Chez les Surligneurs : La mise en oeuvre du CETA constitue-t-elle une fraude démocratique ?

Publié le 19/04/2024

Le CETA peut-il s’appliquer sans avoir été ratifié par les parlements des États membres ? Oui, contrairement à ce qu’assure Léon Deffontaines, les Surligneurs vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent également sur les missions des polices municipales, l’existence ou non d’un droit de veto européen ainsi que sur un projet de grande mosquée à Marseille. 

Chez les Surligneurs : La mise en oeuvre du CETA constitue-t-elle une fraude démocratique ?

Léon Deffontaines (PCF) : « Le CETA est en œuvre alors qu’il n’a jamais été voté par l’Assemblée nationale, c’est une fraude démocratique »

Les candidats à l’élection européenne ont débattu de la politique commerciale de l’UE, et notamment de l’accord de libre-échange CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) conclu entre l’UE et le Canada. Léon Deffontaines, tête de liste PCF a déclaré que cet accord, qui n’a pas été ratifié par le Parlement national, est une « fraude démocratique« .

Certes, l’Assemblée nationale française n’a pas encore ratifié le CETA, mais le Parlement européen a approuvé ce traité de libre-échange en février 2017. Or, cette institution est composée de députés européens élus au suffrage universel direct par les citoyens de l’UE. Ce vote a par conséquent la même légitimité démocratique qu’un vote à l’Assemblée nationale.

Pour autant, le Parlement européen n’a pas approuvé la totalité du traité. Il s’est prononcé sur ce qui relève de la compétence exclusive de l’UE, à savoir la « politique commerciale commune« , qui a été confiée à l’UE par les États membres (article 3 du TFUE). Or, le CETA, puisqu’il régit les relations commerciales entre l’Union et des États tiers, porte à 90 % sur la politique commerciale. Cela explique que le CETA puisse s’appliquer sans ratification des parlements nationaux des États membres. Faire autrement et exiger une ratification de l’Assemblée nationale impliquerait de réviser les traités européens et de supprimer la compétence exclusive de l’UE sur la politique commerciale.

Si 90 % des dispositions du CETA relèvent de l’Union, les 10 % restants relèvent en effet des États membres car ils concernent les investissements et le règlement des différends entre les entreprises européennes et canadiennes, avec notamment l’instauration de tribunaux d’arbitrage. Dans ce domaine, l’UE n’a pas de compétence exclusive mais seulement partagée entre l’Union et les États membres.

Cela explique que le CETA ne s’applique pas encore sur ces questions, l’Union ne pouvant décider seule. On attend donc que chaque État membre ratifie ces 10 %, chacun selon la procédure en vigueur dans sa Constitution. Pour l’instant, seuls dix États membres n’ont pas encore ratifié ces 10 %, dont la France, qui en vertu de la Constitution ne pourra le ratifier qu’après approbation du Parlement. Or, l’Assemblée nationale avait approuvé ce texte dès 2019, mais le Sénat l’a rejeté le 21 mars dernier. L’Assemblée nationale doit désormais se prononcer de nouveau.

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Selon Marc Etcheverry (élu écologiste), la mission de la police municipale est d’assurer la tranquillité publique et c’est à la police nationale d’assurer la sécurité publique

Le Conseil municipal de Bordeaux du mardi 9 avril a connu un débat agité autour de la sécurité dans la ville. L’opposition de droite, représentée par Nicolas Florian, proposait de doter la police municipale bordelaise d’ »armes létales« . Tandis que l’adjoint à la sécurité, Marc Etcheverry, déclarait que les policiers municipaux, s’ils étaient dotés d’armes létales, sortiraient de leur rôle, qui ne serait selon lui que d’assurer la « tranquillité publique« , et pas de « faire progressivement des actes qui relèvent de la sécurité publique« . Or le droit ne cantonne pas les policiers municipaux au maintien de la tranquillité publique.

En effet, le maire d’une commune est doté du pouvoir de police administrative municipale. La police administrative municipale « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique » (article L2212-2 du CGCT). L’expression « tranquillité publique » apparaît dans le paragraphe 3 du même article, et s’entend des mesures destinées à empêcher les troubles du voisinage, les attroupements, les bruits excessifs, etc.

En somme, la mission de la police municipale est aussi de préserver la salubrité publique, par exemple en luttant contre l’habitat insalubre, ainsi que la sécurité publique, qui se traduit entre autres par la mise en place de mesures visant à prévenir les atteintes aux personnes et aux biens par des surveillances.

Le maire exerce cette police municipale soit par lui-même, soit en faisant appel aux forces de l’ordre nationales, soit encore en dotant sa commune d’une police municipale (article L. 511-1 du CSI). En somme, il appartient au maire de définir les compétences de la police municipale, qu’il peut parfaitement cantonner à la tranquillité publique.

Marc Etcheverry exprime donc moins un choix politique local qu’une obligation juridique, qui n’existe pas en l’occurrence. Il ne peut non plus justifier son choix par le fait que la sécurité publique relèverait uniquement des forces de l’ordre nationales, car la police nationale et la gendarmerie ont aussi en charge la tranquillité et la salubrité publiques.

