Chez les Surligneurs : Non, J. Bardella, on ne peut pas privilégier les entreprises françaises dans les marchés publics

Publié le 24/11/2023

Comme d’autres politiques avant lui, Jordan Bardella (RN) déclare souhaiter que les entreprises françaises soient prioritaires dans les marchés publics. L’ennui, c’est que le droit européen s’y oppose. Les Surligneurs vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur le blasphème et la pornocriminalité. 

Chez les Surligneurs : Non, J. Bardella, on ne peut pas privilégier les entreprises françaises dans les marchés publics

Jordan Bardella : “Les entreprises françaises doivent être prioritaires dans les marchés publics”

Jordan Bardella, député européen et président du RN, milite pour la mise en place d’une priorité aux entreprises françaises dans l’attribution des marchés publics. Or, aussi bien le droit de l’Union européenne que le principe constitutionnel d’égalité n’autorisent aucune préférence fondée sur la nationalité dans la commande publique.

En effet, le droit de l’Union européenne prohibe toute “discrimination exercée en raison de la nationalité“, ce qui interdit les États d’instaurer une politique de préférence nationale en matière économique (art. 18 TFUE). Par conséquent, la Cour de justice de l’Union européenne interdit les mesures qui réservent l’attribution de marchés publics aux seules entreprises disposant d’une implantation sur le territoire national.

De même, l’égalité de traitement entre les entreprises et la liberté d’accès aux marchés publics sont des principes fondamentaux de la commande publique, à valeur constitutionnelle comme l’a précisé le Conseil constitutionnel. Une commune qui choisirait un prestataire pour un motif strictement géographique verrait donc son marché annulé par les tribunaux interne.

S’il n’est pas possible de faire de la présence en France un critère d’attribution des marchés publics, il n’est toutefois pas interdit de prévoir des mesures indirectes compatibles avec le droit européen. Plusieurs lois récentes vont dans ce sens. Par exemple, la loi ASAP, adoptée en 2020, réserve une partie de certains grands marchés publics aux TPE-PME : de fait, les TPE-PME originaires d’un autre État membre de l’Union européenne, voire hors Union européenne, n’auront pas toujours les moyens de présenter une candidature en France, ce qui favorise indirectement les PME nationales et locales.

De même, la loi Climat renforce la place des critères liés à l’environnement dans la commande publique (par exemple les circuits courts ou la réduction des transports) ce qui peut avoir pour effet de favoriser des entreprises locales ou des entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Enfin, le droit européen autorise déjà un acheteur public à privilégier les entreprises européennes par rapport à des entreprises extra-européennes, dans le but de protéger l’environnement ou pour des considérations sociales.

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En Suède, on peut brûler un Coran en place publique. Et en France ?

Alors que le Danemark s’apprête à voter une loi pour interdire les atteintes publiques aux livres saints, visant les autodafés de Corans et autres ouvrages religieux, la Suède envisage également de revoir sa législation en raison de plusieurs événements où un individu brûlait le Coran en plein Stockholm, en réclamant son interdiction. Est-il possible, en France, de brûler un livre saint en pleine rue ou sur les réseaux sociaux ?

En France, le délit de blasphème n’existe pas. Ce délit, très flou, est souvent utilisé par des dictatures pour maintenir le régime en place, tant il permet de contourner l’État de droit. Cela signifie que brûler un livre saint en France n’est pas un délit. Aucune condamnation pénale ne peut donc être encourue par celui qui brûle un Coran, une Torah ou un Nouveau Testament publiquement, si l’intention n’est pas d’inciter à la haine, mais de faire passer une opinion politique ou philosophique, même par des procédés choquants. Mais l’autorité de police peut-elle l’interdire dans le cadre d’une manifestation ?

Peut-on imaginer un individu ou une association déclarant une manifestation à la préfecture, sur le thème d’un autodafé de Corans ? Il y a toutes les chances que cette manifestation soit interdite de manière préventive, sur le fondement d’un risque de troubles à l’ordre public. Et si, durant une manifestation autorisée cette fois, certains se mettent à brûler un Coran, la police serait fondée à tenter de faire cesser ces agissements, là encore au nom de l’ordre public.

La notion d’ordre public, en France, comporte deux facettes : 1/ l’aspect matériel, qui porte sur la sécurité concrète des personnes, leur santé, leur tranquillité ; 2/ l’aspect dit immatériel, qui porte sur le respect de la dignité humaine mais aussi la préservation de la cohésion nationale et la prévention de certains délits comme la provocation à la haine quelle qu’elle soit (CE 27 octobre 1995).

Reste que brûler un livre saint ne semble pas, au sens de cette jurisprudence, porter atteinte à la dignité de la personne, si cet acte ne s’accompagne pas de provocations à la haine.

L’autorité de police est également fondée à interdire un spectacle, une manifestation, une réunion publique ou toute autre mode d’expression, dès lors : 1/ que risquent de s’y commettre des délits (l’incitation ou la provocation à la haine constituent bien un délit) 2/ que cet événement tend à diviser la nation en appelant à exclure de la communauté nationale toute une catégorie de personnes (CE 9 janvier 2014). Dans ces conditions, brûler un coran peut être interdit si le message sous-jacent tend à propager la haine des musulmans et à signifier qu’ils ne font pas partie de la nation française.

