Aux assises de Bobigny : « J’ai essayé de tuer ma sœur » 1/2

Publié le 12/03/2021

Un jeune homme de 24 ans a été jugé par la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis du 5 au 9 mars 2021 pour l’assassinat de sa demi-sœur en 2018 dans le huis-clos de leur pavillon de banlieue. D’où vient ce coup de folie ? Les experts psychiatres vont tenter d’éclairer la cour pour l’aider à fixer une juste peine.

Aux assises de Bobigny : « J’ai essayé de tuer ma sœur » 1/2
Palais de justice de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

Le 12 mars 2018, à 11 h 50, le commissariat de police d’une paisible commune du nord de l’Île-de-France reçoit l’appel d’un jeune homme : « J’ai essayé de tuer ma sœur, il faut que vous veniez… ». Il donne son nom, son adresse. Alexis*, 21 ans, accueille les policiers dans le pavillon où il vit, leur désigne l’étage. Dans une chambre, ils découvrent le corps d’une jeune femme tuée à coups de marteau sur le crâne.

Alexis comparaît aujourd’hui devant la cour d’assises de Bobigny pour l’assassinat de sa demi-sœur, 24 ans en 2018. Devant les policiers, le procureur, le juge d’instruction, les experts, les enquêteurs de personnalité, devant la cour et les jurés, d’emblée il reconnaît les faits. La cour d’assises devra cependant déterminer si sa responsabilité est atténuée et fixer une peine en conséquence.

Une enfance qui chavire

Retour en 2001 pour un premier choc : Alexis a cinq ans quand ses parents se séparent. Surtout, il a huit ans quand on lui annonce que son père, « qu’il adorait », est mort dans un accident de voiture. Accident ou suicide ? Un mystère entoure cette disparition. Pour l’enfant, tout bascule. Il dit à sa mère qu’il « ne veut plus vivre ». Il ne « voit pas l’intérêt d’être vivant. »

On l’emmène chez un psychologue, une bouée de sauvetage, mais la thérapie s’interrompt au bout de dix semaines. « Je n’en avais plus besoin. » Sa mère est elle-même hospitalisée en clinique psychiatrique à la suite d’une tentative de suicide. De déménagement en déménagement, Alexis se construit avec ce vide, jusqu’à ce que sa mère refasse sa vie avec un autre homme, Christian.

Christian est un beau-père bienveillant. Il a déjà une fille, Chloé, trois ans de plus qu’Alexis. La famille recomposée s’installe dans la petite maison de la mère de Christian tout juste décédée. Les deux enfants s’entendent bien. A l’école, Alexis n’éveille pas l’attention des instituteurs, il apprend normalement, jusqu’à ses treize ans.

Une adolescence qui sombre

Alexis doit alors redoubler sa quatrième. Il parvient jusqu’à un bac professionnel artisanat et métiers de l’art. Le charme du travail manuel, le façonnage, les matériaux, les couleurs n’opère pas. Il n’y arrive plus, il décroche. « J’en avais marre de cette vie. » Il passe du temps sur Internet, joue aux jeux vidéos. « Mais après je me sentais inutile, minable, merdique », se rappelle-t-il à l’audience. Il n’a pas d’amis, pas de petite-amie. « Je n’en avais pas envie »

A 18 ans, il fugue jusqu’à Lyon avec l’intention, dit-il, de se suicider, de « joindre l’utile à l’agréable ». L’agréable, c’est partir ; l’utile c’est en finir. Il se taillade les veines, sans succès. Sa mère vient le chercher et le ramène à la maison.

« — Les psys n’ont rien compris. Ils ont dit que j’étais dépressif.

— Que vouliez-vous dire ?, demande le président Hullin.

— La dépression me paraît être une maladie assez forte et caractérisée. Moi je suis blasé de la vie depuis l’âge de 8 ans. Les psys ont tendance à me décrire dépressif. Il me semble que c’est autre chose… « .

A cette époque, il refuse aussi les médicaments. « Ça ne servait à rien. »

Isolement

Dans le pavillon de ce quartier « où il ne se passe rien », dans cette famille où « on se parle peu », dans son esprit ténébreux, Alexis vit de plus en plus reclus. Depuis plusieurs années, la relation avec sa demi-sœur Chloé s’est dégradée. Ils ont pourtant un profil similaire.

Chloé souffre d’une endométriose diagnostiquée fort tard qui la fait se tordre de douleur, parfois plusieurs fois par jours. La souffrance la rend irritable, l’isole. Début 2018, elle apprend qu’une opération est possible. Avec ce nouvel espoir, elle reprend goût à la vie. Pas Alexis.

