code civil et article 227-17 du code pénal).
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Référence : AJU390847