Chez les Surligneurs : le refus du vote de confiance par le Premier ministre est-il « anticonstitutionnel »?
Le refus par la nouveau Premier ministre Gabriel Attal de se soumettre au vote de confiance est-il anticonstitutionnel, comme le soutient le député LFI Éric Coquerel ? Les Surligneurs vous répondent. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur la possibilité d’un référendum sur l’immigration, les règles de nomination d’un gouvernement et le chèque-Noël refusé à une famille d’émeutier par le maire de Villeneuve-Le-Roi.
Pour Éric Coquerel, le refus du vote de confiance par le Premier ministre est « anticonstitutionnel »
Une semaine après sa nomination en tant que Premier ministre, Gabriel Attal a fait savoir qu’il ne se soumettrait pas à un vote de confiance des députés, et qu’il se bornera à prononcer un discours de politique générale. Une pratique « anticonstitutionnelle » selon le député LFI Éric Coquerel. Les constitutionnalistes ne sont pas de cet avis.
Le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution prévoit que « le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement » sur son programme à l’issue d’une déclaration de politique générale. Cette déclaration est alors suivie d’un un vote dit « de confiance. »
Alors même que ce texte est rédigé au présent, très tôt, les premiers ministres ont estimé qu’ils n’étaient pas obligés d’engager leur responsabilité lors de leur entrée en fonction. Dès 1966, Georges Pompidou affirmait que le gouvernement est « entièrement libre de demander ou non un vote de confiance. » Suivant cette interprétation, les premiers ministres à la tête d’une majorité relative à l’Assemblée nationale se sont abstenus d’engager leur responsabilité. Cette interprétation de l’article 49 alinéa 1 est confortée par les travaux préparatoires de la Constitution.
En conséquence, la majorité des constitutionnalistes considère que le Premier ministre n’est, en définitive, pas obligé d’engager sa responsabilité, d’autant que l’article en question ne mentionne aucune période précise durant laquelle le Premier ministre devrait engager la responsabilité de son gouvernement.
Toutefois une minorité de constitutionnalistes retient une interprétation stricte de l’article 49 alinéa 1, avec pour argument qu’il ne faut pas confondre le texte et la pratique politique. Reste que même en retenant cette interprétation, aucune sanction n’est prévue pour non-respect de cette obligation. À une nuance près, importante. S’ils estiment que le Premier ministre aurait dû engager la responsabilité de son gouvernement, les députés sont fondés à prendre eux-mêmes l’initiative d’engager cette responsabilité en déposant une motion de censure (article 49 alinéa 2 de la Constitution).
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Selon le député Julien Odoul : « Ce n’est pas impossible de faire un référendum sur l’immigration, c’est une question de volonté politique »
En attendant la décision du Conseil constitutionnel sur la loi immigration adoptée par le Parlement en décembre dernier, Julien Odoul, député RN, a déclaré sur le plateau de France Info que la question de l’immigration doit être traitée par la voie du référendum. La journaliste qui conduisait à l’interview lui a alors rétorqué que c’est impossible en l’état actuel de la Constitution. « Pas impossible » selon le député, c’est une question de « volonté politique ». Et en droit, comment cela se passe-t-il ?
L’article 11 de la Constitution, auquel semble se référer la journaliste de France Info, encadre la pratique du référendum. Le référendum est rendu possible dans un nombre restreint de domaines : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions’. L’immigration ne fait pas explicitement partie de ces domaines, ce que Julien Odoul conteste.
Supposons que le Président soumette un référendum sur l’immigration au peuple, c’est le Conseil constitutionnel, chargé de veiller à la régularité du référendum (article 60 de la Constitution) qui décidera si cette initiative est conforme à l’article 11.
Dans le cas très probable où le Conseil écarte la possibilité de faire un référendum sur l’immigration selon son interprétation de la Constitution, il est toujours possible de modifier l’article 11 en passant par l’article 89 qui permet toute modification de la Constitution à l’exception de la forme républicaine du gouvernement. Il conviendrait donc de modifier l’article 11 pour y intégrer explicitement l’immigration comme susceptible de faire l’objet d’un référendum. Une lourde procédure qui nécessite l’adoption du projet de révision par le Parlement, puis soit par trois cinquièmes des députés et sénateurs réunis en Congrès à Versailles, soit par référendum. Une fois la Constitution modifiée, il sera possible de soumettre une loi sur l’immigration à référendum.