Jour après jour, confiné dans sa chambre, il ressasse des idées noires, élabore un scénario morbide, qu’il se répète jusqu’au soir, sans que personne ne se doute de rien, ou presque. Le 27 février 2018, il envoie un texto à sa mère au sujet de Chloé : « Elle fredonne toute la journée, elle m’exaspère, je vais l’égorger. » Sa mère ne le prend pas au mot. « C’était un abus de langage » assure-t-il au procès.

Neuf coups

Le 12 mars 2018, « treize ans jours pour jours après le décès de son père » relèvent les psychiatres, en milieu de matinée, il descend dans le garage du pavillon. Il s’empare d’un marteau, d’une serpette, d’un couteau à cran d’arrêt. Puis il attend dans sa chambre. Il attend que Chloé finisse son petit-déjeuner, qu’elle remonte dans sa chambre, qu’elle termine un appel téléphonique avec une amie.

D’une voix douce, grave, calme, sans émotion apparente, Alexis raconte la suite à la cour, comme il l’a déjà racontée aux policiers, au juge d’instruction, aux experts. C’est sa version.

A 11h40, il entre dans chambre de sa demi-sœur, il lui pose une question « pour minimiser la panique au maximum ». Avec le marteau, il la frappe à gauche du crâne, à neuf reprises.

Alexis laisse Chloé pour morte. De retour dans sa propre chambre, il s’inflige un coup de couteau à la gorge, sans parvenir à se tuer. Il redescend au garage pour s’emparer d’une scie électrique. En remontant, il entend Chloé qui respire encore. Il tente alors de lui trancher la gorge. Puis il retourne la scie électrique contre lui, se blesse encore à la gorge, mais ne se tue toujours pas. Après une troisième tentative, il appelle la police.

« Pour avouer mon crime. Et parce que je ne voulais pas que le père de Chloé la voie dans cet état. » Quand les policiers arrivent sur les lieux, ils trouvent les armes soigneusement alignées sur le lit d’Alexis. Il s’est lavé les mains.

Pourquoi ?

Le président cherche à comprendre :

« — Pourquoi ces armes ?

— Je n’arrive pas à vous répondre.

— Pourquoi Chloé ?

—Parce que c’est la personne la plus proche, que je considérais comme un parasite, comme moi. Des gens qui n’apportent pas de choses bien dans ce monde. Elle rendait son père malheureux. C’est ce que je pensais à l’époque ».

Au premier expert psychiatre, le Docteur Layet, il avait livré une explication différente, plus simple : « Je la détestais. Elle était la source d’énormément de disputes. Le marteau était le seul moyen de lui donner une mort rapide. ».

Avant de passer à l’acte, il a écrit une lettre expliquant qu’il allait l’égorger et qu’ensuite, ce serait « son tour ». Il dira au juge d’instruction : « J’ai eu l’espoir fou que le fait qu’elle décède me permette de mourir. »  A la barre, il explique encore qu’il espérait atteindre un dégoût de lui-même suffisant pour pouvoir se suicider.

Il semble se livrer sans réserve, mais sa parole est aussi frustrante que précieuse. A-t-il tué Chloé parce qu’il la détestait, parce qu’elle était une « parasite », par volonté de se supprimer lui-même, pour « joindre l’utile à l’agréable » ? On ne sait plus.

Après cet égarement dans les méandres obscurs de son délire passé, l’avocate générale ramène la cour sur un chemin plus familier, celui de la morale.

« — Est-ce que vous êtes égoïste ?

— Le suicide est égoïste.

— Oui mais l’homicide suivi du suicide, n’est-ce pas égoïste ?

— Je ne saurais pas répondre.

— Dans le deuxième interrogatoire, vous dites que vous regrettez votre geste. Pourquoi ? demande le président.

— Dès le premier jour j’ai regretté. D’avoir gaspillé une vie pour rien. Après on pense à la famille de Chloé et à la mienne. Je me rends compte que je ne la connaissais pas assez. Je suis entré dans une sorte de tourbillon et ça me fait regretter non seulement de l’avoir tuée mais de m’être éloignée d’elle. »

Après le meurtre, Alexis a été hospitalisé durant un an et demi, avant d’être enfermé à Fresnes. Il a été entendu par trois experts psychiatres. Leurs conclusions occuperont bien sûr une place centrale dans le procès.

(à suivre….)

*Les prénoms ont été modifiés.

Lire la deuxième partie ici. 

 

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