Chez les Surligneurs : La Commission européenne est-elle réellement « toute-puissante » ?

Publié le 16/02/2024

Philippe de Villiers a-t-il raison lorsqu’il dénonce la « toute-puissance » de la Commission européenne ? Les Surligneurs vous répondent. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur la volonté d’Éric Zemmour d’instaurer la prédominance des lois nationales sur les traités, sur la perpétuité réelle réclamée par Jordan Bardella et sur les droits perçus par la SACEM lors des cérémonies funéraires. 

Chez les Surligneurs : La Commission européenne est-elle réellement "toute-puissante" ?

Philippe de Villiers : « C’est la Commission de Bruxelles, composée de personnes non élues, qui commande. Elle possède le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif »

Interrogé en sa qualité d’ancien député européen sur le processus législatif au sein de l’Union européenne, Philippe de Villiers a pointé du doigt la toute-puissance de la Commission, selon lui non élue et qui détient les pouvoirs à la fois exécutif et législatif. C’est doublement faux.

D’abord une élection de la Commission en deux temps est bien prévue : son président ou sa présidente est proposé(e) par le Conseil européen avant d’être élu(e) par le Parlement européen (art. 17 TUE). Ensuite, les commissaires européens sont proposés conjointement par le président et le Conseil européen, et soumis à l’approbation des députés européens. La Commission n’est nommée que si elle recueille cette approbation. Un vote est organisé au Parlement européen, qui auparavant aura auditionné les candidats.

Enfin, la Commission propose les « lois » européennes, mais ne les vote pas. Philippe de Villiers a en partie raison lorsqu’il dit qu’elle a le « monopole » de l’initiative législative, car elle constitue bien le point de départ du processus législatif : elle présente une proposition législative au Parlement européen, mais son rôle s’arrête là. Ce monopole n’est toutefois pas entier puisque dans certains cas d’autres institutions peuvent proposer l’adoption d’une loi européenne. De plus, la Commission peut être saisie par le Parlement ou un million de citoyens européens pour étudier une proposition à présenter aux députés.

Le dialogue se fait ensuite entre le Parlement européen qui amende le texte présenté par la Commission, et le Conseil de l’UE qui peuvent amender ce texte avant de l’adopter. Lorsqu’un texte est adopté, la Commission est chargée de veiller à ce qu’il soit appliqué. Le pouvoir législatif est donc principalement entre les mains du Parlement et du Conseil, et le pouvoir exécutif entre les mains de la Commission.

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Éric Zemmour veut modifier l’article 55 de la constitution et instaurer la prédominance des lois nationales sur les traités

Éric Zemmour, président de Reconquête, veut que les lois nationales soient consacrées comme ayant valeur supérieure aux traités, en modifiant l’article 55 de notre Constitution. Or, modifier la Constitution ne suffirait pas à faire primer le droit national sur le droit européen et international.

Éric Zemmour a raison sur le début de son raisonnement : pour faire en sorte que le droit national prime sur le droit international et non l’inverse, il faut modifier la Constitution française, en particulier l’article 55 qui prévoit expressément la primauté des traités sur les lois nationales. Mais ce n’est pas tout. L’article 88-1 qui prévoit également une obligation de respect des normes européennes par la France, doit aussi être revu. De plus, le respect de la primauté du droit européen est une exigence constitutionnelle depuis une décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2004. Une fois la Constitution réformée, les juridictions nationales seraient obligées de faire primer le droit national en appliquant la Constitution.

Éric Zemmour propose la primauté du droit national, mais sans exiger la sortie de l’Union européenne. Or, l’adhésion à l’Union s’accompagne de l’obligation d’appliquer ses règles, dites “supranationales”, qui ont précisément vocation à prévaloir sur le droit national dans le but d’harmoniser les législations nationales. C’est le principe même des traités, qui ne sont jamais qu’un contrat entre États. Or, un contrat se respecte.

Les traités européens ont mis en place un ordre juridique autonome avec des “lois” européennes et les traités eux-mêmes, tous ces textes primant sur la loi nationale (CJCE Costa/Enel 1964). Rester au sein de l’Union européenne sans faire primer les textes européens qui en découlent est incompatible en l’état du droit européen, et cela ferait même encourir de fortes amendes à la France.

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Jordan Bardella souhaite l’inscription de la « perpétuité réelle » en droit français : pour Éric Dupond-Moretti elle existe déjà

Jordan Bardella ne s’est pas dit favorable au retour de la peine capitale. En revanche, il souhaite inscrire la « perpétuité réelle » dans le droit français. Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, lui a répondu que la « perpétuité réelle » existait déjà dans le Code pénal, ce qui n’est pas tout à fait vrai.