Mais il existe un autre levier d’action pour la police administrative : on omet souvent une composante très ancienne de l’ordre public qui envisage le cas où un spectacle, une activité, heurte la sensibilité de certaines personnes (CE 11 mai 1977). Assurément, brûler un livre saint heurte la sensibilité des pratiquants concernés et peut provoquer des troubles graves en réaction, voire porter atteinte à la sécurité nationale en risquant des attentats fomentés depuis l’étranger. L’autorité de police serait fondée à l’interdire en France, même si l’auteur de cet autodafé n’entend pas provoquer à la haine, se limitant à un message politique ou philosophique. En somme, si on a le droit de choquer pour sensibiliser, on doit s’abstenir de heurter une catégorie de la population, ce qui rejoint d’ailleurs l’objectif de préservation de la cohésion nationale.

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Rapport sur la pornocriminalité : une lutte plus ferme contre l’impunité de l’industrie pornographique

L’article 227-24 du code pénal interdit notamment le fait de « le fait (…) de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère (…)  pornographique” et qui définit une peine de “trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Début 2023, la Cour de cassation a apporté une précision importante à propos de cet article qui s’applique « y compris si l’accès d’un mineur aux messages résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans » (Cass. civ. 5 janvier 2023). Les éditeurs de vidéos pornographiques doivent donc trouver une parade plus efficace que la simple déclaration d’âge, pour éviter que des mineurs aient accès à leurs contenus, sous peine de se voir condamnés.

​C’est dans ce contexte que le Haut Conseil de l’Égalité entre les hommes et les femmes (HCE), a publié récemment un rapport sur l’expansion de la pornocriminalité, qui pointe les risques ​encourus en raison de la consommation ​​toujours plus massive de contenus​, par des utilisateurs toujours plus jeunes.  ​​

​Le​ rapport ​rel​ève​​ l’existence de dizaines de catégories de vidéos pornographiques, dont certaines sont particulièrement violentes, favorisant l’apologie d’un​e haine misogyne et d’une culture du viol. Il est notamment possible de visionner à travers ces vidéos des agressions sexuelles (art. 222-27 du code pénal), des viols (art. 222-23), de la pédocriminalité (art. 222-22), de la pédopornographie (art. 227-23-1), autant d’infractions pénalement répréhensibles, tout comme le partage de ces dernières sur les réseaux, car elles incitent à la violence et à la haine (L. 29 juill. 1881, article 24). ​​Selon le HCE, l​​​a multiplication de ce genre de vidéos mettant en scène des actes illégaux, et leur accès facile, ont pour effet d’altérer la vision d’une sexualité saine pour les consommateurs.

Selon le HCE, le tabou qui entoure la pornographie contribue à ce que les plateformes diffusant du contenu illégal continuent de bénéficier d’une « fausse croyance de légalité ». Pour signaler des contenus manifestement illicites sur le net, il existe une plateforme appelée « PHAROS » chargée de centraliser les signalements, mais ses résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. En effet, l’article 6-I-7 de la LCEN tend à prévenir la pornographie mettant en scène des enfants, l’incitation à la violence, notamment aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que les atteintes à la dignité humaine, par des dispositifs de répression, en particulier grâce aux signalements. Pourtant, malgré les nombreux signalements dont ils font l’objet, les contenus pornographiques violents, sexistes, ​à base de tortures et de traitements dégradants, ne sont pas retirés des sites pornographiques.

Ce constat confirme les risques d’exposition des mineurs à la pornocriminalité, ce qui est contraire à l’article 227-24 du code pénal, qui oblige à installer des dispositifs filtrant à l’entrée sur les sites en question. La CNIL affirme que « le RGPD ne s’oppose pas à un contrôle de l’âge en ligne pour l’accès aux sites pornographiques », et ajoute ​même qu’il pourrait être envisageable de mettre en place un contrôle grâce à l’utilisation de la carte bancaire.

Selon le ​HCE​​, les instances européennes doivent « se saisir de cette problématique », en commençant par soutenir le projet de règlement européen sur la pédocriminalité en ligne, qui propose d’inclure la pornographie au titre de l’exploitation sexuelle dans la directive européenne du 5 avril 2011 sur la traite des êtres humains. De même, le HCE enjoint les autorités d’agir plus fermement, en définissant juridiquement la prostitution et le proxénétisme, pour pouvoir mieux appliquer les lois nationales en cas de contentieux. Il affirme aussi qu’il est nécessaire de mettre en place une politique pénale assimilant certaines formes de pornographie à des violences sexistes et sexuelles, en se basant sur des infractions existant déjà : exposition des mineurs à la pornographie (art. 227-23 C. pén.), pédopornographie (art. 223-27), provocation à la haine et à la violence (loi 29 juil. 1181, art. 24). Le HCE prône également une formation des magistrats sur cette question, en intégrant un module sur la pornocriminalité lors de leur formation initiale et continue.

Le HCE somme enfin la plateforme de signalement Pharos à agir efficacement, grâce à une collaboration avec les autorités compétentes et les fournisseurs d’accès Internet (article 6-1 de la loi du 21 juin 2004).

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