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Raphaël Glucksmann (Place Publique-PS) souhaite « abolir le droit de veto » dans l’UE. Il confond unanimité et veto, même si en pratique cela ne change rien

Raphaël Glucksmann, tête de liste Place Publique – Parti Socialiste pour les élections européennes souhaite réformer la fiscalité européenne. Mais comme il sait que certains États membres s’y opposeront alors qu’une telle réforme suppose l’unanimité des 27 États membres, il propose d’abolir ce qu’il appelle le « droit de veto« , qui permet à un seul État membre d’empêcher une prise de décision devant se faire à l’unanimité des 27.

Reste que le droit de veto n’existe pas formellement en droit au sein de l’Union européenne comme il existe au Conseil de sécurité des Nations unies. Le résultat n’est certes pas très différent : un État bloque tous les autres. Mais juridiquement et symboliquement, la démarche est très différente.

L’unanimité est requise par les traités pour les sujets sur lesquels les États membres ont voulu sauvegarder leurs intérêts. En somme, une seule voix dissonante et la proposition est rejetée, ce qui revient à un veto dans les faits mais cela reste un refus d’un État, qui n’engage que lui et ne constitue pas en droit un droit de veto comme on peut le rencontrer devant les instances de l’ONU. En matière de fiscalité, le Conseil, réunissant les ministres des États membres, décide seul et à l’unanimité de ses 27 membres (article 113 du TFUE). En  cas de vote à l’unanimité, chaque État doit être d’accord avec une proposition, ou s’abstient, pour que cette proposition soit adoptée.

Le droit de veto à l’ONU est accordé aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. C’est une règle de l’unanimité “sélective”, limitée aux cinq membres permanents, auxquels la Charte reconnaît la faculté de s’opposer aux vœux des autres membres. Juridiquement, c’est la reconnaissance d’un pouvoir de blocage. Les autres États membres des Nations unies ne disposent pas de ce droit de veto, qui marque symboliquement ainsi une prépondérance – très contestée au demeurant – de cinq États sur tous les autres.

Juridiquement et symboliquement, le veto et l’unanimité n’ont pas la même portée : le droit de véto en vigueur à l’ONU crée une « caste d’États » au-dessus des autres, alors que la règle de l’unanimité du droit européen souligne au contraire l’égalité entre tous les États membres. C’est pourquoi bien des États membres tiennent à cette règle pour sauvegarder leurs intérêts propres, et obtenir au besoin des dérogations aux traités pour ne pas bloquer les autres États. Sans cette règle, bien des petits États européens auraient refusé d’intégrer l’UE.

Reste qu’en pratique, ces deux procédures ont les mêmes conséquences. Raphaël Glucksmann souhaite seulement limiter les cas de vote à l’unanimité et donc réformer les traités européens. Il lui faudra l’unanimité pour obtenir cette réforme…

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Stéphane Ravier insinue que le maire de Marseille a annoncé que « la mairie allait céder (gratuitement ?) un terrain pour construire une belle et grande mosquée »

À Marseille, le 2 avril 2024, le maire Benoît Payan a déclaré qu’il avait décidé de « céder le terrain qui est à côté [de la mosquée] » pour pouvoir faire une « belle et grande mosquée. » Cela n’a pas manqué de faire réagir le sénateur Reconquête! Stéphane Ravier, qui s’est exprimé sur X, insinuant que “la mairie allait céder (gratuitement?) un terrain”. Qu’implique réellement la déclaration du maire, et peut-il céder un terrain « gratuitement » pour la construction d’une mosquée ?

Tout d’abord, le maire n’a pas déclaré vouloir céder « gratuitement » le terrain jouxtant la mosquée, et rien dans sa prise de parole ne va dans ce sens. Et même si tel était le cas, cette cession à titre gratuit serait sans doute illégale. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé qu’un bien appartenant à une personne publique ne saurait être cédé à vil prix, c’est-à-dire en dessous de sa valeur vénale. Cependant, cette règle n’interdit pas de céder un bien à prix modique si la vente est justifiée par des considérations d’intérêt général et qu’il existe des contreparties suffisantes pour la collectivité. Notons que les cultes ne sont plus un service public depuis 1905.

Par conséquent, le maire ne peut pas céder gratuitement le terrain, ni, s’il le vend, le faire à vil prix, sauf considération d’intérêt général.

En dehors de la cession, la commune peut toutefois conclure un bail emphytéotique administratif (BEA) cultuel. Il s’agit d’une location d’un bien immobilier public sur une période longue. En général, dans de tels contrats, le loyer est très faible, toutefois l’opération se veut économiquement équilibrée : elle n’est pas considérée comme une subvention dans la mesure où, en fin de bail, la personne publique deviendra propriétaire des constructions (article L. 1311-2 du CGCT).

Les conditions sont énumérées : 1/ le bail sur le terrain doit être accordé à une association cultuelle, en vue d’y construire un édifice du culte à ses propres frais; 2/ l’emphytéote (c’est-à-dire le locataire) verse une redevance qui ne dépasse pas un montant modique; 3/ une fois le bail expiré, la collectivité voit l’édifice construit incorporé dans son patrimoine.

Le Conseil d’État avait ainsi validé le procédé du BEA cultuel portant précisément sur une mosquée à Montreuil-sous-Bois. Dans le cas de Marseille, un BEA cultuel pourrait alors sans doute être conclu, puisqu’il existe une association cultuelle de Frais-Vallon. Mais attention aux conséquences : à la fin du contrat, la mosquée érigée deviendra propriété de la commune, qui devra alors en assumer l’entretien, au même titre que pour les églises.

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