Coup de théâtre aux assises de Bobigny : « j’ai envie de pleurer ! »

Publié le 20/05/2021

Le 7 mai 2021 devant la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis s’ouvrait le procès d’un homme accusé de meurtre, tandis que son co-accusé était toujours recherché. Dès les premières minutes, l’audience fut bouleversée.

Coup de théâtre aux assises de Bobigny : « j’ai envie de pleurer ! »
Palais de justice de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

L’atmosphère semble un peu moins pesante qu’à l’accoutumée aux assises de Bobigny ce vendredi 7 mai, du moins sur le banc de la défense où l’agitation règne. Dans le box des accusés, un homme de 58 ans décline son identité d’une voix rouillée : Monsieur V né en 1963 à Salonta en Roumanie. Son interprète traduit en français.

Un compatriote, Monsieur A, vingt ans plus jeune, devrait comparaître à ses côtés, mais lui s’est réfugié en Roumanie, à Salonta – ils sont originaires de la même ville. Il sera donc jugé par contumace. Les deux hommes sont accusés d’un meurtre survenu il y a cinq ans.

Poignardé dans les jardins ouvriers

Le matin du 1er octobre 2016, dans les jardins ouvriers de Stains, le corps sans vie d’un homme d’une cinquantaine d’années est découvert accroché à un grillage. Les riverains le reconnaissent : il s’appelait Stélio*, il vivait seul dans un cabanon au fond d’une parcelle.

Stélio a succombé à quatre blessures, dans le cou, sur le flanc et dans le dos, causées par deux armes blanches différentes, dont l’une à crans. La perforation d’un poumon a causé la mort. Selon le médecin légiste, Stélio ne s’est pas défendu.

Son épouse s’était séparée de lui à cause de son alcoolisme, mais il voyait encore ses deux enfants, de loin en loin. Ses voisins décrivent un homme « gentil », qui « donnait des légumes ».

Des témoins racontent à la police que, la veille des faits, une vive altercation au sujet d’un vol de téléphone l’aurait opposé à plusieurs Roumains habitant dans un camp près des jardins. Après la dispute, la tension serait retombée. Stélio aurait ensuite passé la soirée au bistrot, puis serait rentré seul. Il est mort avant d’avoir atteint sa cabane.

Deux suspects

Le lendemain, les Roumains ont tous déserté le camp et se sont dispersés. Certains se sont installés à l’autre bout de l’Île-de-France. La police a relevé les téléphones ayant borné à proximité des jardins ce soir-là et placé plusieurs d’entre eux sur écoute. Quelques conversations semblent faire référence au crime : « Heureusement, le petit n’a pas parlé », ou « Oui, c’est Konkass et ses couteaux. » Konkass serait le surnom de Monsieur A, l’accusé manquant.

Surtout la police scientifique relève plusieurs ADN différents sur la scène du crime. L’un correspond à Monsieur V. Les autres ne sont pas identifiés.

Interpelé, interrogé, Monsieur V se défend : « Je n’étais pas là ce soir-là. Je n’ai rien vu. Oui, j’ai volé, mais je n’ai pas tué ». Il accuse en revanche son compatriote Monsieur A d’être l’auteur du meurtre. Mais Monsieur A s’est déjà envolé pour la Roumanie, hors de portée des policiers.

L’accusé est ravi

Le président Zientara fait prêter serment aux six membres du jury et d’emblée lâche une annonce fracassante :

« Monsieur A a été arrêté en Roumanie le 24 avril 2021. Il se trouve actuellement au centre de détention de Bihor. Il est prévu qu’il soit remis aux autorités françaises autour du 12 mai 2021. La question d’un éventuel renvoi se pose…». Il demande aux parties leurs observations.

« Je ne m’y oppose pas, au contraire », répond Maître Loffredo-Treille qui représente les enfants et le père de la victime.

L’avocate générale demande un supplément d’information pour mener l’interrogatoire de Monsieur A, sa confrontation avec Monsieur V, toutes les expertises requises et surtout les « relevés d’empreintes et leur comparaison avec les profils génétiques retrouvés sur la scène de crime et qui n’ont pas été identifiés ».

Maître Curt, l’avocate de l’accusé, affiche un enthousiasme plus mesuré. « Monsieur V vient d’apprendre cette situation. Évidemment il est ravi puisqu’il n’a cessé durant toute l’instruction de s’interroger sur les raisons pour lesquelles on ne trouvait pas Monsieur A. »  Mais en même temps, l’avocate se désole des mois de détention supplémentaires encourus par Monsieur V ; elle avoue être dans l’incapacité de fournir une adresse où son client pourrait être touché, s’il était libéré. « Demander de le remettre en liberté, c’est quasiment s’assurer qu’on ne le reverra jamais » concède-t-elle, avant de solliciter quand même une mise en liberté… « quand il aura une adresse ».

« En l’absence d’éléments, vous ne demandez pas de mise en liberté ? » clarifie le président. L’avocate confirme.

La parole est à l’accusé : « J’ai envie de pleurer tellement je suis heureux qu’il ait été arrêté. Depuis le début, j’ai dit la même chose et les policiers m’ont frappé. »

« Bien… ça, on verra ça, conclut le président. La cour se retire, sans les jurés. »

Début 2022 ?

Quelques minutes plus tard, il annonce le renvoi. « Il est indispensable à la manifestation de la vérité que Messieurs A et V soient jugés ensemble et non séparément. »

La cour fixe un délai de six mois pour mener à terme le supplément d’information. « Le délai a été vu avec le juge d’instruction. On peut raisonnablement penser que cette affaire pourra être jugée dans le premier trimestre 2022… »

Hors audience, l’avocate des parties civiles se montre prudente. « Pour la date, on verra : ça va dépendre des expertises et de la Covid… »

*Les noms ont été modifiés.

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