Chez les Surligneurs : la formule « l’immigration tue » tombe-t-elle sous le coup de la loi ?

Publié le 19/07/2024

Selon Gilles-William Goldnadel, dire « l’immigration tue » ne relève pas de la loi. Pas si sûr, objectent les Surligneurs, qui vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur les péages gratuits et l’indépendance de BFM-TV. 

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Selon l’avocat chroniqueur Gilles-William Goldnadel, « la formule lapidaire « L’immigration tue » n’a rien de répréhensible juridiquement et moralement »

 S’exprimant sur son compte X (anciennement Twitter) l’avocat argumente ainsi : « à part quelques menteurs ou demeurés, chacun s’accorde à reconnaître le lien entre immigration massive et insécurité. Aucune ethnie n’est visée. En conséquence, la formule lapidaire « l’immigration tue » n’a rien de répréhensible juridiquement et moralement« . Or rien n’est moins sûr, tant la formule a été ressentie comme délictuelle par certaines institutions.

L’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 érige en délits les provocations à la discrimination et à la haine, qui sont constituées – et donc répréhensibles – même si elles ne sont pas suivies d’effets. Le juge considère que cette infraction est effectivement constituée lorsque “le texte incriminé tend à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes à raison d’une origine ou d’une religion déterminée”. L’expression « l’immigration tue » fait allusion au slogan de sensibilisation « fumer tue » imposé sur les paquets de cigarettes depuis 2005, pour sensibiliser aux dangers mortels de la cigarette. L’analogie entre l’immigration et la cigarette a donc pour objet d’attribuer à l’immigration les effets sanitaires létaux de la cigarette, ce qui est de nature à susciter la crainte, le dégoût et la haine à l’encontre de la population des immigrés en France, selon une décision de l’ARCOM du 3 juillet 2024. L’ARCOM n’est pas la Cour de cassation, mais leurs appréciations convergent souvent…

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Benjamin Lucas (député écologiste) : « je propose de faire péage gratuit en taxant les superprofits des compagnies autoroutières »

 Interrogé par RMC, Benjamin Lucas, député Écologiste, propose de « faire péage gratuit en taxant les superprofits des compagnies autoroutières« . Si nous n’avons pas d’avis à faire valoir sur l’objectif, la méthode interpelle juridiquement et relève du non-sens.

Les compagnies autoroutières et l’État sont liés par un contrat de concession, au terme duquel les premières prennent en charge la construction et l’entretien d’une autoroute (ou seulement l’entretien si l’autoroute existe déjà), moyennant une rémunération par l’usager, à savoir l’automobiliste qui s’arrête au péage pour verser une « redevance ». Actuellement, toutes les autoroutes payantes de France sont exploitées selon ce régime, avec un contrat de concession en cours. « Faire péage gratuit » implique donc soit de rompre le contrat, soit d’en revoir les clauses. Et comme tout contrat fait loi entre les parties, les compagnies autoroutières ne pourront pas s’opposer à cette décision, mais elles auront droit à indemnisation de leur manque à gagner par l’État. Donc « faire péage gratuit » c’est possible, mais il y aura un coût énorme pour l’État, car on change alors de modèle économique : c’est le contribuable – et non plus l’automobiliste – qui indemnisera les compagnies autoroutières puis qui financera les autoroutes, même s’il n’a pas de voiture.

Et taxer les superprofits ? Instaurer la gratuité des autoroutes mettrait fin aux superprofits des compagnies autoroutières, et même au contrat lui-même avec l’État. Donc il n’y aurait plus rien à taxer. Benjamin Lucas a-t-il fait allusion aux profits passés qu’il faudrait taxer ? Là encore, deux obstacles : d’abord, un impôt ne peut être rétroactif que sur l’année en cours. Seraient donc visés les seuls profits réalisés en 2024. Ensuite, il y a encore le contrat de concession. Ce serait trop facile pour l’État de conclure un contrat avec les sociétés autoroutières selon un équilibre économique négocié, puis de rompre cet équilibre en contournant le contrat par la fiscalité. C’est entre autres ce qu’a affirmé le Conseil d’État dans un avis du 8 juin 2023.

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Rodolphe Saadé (propriétaire de BFM-TV et RMC) ne veut pas que les chaînes du groupe aient une “attitude agressive vis-à-vis de l’actionnaire”

Rodolphe Saadé, après avoir racheté le groupe Altice Média, qui comprend BFMTV et RMC, avait fait savoir qu’il n’apprécierait guère « une attitude agressive vis-à-vis de l’actionnaire », par exemple si un hypothétique scandale affectant les autres activités du groupe devait être placé à la une par les rédactions. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes.

Les lois du 29 juillet 1881 relatives à la liberté de la presse et du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication comportent plusieurs dispositions visant à prévenir toute velléité d’intervention des actionnaires dans les rédactions. La loi conforte ainsi la liberté pour les journalistes de mener des investigations sur tout sujet d’intérêt général et d’en faire connaître les résultats conformément à leur déontologie professionnelle. Toute rédaction est aussi censée disposer d’une charte fixant sa ligne éditoriale ainsi que ses principes déontologiques. En somme, les journalistes sont libres de traiter de tout sujet d’intérêt général, y compris ceux qui intéressent les activités économiques de leur actionnaire principal, sans qu’il y ait « agressivité ».

S’agissant du droit européen, le règlement européen du 11 avril 2024 sur la liberté des médias apporte une réponse plus nuancée que la loi française en tenant compte de la nécessité de concilier l’objectif d’encourager l’indépendance éditoriale avec “les droits et les intérêts légitimes des propriétaires de médias privés, tels que le droit de déterminer la ligne éditoriale du fournisseur de service de médias et la composition de leurs équipes éditoriales”. Il appartient à la seule Cour de justice de l’Union européenne d’interpréter ce règlement, mais l’esprit général de ce texte est de créer des garde-fous, spécifiquement en faveur des médias de service public, jugés plus susceptibles de subir des ingérences étatiques

Si Rodolphe Saadé imposait une ligne éditoriale aux rédactions des médias audiovisuels, la sanction interviendrait au stade de l’attribution ou du renouvellement des autorisations d’usage des fréquences. L’ARCOM n’intervient toutefois pas sur les autres médias.

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