La notion de perpétuité réelle n’existe pas en droit. C’est une formule rhétorique qui signifie la “réalité” de la condamnation à vie, et donc l’absence, dans la loi, de toute possibilité de sortie du condamné jusqu’à sa mort. Cette situation est actuellement déjà permise par le droit : une personne est condamnée à l’emprisonnement à perpétuité et ne sort qu’à son décès, sauf qu’il existe bien des tempéraments permettant une sortie.

Ce que Jordan Bardella entend par “perpétuité réelle”, c’est le fait pour un juge de décider, au moment où il prononce son verdict, que le condamné ne pourra jamais sortir de prison, quoi qu’il arrive. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme affirme que la peine de réclusion à perpétuité n’est pas en soi incompatible avec sa convention ; toutefois, ajoute-t-elle, le droit doit prévoir un réexamen à terme en vue d’un aménagement de la peine, notamment la possibilité d’une libération conditionnelle (CEDH, 2016). C’est toute la différence avec par exemple le droit américain et sa notion de “determinate life sentence” prévue par le droit fédéral, qui exclut toute libération anticipée dès le prononcé de la peine.

Ce que demande Jordan Bardella n’est donc pas conforme à la jurisprudence européenne. À moins de se retirer de la CEDH et du Conseil de l’Europe, avec ce que cela implique, la France serait lourdement sanctionnée par la Cour si elle créait une “determinate life sentence”.

De son côté, Éric Dupond-Moretti joue sur les mots et affirme à raison qu’en droit français, une cour d’assises peut décider que le condamné ne bénéficiera d’aucune libération conditionnelle, d’aucune suspension de peine (article 132-23 du code pénal), ni d’aucun autre aménagement, pour certains crimes parmi les plus graves (article 421-7). C’est vrai.

Mais il existe une sérieuse réserve : cette perpétuité-là est limitée dans le temps, sous forme de « peine de sûreté” de trente ans. Le juge peut prononcer une peine de sûreté perpétuelle, mais qui toutefois peut être levée par un tribunal après trente ans. Ainsi, pour pouvoir sortir de prison, le condamné doit demander le « relèvement de la période de sûreté », puis, si cette mesure lui est accordée, il pourra ensuite obtenir une remise de peine, comme une libération conditionnelle. Ces deux étapes de sortie de prison sont toutefois si difficiles à obtenir qu’une condamnation à perpétuité peut avoir les effets d’une perpétuité réelle.

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La SACEM perçoit (depuis longtemps) des droits d’auteur sur la diffusion de musiques lors de cérémonies funéraires, et c’est tout à fait légal

En janvier, le tribunal judiciaire de Paris a condamné la société OGF, propriétaire des pompes funèbres générales, à verser plus de 69 000 € à la SACEM au titre des droits d’auteur, ainsi que 10 000 € de dommages-intérêts, ainsi que 36 000 € au titre de droits voisins à la SPRE (Société pour la perception de la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes du commerce).

Nombre d’internautes dénoncent une forme de marchandisation de la mort, mais cette pratique, déjà ancienne, est parfaitement conforme au Code de la propriété intellectuelle (CPI). De plus, elle ne concerne que les sociétés organisant des services funéraires, qui ne font jamais qu’une prestation commerciale payante : la mort est donc déjà marchandisée.

En effet, les auteurs d’œuvres ont un droit à profiter du fruit de leur création. Ils ne peuvent vivre de leur art qu’à travers la vente des exemplaires de leurs œuvres ou la communication de celles-ci au public. Ainsi, un “droit de représentation” leur est reconnu et leur permet d’autoriser ou d’interdire toute communication de leur œuvre au public et surtout d’en tirer une rémunération.

Le paiement de celle-ci est d’autant plus légitime lorsque les diffusions sont effectuées par un tiers intéressé dans le cadre d’une activité à but lucratif, peu importe que le public ne paye pas pour cette diffusion. Il en va logiquement de même des services proposés par les sociétés de pompes funèbres qui comprennent la diffusion de musiques pendant les cérémonies ou des projections effectuées dans les salles de funérariums. Celles-ci sont bien effectuées dans un lieu accessible au public et participent d’un service à caractère lucratif.

La SACEM défend les intérêts des auteurs et perçoit à leur place les rémunérations qui leur sont dues puisqu’ils ne sont pas en mesure matériellement de les percevoir eux-mêmes. Elle conclut des contrats généraux de représentation avec les personnes diffusant de la musique pour leur propre compte, donnant accès à l’intégralité de son répertoire moyennant le paiement d’une somme. OGF entendait résilier son contrat avec la SACEM, au motif que ses diffusions s’adressent à un cercle familial. Or, le Tribunal affirme qu’il y a bien une différence entre les services commerciaux des pompes funèbres, payants, et la situation “des parents et amis du défunt” qui peuvent diffuser gratuitement des musiques par leurs propres moyens lors des obsèques.

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