Agression sexuelle : l’état de sidération vaut désormais surprise
Le 11 septembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a établi un précédent important en reconnaissant que l’état de sidération pouvait caractériser une absence de consentement dans les cas de viol ou d’agression sexuelle. Selon la chambre, l’état de sidération, qui résulte de la surprise, est considéré comme un des éléments matériels constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle, mettant en lumière une incapacité de la victime à consentir en raison de son état de choc psychologique. Cette décision pourrait marquer un tournant significatif dans la manière dont le consentement et la capacité à y résister sont appréhendés juridiquement.
L’arrêt rendu le 11 septembre 2024 par la chambre criminelle de la Cour de cassation constitue une avancée substantielle dans l’affirmation selon laquelle l’état de sidération peut être assimilé à une absence de consentement.
Si l’analyse est exacte, cette décision mérite également une lecture plus audacieuse.
Rappelons brièvement les faits : une jeune fille dormait lorsque son oncle, âgé d’une vingtaine d’années de plus qu’elle, est entré dans sa chambre et, alors qu’elle était allongée, a procédé à des actes sexuels sur elle. En se réveillant, la jeune fille s’est trouvée dans un état de sidération tel qu’elle était incapable de réagir à l’agression.
Autrement dit, elle n’a pas manifesté explicitement son absence de consentement face à l’agression de son oncle.
Un élément mérite ici une attention particulière : lors des interrogatoires, l’oncle a qualifié sa nièce de « poupée de chiffon », décrivant ainsi son état passif. Cette description a joué un rôle crucial dans la décision innovante rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 septembre dernier.
En effet, ce terme de « poupée de chiffon » employé par l’agresseur démontre qu’il était pleinement conscient de l’absence de consentement de sa victime.
Ainsi, pour intégrer la notion d’état de sidération comme preuve d’absence de consentement, les juges de la haute juridiction ont associé leur motivation à la reconnaissance de la pleine conscience de l’agresseur quant au défaut de consentement de la victime, dont le corps, selon ses propres termes, ressemblait à une « poupée de chiffon ».
Cette décision, qui s’inscrit clairement dans l’arsenal juridique destiné à établir l’absence de consentement, doit néanmoins être accueillie avec prudence. Elle nécessitera, en effet, des confirmations par des décisions futures.
En d’autres termes, il s’agit d’un pas certain, mais peut-être pas encore du grand pas vers le renversement de la charge de la preuve que beaucoup appellent de leurs vœux. Ce renversement consisterait à exiger de la personne accusée qu’elle prouve que la plaignante était consentante, un principe déjà en vigueur dans certains pays, comme le Canada où il appartient au partenaire de s’assurer du consentement de l’autre.
En l’état actuel de notre droit, c’est toujours au ministère public – c’est-à-dire à l’accusation – de prouver non seulement l’absence de consentement de la victime, mais aussi la connaissance de cette absence par l’agresseur, ce que, dans ce cas, les propos de l’oncle facilitent en qualifiant sa nièce de « poupée de chiffon ».
Il convient également de ne pas négliger certains éléments, tels que la différence d’âge (plus de 20 ans) et le lien familial, qui ont sans doute influencé cette décision courageuse et progressive.
Cela étant, cette évolution jurisprudentielle marque une extension de l’interprétation d’un des éléments matériels constitutifs de l’agression sexuelle, à savoir la surprise qui, aux côtés de la contrainte, de la menace et de la violence, constitue l’un des quatre critères principaux.
Ainsi, selon cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, l’état de sidération est désormais considéré comme un élément de la surprise.
L’enrichissement de la notion de surprise est intéressant, car il semble refléter la volonté de la Cour de cassation de pallier l’inaction du législateur face à l’évolution sociale concernant la notion de consentement, la prise en compte de la parole des victimes et les poursuites systématiques (enfin) du ministère public.
Il est également à noter que certaines thèses doctrinales plaident pour l’inclusion de la notion d’emprise comme composante de la contrainte. Bien que cette notion soit déjà reconnue dans certains cas (minorité de la victime, dépendance, subordination économique, professionnelle ou familiale, handicap), elle n’est pas encore assimilée juridiquement à une forme de contrainte.
La notion d’emprise, souvent invoquée pour expliquer le dépôt tardif d’une plainte, permet de caractériser des comportements infractionnels tels que le viol ou l’agression, dans des situations où la victime était, au moment des faits, psychologiquement incapable de refuser son consentement.
Toutes ces évolutions, qu’elles soient actuelles – comme l’état de sidération en tant qu’élément matériel de la surprise – ou futures – avec l’emprise définissant une nouvelle forme de contrainte –, devront être confirmées par de multiples décisions de justice avant d’être pleinement intégrées par le législateur à la définition légale du viol et de l’agression sexuelle.
Cette construction jurisprudentielle sera longue, marquée par des positions contradictoires mais nécessaires, jusqu’à l’intervention éventuelle du législateur. C’est en ce sens que l’arrêt du 11 septembre 2024 de la chambre criminelle de la Cour de cassation revêt une forte résonance.
Référence : AJU015z0