La nouvelle communication en opportunité du procureur de la République

Publié le 01/02/2023

La Chancellerie a publié le 19 janvier dernier une circulaire relative à l’application de l’article 11 du Code de procédure pénale réformé par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Le nouveau texte introduit d’importants changements dans la manière dont le procureur de la République est habilité à communiquer dans une affaire en cours, dans le but de satisfaire les attentes des médias et notamment des chaines d’information en continu. Les explications de la magistrate Valérie-Odile Dervieux. 

La nouvelle communication en opportunité du procureur de la République
Photo : ©AdobeStock/ Aliaksei

La loi du 22 décembre 2021 « pour la confiance dans l’institution judiciaire » entend faire du seul magistrat habilité à rendre public des informations sur une affaire en cours, le procureur de la République, un « meilleur » communicant : plus pertinent, plus réactif, plus « attentif » aux « revendications » des médias d’information en continu et mieux « entouré ».

Mouvement de fond ?

Une circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice du 19 janvier 2022 relative à « la présentation et la mise en œuvre des nouvelles dispositions de l’article 11 du Code de procédure pénale (CPP), issues de la loi du 22 décembre 2021 », finalise le mouvement, initié dès sa nomination par l’actuel ministre de la justice, tendant à faire de la « communication justice », un axe essentiel de la politique pénale.

Il s’est d’abord agi de « professionnaliser » cette communication en faisant appel aux services d’une agence de communication pour « des prestations de conseil stratégique initial pour la mise en œuvre d’une communication de crise »[1] aux fins d’assister le procureur dans sa communication de crise.

On ne sait si le marché attribué le 29 avril 2022, pour un montant de 500 000 euros[2]/an, au cabinet « Crisalyde » dont l’accroche est « faire de la crise une opportunité de progrès »[3], a été actionné, par qui et dans quelles conditions.

Pourtant la question de la compatibilité de cette prestation de service avec le secret de l’enquête et de l’instruction se pose.[4]

Il s’est agi ensuite d’autoriser l’enregistrement et la diffusion des audiences[5] avec le lancement fin octobre 2022 de l’émission « Justice en France »[6].

La modification de l’article 11 du CPP, est donc le dernier étage de la « fusée com » et certainement le plus sensible.

Elle élargit en effet le domaine et les modalités de communication du procureur de la République sur une « affaire » et invite de nouveaux acteurs – procureur général et OPJ –  à y participer.

Vers une communication destinée aux « chaînes d’information en continu » ?

Il n’est pas inutile de rappeler que la possibilité pour le procureur de République de communiquer sur une affaire en cours a été introduite par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Le cap était fixé par le titre même de la loi.

L’article 11 du CPP issu de cette loi reprenait le principe du secret (« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète »), la manière dont il était sanctionné pénalement et créait un cadre dans lequel le seul procureur de la République pouvait s’exprimer sur les affaires en cours avec :

*Un but : « éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public » ;

*Un décideur, des demandeurs : la communication est décidée par le procureur « d’office, à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties » ;

*Un objet et une limite : « rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure sans porter d’appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».

La loi du 22 décembre 2021, outre le renforcement des sanctions pénales en cas de violation du secret, fait passer, selon la formule de la circulaire, le droit de communiquer du parquet dans une autre dimension : celle des « revendications des chaînes d’information en continu ».

L’art 11 ajoute en effet au droit du parquet de communiquer sur une procédure en cours :

*Un nouveau but : « Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ou lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie »,

*De nouveaux communicants délégués : le procureur de la République peut désormais, directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire agissant avec son accord et sous son contrôle, rendre publics des « éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».

Version en vigueur du 16 juin 2000 au 24 décembre 2021Modifié par Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 – art. 96 () JORF 16 juin 2000
Version en vigueur depuis le 24 décembre 2021Modifié par LOI n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 – art. 4
Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.

Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des article 2626-13 et 226-14 du code pénal.

 

Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.

 

Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.

Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues à l’article 434-7-2 du code pénal.

Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ou lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire agissant avec son accord et sous son contrôle,rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause

 

Élargissement du domaine de la communication

Cet élargissement des objectifs de la communication judiciaire transforme radicalement l’objet et le sens du rôle du parquet dans ce domaine : on passe en effet d’une communication liée par l’ordre public et le respect de la présomption d’innocence à une communication qui peut aussi être motivée par « tout autre impératif d’intérêt public ».

La teneur, le contour et les limites de cette « nouvelle frontière » de l’art 11 CPP interpellent et ce d’autant plus que, paradoxalement, ce changement de nature – de la nécessité à l’opportunité – n’est l’objet d’aucun développement dans la circulaire du 9 janvier 2022.

Élargissement des acteurs

La circulaire ne s’attache en effet qu’à la détermination des modalités par lesquelles le procureur de la République peut désormais déléguer voire subdéléguer son « pouvoir » de communiquer sur une affaire en cours pour répondre à une « revendication des médias, et en particulier les chaînes d’information continue » et confie au procureur général un nouveau rôle de « surperviseur ».

