Chez les Surligneurs : L’État de droit ne serait-il ni intangible ni sacré ?

Publié le 04/10/2024 à 12h23

Bruno Retailleau, à peine installé Place Beauvau, a déclenché la polémique en déclarant que l’État de droit n’était ni intangible, ni sacré. Les Surligneurs vous expliquent ce qu’il faut en penser. Cette semaine, ils reviennent aussi sur le dépaysement d’un procès et la constitutionnalité du déploiement de CRS en Martinique.  

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L’État de droit n’est-il “ni intangible ni sacré”, comme l’affirme Bruno Retailleau ?

 À la suite de l’affaire Philippine, Bruno Retailleau, le nouveau ministre de l’intérieur, s’est exprimé pour dire tout ce qu’il pense de l’État de droit et de sa relativité par rapport à la souveraineté populaire : “L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs. Mais la source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain.” Ces propos, s’ils ne sont pas à proprement parler “faux”, s’ancrent dans une certaine vision politique de l’État de droit qui vise à remettre en cause certains droits, ou certains mécanismes visant à les protéger.

L’État de droit signifie que l’État se soumet au droit qu’il crée. C’est le premier critère. Pour autant, penser l’État de droit selon cette définition comporte des limites. Cela revient à dire que l’État peut produire lui-même ses règles, mais également y déroger en produisant de nouvelles règles. Afin d’éviter ce problème, certaines normes sont particulièrement protégées, ce sont les droits fondamentaux, protégés au niveau constitutionnel et/ou international. C’est le second critère de l’État de droit. L’État de droit est donc effectivement relatif dès lors que le peuple souverain ou ses représentants peuvent modifier la Constitution ou dénoncer les traités internationaux.

Cependant les propos du ministre de l’Intérieur sont plus politiques que juridiques. Ils visent à réduire la portée des droits fondamentaux acquis depuis 1789, en y opposant la volonté populaire du moment présent. Il y a donc deux légitimités qui s’affrontent. . Bruno Retailleau semble remettre en cause certaines valeurs fondamentales, arguant qu’elles ne sont plus adaptées. À lui de convaincre le Parlement et éventuellement le peuple, que ces valeurs doivent être actualisées.

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Dépaysement judiciaire : quand la justice change de scène

Le dépaysement consiste à dessaisir un tribunal territorialement compétent et donc en charge d’une affaire, en renvoyant cette dernière auprès d’une autre juridiction plus éloignée. Elle se justifie lorsque le tribunal territorialement compétent risque de ne pas être impartial. Or, c’est ce que reprochent les défenseurs des émeutiers de Nouvelle-Calédonie aux autorités judiciaires locales.

Dépayser l’affaire est une procédure particulière, car elle s’appuie sur des soupçons de manquement au droit à un procès impartial de la part de la juridiction même et pas d’un de ses magistrats. C’est une requête en suspicion légitime, prévue à l’article 665 du Code de procédure pénale.. En l’occurrence, la défense estime que le procureur de Nouméa aurait montré un parti pris contraire à la présomption d’innocence.

Bien que le procureur général ait rejeté cette requête, la défense compte saisir la Cour de cassation pour obtenir un transfert de l’affaire. La Cour aura alors à interpréter la notion de cause de suspicion légitime, définie de manière assez vague dans la loi. Des précédents, tels que l’affaire Bettencourt ou celle des disparues de l’Yonne, montrent que le dépaysement a parfois été accepté pour garantir l’impartialité de la procédure. Toutefois, la Cour de cassation peut également refuser si elle juge les craintes infondées, comme ce fut le cas pour l’affaire du Carlton de Lille.

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Le déploiement des CRS en Martinique est-il vraiment inconstitutionnel ?

Selon certains, le déploiement de CRS en Martinique constituerait une violation des “droits constitutionnels”. En réalité, cette décision n’enfreint aucune norme juridique, mais simplement un accord tacite vieux de soixante-cinq ans et dépourvu de valeur juridique.

Depuis les émeutes de “décembre noir” réprimé de manière disproportionnée en 1959, ce mois de septembre marque le retour des CRS sur le sol martiniquais en raison de violentes émeutes après soixante-cinq ans d’absence.

À l’évidence, la Constitution française ne comporte, ni dans ses articles ni dans ses autres composantes, aucune disposition interdisant le déploiement de CRS en Martinique. Leur arrivée sur le sol martiniquais ne va donc à l’encontre d’aucune norme constitutionnelle.

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