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Quelles sont les règles juridiques qui ont entouré le processus de nomination du nouveau gouvernement de Gabriel Attal ?
Avant la nomination du gouvernement dans son ensemble, le Président va choisir un Premier ministre (article 8 alinéa 1er de la Constitution). Ce choix est très libre pour le Président, car la Constitution ne pose aucune contrainte particulière. Le Président n’est pas obligé de nommer un député, un sénateur, ou un quelconque élu.
Dans la pratique cependant, il nomme une personne avec il s’entend bien politiquement pour faire appliquer son programme. Il existe une hypothèse où son choix est très limité, c’est lors des périodes de cohabitation (c’est-à-dire quand la majorité à l’Assemblée nationale n’est pas identique à la majorité présidentielle) il est alors contraint de nommer un Premier ministre de la majorité parlementaire.
Après la nomination du Premier ministre, il y a la nomination des ministres du gouvernement. La Constitution prévoit que les noms des futurs ministres sont choisis par le Premier ministre, le président de la République n’étant chargé que de leur nomination (article 8 alinéa 2). Mais il a la capacité de refuser des noms de ministre pour le futur gouvernement. La pratique institutionnelle a cependant démontré qu’en réalité que le choix des ministres est fait dans le meilleur des cas par le Premier ministre et le président de la République d’un commun accord ; mais le plus souvent les choix sont faits d’autorité par le président de la République, qui les impose à son Premier ministre.
Comme pour le Premier ministre, on notera que le choix des personnalités qui seront ministres est lui aussi très large, il n’y a toujours pas d’obligations légales de nommer un élu, ou une personne qui est un homme politique, ou même qui est un professionnel de son ministère. Il n’y a pas non plus d’obstacle juridique à nommer une personne qui est mise en examen dans une affaire pénale. Cependant au fil du temps et bien qu’elles ne soient pas imposées par la loi, des obligations se sont installées pour les nominations, comme la parité.
Et le Parlement dans tout ça ? Joue-t-il un rôle dans la nomination du nouveau gouvernement ? Dans un régime parlementaire classique, la nomination d’un nouveau gouvernement est conditionnée par la validation du Parlement, à travers une procédure appelée vote de confiance.
Cependant en France, le vote de confiance est facultatif ce qui est notamment dû à la place prépondérante du président de la République dans les institutions françaises ; par ses pouvoirs constitutionnels considérables et son élection au suffrage universel direct, il est l’organe dominant de la Ve République (article 49 alinéa 1er).
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Le Maire de Villeneuve-le-Roi refuse un chèque de Noël à la famille d’un émeutier et se justifie dans l’émission TPMP
Didier Gonzales, maire de Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne), a expliqué pourquoi il avait refusé d’attribuer à une famille une aide communale de noël de 60 euros : le fils avait participé aux émeutes de juin 2023, contribuant à incendier plusieurs édifices municipaux, ce qui lui avait valu une condamnation à douze mois d’emprisonnement avec sursis. Mais bien que cette aide soit « facultative » comme l’indique le maire, il ne pouvait la refuser sans fondement légal.
En effet, la mairie a créé cette aide « facultative » au sens juridique du terme : cette aide ne résulte donc pas d’une loi mais d’une délibération municipale. Comme pour toutes les aides sociales, cette délibération comporte un barème, des conditions de ressources, des conditions de résidence, et une procédure de demande. Sur le fondement de cette délibération, toute personne répondant aux conditions et se soumettant à la procédure était donc en droit d’obtenir cette aide. Il semble que c’était bien le cas de la famille du délinquant incendiaire.
Une fois qu’une commune décide de créer une aide sociale et alors même que la loi ne l’y oblige pas, elle reste soumise au principe de légalité et à celui d’égalité. Cela signifie donc que les octrois ou les refus ne peuvent être fondés que sur les critères établis par la délibération municipale ayant créé l’aide et que toute personne répondant à ces critères doit pouvoir obtenir cette aide.
Or, il ne semble pas que la délibération municipale créant l’aide ait expressément exclu les familles dont un des membres a commis un délit : ce serait de toutes manières illégal car cela sanctionnerait toute une famille pour les délits d’un seul membre. L’aide financière reposait donc sur des critères classiques énoncés plus haut, et le maire ne pouvait la refuser que sur le fondement d’un de ces critères. À défaut il commet une discrimination illégale.
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Référence : AJU415438