Chez les Surligneurs : Peut-on réquisitionner les biens de ceux qui fuient l’impôt ?
Le député LFI Antoine Léaument rêve de réquisitionner les biens de Bernard Arnault, mais le peut-il ? Les Surligneurs vous répondent. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur les menaces du secrétaire général de la coordination rurale à l’encontre de l’office de la biodiversité et sur la suppression du juge des libertés et de la détention réclamée par la députée européenne Reconquête, Sarah Knafo.
Peut-on réquisitionner les biens de ceux qui “fuient l’impôt” comme l’affirme Antoine Léaument ?
Le 29 janvier dernier, Antoine Léaument, député LFI, a affirmé sur X que l’État pouvait réquisitionner les biens de Bernard Arnault s’il décidait de délocaliser LVMH. Or, une telle réquisition n’existe pas en droit français.
En l’état du droit, le pouvoir de réquisition existe mais dans des cas précis : effort de guerre (Code de la défense), maintien de services publics essentiels (Code de la sécurité intérieure) ou menace pour l’ordre public (Code général des collectivités territoriales). Ces réquisitions sont strictement encadrées et contrôlées par le juge comme l’avaient montré Les Surligneurs à l’occasion de grèves des camionneurs ou de raffineurs.
L’élu insoumis semble vouloir taxer les personnes qui fuient le pays en les obligeant à verser au fisc les biens acquis sur le territoire national, voire confisquer ses biens. Or, aucun texte en France ne le permet actuellement. Il faudrait une modification de la législation fiscale.
Il faudra cependant veiller à ce que le Conseil constitutionnel ne censure pas la mesure, qui pourrait être considérée comme “confiscatoire”. Selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et son article 13, chacun contribue aux dépenses d’administration selon ses facultés, ainsi, sans la mise en place d’une exception constitutionnelle à un principe lui-même constitutionnel, la proposition du député LFI est juridiquement intenable.
Enfin, la réquisition sans indemnisation porterait atteinte au droit de propriété, protégé par l’article 17 de la DDHC, qui le qualifie de « droit inviolable et sacré ». Modifier cet article semble impossible sinon juridiquement, au moins politiquement.
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Que risque le secrétaire général de la coordination rurale après ses menaces contre l’office de la biodiversité ?
Depuis le 31 janvier 2025, les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) sont en grève pour protester contre les critiques du gouvernement et des agriculteurs à leur encontre. En cause : le port d’arme des agents lors des contrôles agricoles, que le Premier ministre François Bayrou a qualifié de « faute » dans son discours de politique générale du 14 janvier.
Le conflit s’est envenimé après une comparaison maladroite faite par un syndicaliste de l’OFB entre les agriculteurs et des dealers refusant la présence de policiers. En réaction, Christian Convers, secrétaire général du syndicat agricole Coordination rurale, a tenu des propos menaçants, affirmant qu’« une voiture de l’OFB qui entre dans une exploitation sera brûlée sur place », tout en précisant que les agents seraient épargnés.
Or, incendier un véhicule de l’OFB constituerait une infraction pénale au titre de l’article 322-6 du Code pénal, qui punit la destruction volontaire de biens par des moyens de nature à créer un danger. De plus, l’article 322-8 prévoit des sanctions aggravées lorsqu’une telle destruction vise une personne dépositaire de l’autorité publique, comme les agents de l’OFB, avec des peines allant jusqu’à vingt ans de réclusion et 150 000 euros d’amende.
Enfin, les déclarations de Christian Convers pourraient être qualifiées de menaces, répréhensibles en vertu des articles 322-12 et suivants du Code pénal.
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Peut-on supprimer le juge des libertés et de la détention pour assurer l’exécution des peines comme le dit Sarah Knafo ?
Le 27 janvier, Sarah Knafo, députée européenne Reconquête, a proposé de supprimer le juge des libertés et de la détention (JLD) pour garantir que les peines prononcées soient effectivement exécutées. Or, cette proposition repose sur une confusion majeure : le JLD n’a aucune compétence en matière d’exécution des peines.
Le JLD intervient en amont du procès, notamment pour décider du placement en détention provisoire ou du contrôle judiciaire des personnes mises en examen. C’est le juge de l’application des peines (JAP) qui est chargé de l’aménagement et du suivi des peines après condamnation.
Le JLD est apparu avec la loi du 15 juin 2000. C’est un magistrat spécialisé en matière de liberté individuelle. Son champ de compétence est relatif à la détention provisoire des personnes mises en examen et à ses alternatives. Il n’intervient qu’en amont du procès pénal.
Le magistrat chargé de l’application des peines a le pouvoir d’ordonner, modifier, ajourner ou révoquer les mesures de sursis probatoire, de permission de sortie, mais aussi de prononcer des aménagements de peine, comme la libération conditionnelle, il intervient donc après le procès pénal, en aval.
Sarah Knafo semble donc viser le JAP, qu’elle accuse de libérer arbitrairement des détenus. Pourtant, ses décisions sont strictement encadrées par le Code de procédure pénale; elles sont soumises à recours et prises après avis du procureur. Le JAP n’agit pas seul et ne peut libérer un condamné sans respecter des critères précis prévus par les textes.
En outre, si supprimer le JAP est possible, car son existence n’est pas une exigence constitutionnelle, cela ne mettrait pas fin aux aménagements de peine, qui découlent du principe d’individualisation des peines, reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle. Ce principe impose d’adapter la sanction à l’évolution du condamné. Si le JAP disparaissait, il faudrait une autre autorité pour assurer cette mission.
En somme, la proposition de Sarah Knafo repose sur une confusion et néglige un principe fondamental du droit pénal français.
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Référence : AJU496516