Critères

La circulaire précise à cet effet qu’il relève de la compétence du procureur de la République de :

– définir avec les chefs des services d’enquête, le « cadre précis » dans lequel ceux-ci sont autorisés à communiquer, à subdéléguer cette communication,

– d’en fixer les modalités de contrôle (a priori, a posteriori),

et de la compétence des procureurs généraux d’harmoniser le cadre via des directives prenant en compte les « spécificités locales ».

La circulaire distingue :

– les affaires relevant de la « délinquance du quotidien » pour lesquelles il convient de « fluidifier la communication » en déléguant la communication de l’art 11 du CPP aux officiers de police judiciaire (OPJ) désignés par le procureur en lien avec le chef d’enquête ;

– les affaires dites « sensibles » en raison de la gravité/complexité des faits, du besoin de suivi spécifique, de la personnalité de l’auteur ou de la victime, de l’émotion/émoi suscité par l’affaire, de la mise en cause de l’action de l’État et de l’intérêt des médias nationaux ou internationaux, qui doivent rester dans le giron « com » du seul procureur de la République.

Délégation permanente ?

Dans un but de « réactivité, pédagogie, information et prévention », de « valorisation opportune » de l’action des enquêteurs, la circulaire préconise la possibilité de déléguer aux OPJ, de manière permanente, le droit de communiquer sur les « affaires courantes du quotidien » à « faible intensité médiatique » dans le cadre d’une autorisation précisant des catégories d’infractions ou de faits, les supports de communication» sous le contrôle préalable, concomitant ou postérieur du parquet.

Rappels

Enfin, la circulaire rappelle les limites de « toute communication judiciaire » :  déléguée ou non, elle doit respecter l’article 11 du code de procédure pénale en ces termes : « vigilance absolue quant au respect de la présomption d’innocence », « préservation de l’efficacité des investigations ».

La circulaire rappelle les risques juridiques du métier :

*la présence de journalistes au cours d’un acte d’enquête fait, au terme d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, encourir des nullités de procédure ;

*l’atteinte à la présomption d’innocence par médias interposés a des effets sur l’enquête diligentée par le parquet en application de l’article 77-2 II 3° 2 du code de procédure pénale introduit par la loi confiance.

Des questions restent en suspens

Sur les préconisations de la circulaire :

*Quelle valeur juridique pour la possibilité de délégation permanente du pouvoir de communiquer du procureur aux OPJ et de subdélégation subséquente non prévue par les textes ?

*Quelle valeur juridique pour des objectifs de communication et de valorisation de l’action policière énoncés par la circulaire pour justifier la com déléguée aux OPJ mais non prévus par l’article 11 du CPP

*Quel lissage « com » par les parquets généraux ?

Sur la portée du nouvel article 11 CPP :

Comment s’articulent le nouvel article 11 CPP et sa circulaire avec le marché Crisalyde ?

La possibilité, selon la circulaire, de déléguer de manière permanente la communication aux OPJ, crée-t-elle un risque de glissement com parquet/com préfet , au regard de la nouvelle organisation de la police issue de LOPMI 3 qui vient d’être promulguée (loi  n° 2023-22 du  4 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur ; JO du 25/01/2023)

A l’heure où les avocats mettent régulièrement en cause la teneur des communications des procureurs[7] au nom de l’équilibre des parties et du principe du caractère équitable du procès, comment empêcher les éventuelles dérives ?

Les avocats auront-ils leur mot à dire sur les délégations initiées par le procureur de la République ?

Et enfin, quelle étude d’impact, quelle évaluation, quel suivi ?

[1]Accord-cadre services de conseil et d’accompagnement en communication de crise pour le ministère de la justice (centraledesmarches.com/marches-publics/PARIS-CEDEX-01-ministere-de-la-justice-Accord-cadre-services-de-conseil-et-d-accompagnement-en-communication-de-crise-pour-le-ministere-de-la-justice/6797124)

[2] ted.europa.eu/udl?uri=TED:NOTICE:226709-2022:TEXT:FR:HTML

[3] www.crisalyde.fr

[4] L’agence de communication de crise pour les procureurs, choisie par le ministère de la Justice ? Dalloz actualité, Pierre-Antoine Souchard, 23 mai 2022

[5] Valérie Dervieux: «Est-ce que filmer les audiences, c’est filmer la justice?», ‘Opinion, 3 avrill 2023  Catherine Boullay

« La confiance dans l’institution judiciaire » et la médiatisation des procédures pénales, V DERVIEUX Le Club des Juristes, 21 mars 2021

[6] Décret n°2022-462 du 31 mars 2022 pris pour l’application de l’article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire (www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/justice-en-france-une-premiere-emission-evenement-34615.html)

[7] « Faites entrer le procureur », France info (www.francetvinfo.fr/choix/enquete-franceinfo-disparition-de-maelys-attentats-comment-les-procureurs-sont-devenus-des-pros-de-la-communication_2490955.html)

Nous publions ci-dessous le texte intégral de la circulaire :

Circulaire du 19 janvier 2023

 

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