Hauts-de-Seine (92)

Au tribunal judiciaire de Nanterre, un an d’existence du pôle cold cases

Publié le 05/04/2023
Au tribunal judiciaire de Nanterre, un an d’existence du pôle cold cases
©Andrii / AdobeStock

Une conférence de presse a été organisée le 1er mars dernier à Nanterre à l’occasion de l’anniversaire de la mise en place du pôle spécialisé sur les crimes sériels et non élucidés. L’occasion pour les avocats de rappeler les enjeux capitaux en place et pour, les familles d’évoquer, leurs frustrations.

« Pour les victimes, pour les familles, ces vieux dossiers ce sont des souffrances toujours vives et, à mesure que le temps passe, elles peuvent avoir le sentiment qu’on n’y arrivera plus. Le temps qui passe est le plus mauvais ennemi de l’élucidation d’une affaire. Ce pôle doit permettre à ces dossiers de rester vivants judiciairement et d’offrir une réponse aux victimes ». C’était par ces mots que le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait inauguré en mars 2022 le pôle national consacré aux crimes sériels et non élucidés, installé au tribunal judiciaire de Nanterre, dans le ressort de la cour d’appel de Versailles, grâce à la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. On dénombre aujourd’hui en France près de 180 crimes non élucidés pour lesquels la justice est saisie et 68 procédures susceptibles de viser des crimes sériels.

Ce pôle, doté de trois greffiers, d’un juriste spécialisé et de trois magistrats instructeurs spécialisés, coordonnés par la juge Sabine Kheris (connue pour avoir obtenu les aveux de Michel Fourniret sur le cas d’Estelle Mouzin), est 100 % dévolu aux dossiers anciens qui lui sont confiés et qui viennent des quatre coins de la France. Il est mis en place pour permettre de faire des liens entre les procédures complexes ou non élucidées disséminées sur le territoire national, de créer un point de contact unique pour l’entraide judiciaire européenne et internationale concernant ces crimes. Il s’agit avec ce pôle d’« éviter que jusqu’à quatre magistrats ne puissent se succéder sur un même dossier », avait expliqué le ministre, qui souhaitait que les magistrats aient « toute la liberté de poursuivre avec les enquêteurs initiaux ou de saisir un service spécialisé dans ces crimes non élucidés, comme la division Diane à Pontoise par exemple ». Un an après la création, les promesses sont-elles tenues ?

Les familles au centre de l’attention

À ce jour, le pôle est en ordre de marche. Il a ouvert 77 procédures : 67 informations judiciaires (réparties entre trois cabinets d’instruction) et 10 enquêtes préliminaires dirigées par le parquet. Sur 68 enquêtes, 69 % concernent des meurtres, 24 % des enlèvements et/ou séquestrations et 7 % des viols. 51 affaires concernent exclusivement des femmes victimes et près d’un tiers des mineurs. Les neuf procédures restantes s’appuient sur un nouveau cadre procédural, lancé en décembre 2021, dit de « parcours criminel ». Le magistrat retrace le parcours de personnes ayant été condamnées (comme Nordhal Lelandais, Pascal Jardin ou Patrice Alègre), à la recherche d’autres victimes potentielles. Trois cold cases, liés au tueur en série Michel Fourniret, ont été clôturés, car résolus : les cas d’Estelle Mouzin (disparue en 2003), de Joanna Parrish (assassinée en 1990) et de Marie-Angèle Domèce (disparue en 1988).

Pour les familles et les associations de proches de disparues, dont les dossiers sont passés à Nanterre, ce pôle a été l’occasion de saisir une main tendue, de demander à la justice de poursuivre les investigations autrement. C’est ce qu’ont ressenti par exemple les proches de Charazed Bendouiou, disparue en 1987 à l’âge de 10 ans. « C’est la première fois qu’on est réellement entendus. Ce n’est pas dans les couloirs ou par hasard qu’on va rencontrer le juge, là on est attendus et écoutés », a expliqué Férouze Bendouiou, la grande sœur de Charazed, qui se bat pour connaître la vérité depuis 35 ans.

Me Didier Seban, avocat qui représente plusieurs familles de victimes, était heureux de voir que les familles étaient enfin au cœur de l’attention, elles qui errent trop souvent dans un marasme judiciaire qui peut durer dix, vingt, trente ans ! « Il y a des magistrats très impliqués qui ont contribué à résoudre des affaires criminelles dans des juridictions ordinaires, mais globalement la justice a oublié ses missions et, dans certains cas, elle ne gère que des statistiques, on va juger un magistrat à sa gestion des flux donc ils n’ont plus intérêt à prendre en charge une affaire criminelle compliquée », explique l’avocat, pour qui le pôle cold case est apparu comme une bouffée d’air : « Il faut que l’on avance, les choses se mettent doucement en place. Pour les familles, chaque jour qui passe c’est la crainte que l’on ne sache jamais la vérité. Il y a le tempo de la justice mais l’urgence n’est pas ressentie de la même façon par les victimes. »

Me Didier Seban déplore, comme les familles qu’il représente, que même après un an certaines juridictions, comme celle de Chalon-sur-Saône, freinent encore des quatre fers pour transférer certains dossiers de cold case vers ce pôle dédié : « Les six ou sept familles que je connais et pour lesquelles le transfert n’est pas encore lancé (surtout à Chalon-sur-Saône et Reims) vivent une situation difficile. Elles ne comprennent vraiment pas pourquoi, même en manifestant devant les marches des tribunaux, les dossiers ne se débloquent pas. Pour celles dont les dossiers sont arrivés à Nanterre, elles entendent que les magistrats donnent des commissions rogatoires aux enquêteurs, elles les voient lire les dossiers, certains magistrats les reçoivent, il y a une qualité d’écoute bien supérieure à celle qu’ils ont connue dans d’autres juridictions. Elles attendent encore, mais plus forcément dans la colère »…

Une patience à bout

Bien sûr, au bout d’un an, beaucoup reste à faire. La salle des scellés, pierre angulaire du pôle, par exemple, n’est pas encore opérationnelle alors même qu’il devrait s’agir d’une pièce centrale dans la résolution des cold cases. « On nous avait dit que ce n’était pas inclus dans le pôle, puis on a annoncé son ouverture en fin d’année 2022 et désormais c’est avril ou mai », nous explique Me Didier Seban. « Nous sommes tous très pressés qu’ils soient mis en sécurité car dans ce domaine il y a eu beaucoup de déceptions à cause de la gestion totalement anarchique des scellés dans les juridictions. On est encore au Moyen Âge parfois, dans certaines salles des scellés alors même que ces éléments peuvent permettre de résoudre des affaires, mais aussi d’innocenter des personnes. »

Marie-Rose Blétry a connu l’enfer, après l’assassinat de sa fille Christelle en 1996. Entre 1996 et 2011, l’enquête de la police judiciaire de Dijon avait ciblé tour à tour vingt-sept suspects mais sans résultats probants. C’est en 2008, grâce à l’opiniâtreté de la mère et de ses avocats que de nouvelles analyses sur les scellés avaient permis l’arrestation du meurtrier, jugé en 2017. L’association Christelle rassemble plusieurs familles meurtries, celles de Carole Soltysiak, de Virginie Bluzet, de Sylvie Aubert, de Nathalie Maire ou de Vanessa Thiellon, entre autres. Celle qui l’a montée, Marie-Rose Blétry, a tenu à être présente lors de la conférence de presse, pour rappeler que son combat est loin d’être terminé. « Je parle au nom des familles, pour dire que nous sommes assez mitigés, en cette date d’anniversaire, nous dit-elle. Nous sommes heureux que le pôle existe mais, selon nous, il est loin d’être opérationnel. J’aimerais savoir avec quel logiciel les juges vont travailler, savoir si police et gendarmerie vont réussir à travailler ensemble, mettre son ego de côté ». Si elle est heureuse de l’humanité avec laquelle la juge Sabine Khéris traite ses dossiers, la mère regrette ce qu’elle appelle un recul dans la prise en charge des dossiers présentés par son association : « Cela faisait plus d’une vingtaine d’années que nous demandions que les dossiers des disparues de l’A6 (une dizaine de meurtres visant des jeunes femmes, dans un triangle de 200 km2 entre 1984 et 2005, NDLR) soient rassemblés dans le même tribunal, nous nous sentions en phase avec le pôle mais il se trouve que certains dossiers sont passés à Nanterre, d’autres non, pour des raisons qui nous échappent. On était très enthousiastes mais badaboum : si les dossiers sont séparés, on ne comprend plus l’intérêt » ! La mère n’est pas tendre avec le parquet de Chalon-sur-Sâone devant lequel elle a manifesté avec son association. « Il y a du mépris vis-à-vis des familles victimes, là-bas : nous ne sommes pas reçus par les magistrats, même si l’on manifeste. L’un de nos dossiers est « coincé » entre Nanterre et Chalon, les familles ne savent rien, les institutions se renvoient la balle : Untel a signé, l’autre non. Entre-temps, aucun enquêteur ne travaille sur les dossiers et une famille attend encore, depuis plus de 30 ans, de savoir ce qu’il s’est passé. On se bat, on a de l’espoir, mais cela est dur, on a l’impression de ne pas être entendus »…

De leur côté, le président du tribunal de Nanterre, Benjamin Deparis et le procureur, Pascal Prache ont prévenu dans un communiqué qu’en l’« état des moyens alloués par la justice, le pôle ne pourra absorber plus d’une centaine de dossiers. Ce niveau sera atteint très prochainement au regard des affaires en cours de dessaisissement ou à venir ».

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