Explosion rue de Trévise : La contre-expertise demandée par la Ville de Paris va enfin débuter

Publié le 15/06/2022

Les juges qui instruisent le dossier de l’explosion survenue le 12 janvier 2019 rue de Trévise à Paris viennent de désigner deux nouveaux experts. Ils devront procéder, d’ici au 30 novembre, « à toutes les investigations techniques utiles à la manifestation de la vérité ». En revanche, la cour d’appel a rejeté, ce 15 juin, la requête de parties civiles qui souhaitaient en savoir plus sur les odeurs de gaz décelées avant le drame.

Explosion rue de Trévise : La contre-expertise demandée par la Ville de Paris va enfin débuter
A l’angle des rues de Trévise et Sainte-Cécile, les palissades au pied de l’immeuble toujours inoccupé (Photo : ©I. Horlans)

Les magistrats de la chambre de l’instruction de Paris ont rendu leur arrêt mercredi 15 juin : ils n’estiment pas nécessaire d’entendre à nouveau onze victimes qui avaient expliqué, dès l’ouverture de l’enquête, avoir senti des odeurs de gaz rue de Trévise (IXe arrondissement) les 10 et 11 janvier 2019, soit les deux jours précédant l’explosion. Selon ces riverains et leur conseil, ce point important du volet pénal avait été « incorrectement exploité ».

Il était susceptible de remettre en cause la thèse d’une « rupture soudaine et brutale » de la canalisation en raison de l’affaissement du trottoir constaté sept fois par les services de la mairie depuis le 8 juin 2015 (notre article du 25 novembre 2021 sur l’audit de l’Inspection générale de la Ville ici). Lors d’une réunion avec les juges en charge de l’affaire, le 24 novembre dernier, ils avaient estimé que leurs déclarations n’avaient pas été retenues et, fort logiquement, ils voulaient savoir pourquoi.

Les premiers experts ont déjà pris en compte les odeurs de gaz

Aussi, Me Clarisse Serre, qui représente l’association Victimes et rescapés de l’explosion rue de Trévise (VRET), la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (FENVAC) et onze demandeurs, avait sollicité que cette piste soit approfondie. Un mois plus tard, cette demande d’acte supplémentaire était rejetée. Le 18 mai, son appel de l’ordonnance de refus avait été examiné en chambre de l’instruction à Paris (notre article du 19 mai ici). Me Serre avait plaidé que, « les expertises complémentaires requises par la mairie ayant été acceptées, la question méritait d’être posée concomitamment, sans que cela retarde la clôture du dossier ».

Une position également défendue par Me Sabrina Goldman, avocate de la Ville, considérant à raison qu’il « ne doit plus y avoir de doutes. Toutes les portes doivent être ouvertes et refermées, dans l’intérêt de chacun » avant la tenue du procès. « Si après trois semaines d’audience, on s’aperçoit qu’il manque des éléments, que fait-on ? » s’interrogeait à bon droit Me Serre.

La cour a tranché : les premiers experts ont déjà pris en compte les odeurs de gaz rapportées par les témoins en 2019, indique en résumé son arrêt. Il n’y a donc pas lieu de reprendre les auditions. Lors des débats au tribunal, les parties civiles auront toute latitude pour s’exprimer sur ce sujet. Reste à espérer que la juridiction de jugement n’ordonnera pas un supplément d’information à l’issue de ces dépositions.

Les nouveaux experts reprendront « l’intégralité de la procédure »

 Toutefois, on note aujourd’hui une évolution positive : la contre-expertise accordée en mars dernier à la municipalité parisienne et à la compagnie immobilière CIPA, le syndic gérant l’immeuble 6, rue de Trévise, épicentre de la catastrophe, va enfin débuter (notre article du 30 mars 2022 ici). Deux experts ont été nommés à la mi-juin : il s’agit de Didier Bonijoly, docteur en géologie depuis 40 ans, spécialiste de géophysique, et d’Axel Bellivier, docteur en mécanique des fluides, expert en ingénierie du feu, incendies et explosions. Comme le précise l’ordonnance qui les mandate, ils devront déterminer d’autres responsabilités éventuelles, ou écarter celles jusqu’ici établies.

Dans ce dossier, la mairie de Paris et la société CIPA, personnes morales, sont mises en examen depuis les 8 et 11 septembre 2020 pour « homicides et blessures involontaires » ; « destruction, dégradation, détérioration par l’effet d’explosion ou d’incendie ». L’entreprise de BTP Fayolle, en charge de travaux sur la chaussée, a bénéficié du statut intermédiaire de témoin assisté. Rappelons que la tragédie survenue principalement rue de Trévise mais qui a eu aussi des répercussions rues Bergère et Sainte-Cécile a causé la mort de Nathanaël Josselin et Simon Cartannaz, pompiers, de la touriste espagnole Laura Sanz Nombela et de l’infirmière Adèle Biaunier qui allait fêter ses 29 ans le 26 janvier 2019. Son conjoint, avocat, avait été gravement blessé, comme 52 autres personnes, dont quatre sont toujours en phase de reconstruction. Quelque 400 riverains avaient perdu leur logement.

Passé le délai de 10 jours (qui court depuis hier) permettant aux parties de formuler des observations, les experts Bonijoly et Bellivier vont reprendre « l’intégralité de la procédure ». Une tâche titanesque qu’ils effectueront dans un délai très court : la remise de leur rapport aux trois juges est fixée au 30 novembre prochain.

Explosion rue de Trévise : La contre-expertise demandée par la Ville de Paris va enfin débuter
Hommage sur la palissade de la rue de Trévise (Photo : ©I. Horlans)

Revenir « sur le lieu des faits » et procéder « aux investigations utiles »

 Cinq mois, donc, pour s’acquitter d’une mission qui relève de la gageure. Les experts n’ont pas seulement reçu ordre d’étudier toutes les pièces d’un dossier volumineux, ils doivent examiner particulièrement les conclusions techniques de leurs précédents collègues, rendues le 20 mai 2020, les 8 juin et 19 novembre 2021. Tous les scellés judiciaires leur seront remis « afin de les analyser ». Ils devront revenir sur le lieu du sinistre pour réaliser « des constatations et investigations » – ce qui n’est pas la moindre des besognes quand on sait que les travaux de reconstruction sont largement entrepris ! Conscients de cet écueil (un euphémisme), les magistrats instructeurs leur proposent de « faire des observations sur les modifications intervenues », et « les conséquences [de celles-ci] sur la bonne exécution » de leur office. On décèle ici les limites de cette contre-expertise…

En dépit des obstacles qu’ils affronteront, MM. Bonijoly et Bellivier ont le devoir de « déterminer l’origine et la ou les causes » de la tragédie. Il leur faut « rechercher si des fautes peuvent être en lien » avec lesdites causes, « les décrire » et vérifier « les textes réglementaires qui n’auraient pas été respectés ». Enfin, conformément à l’article 165 du Code de procédure pénale, ils auront la possibilité de recevoir les déclarations des victimes et de toute autre personne capable de les éclairer.

Ils passeront ainsi leur été à contribuer « à la manifestation de la vérité », ce que les juges estimaient avoir justement fait en un temps record – trois ans. En matière d’accident collectif, l’instruction dure souvent une dizaine d’années. Par conséquent, on ne peut que rendre hommage à la célérité de l’information judiciaire.

La mairie de Paris et le syndic CIPA l’ayant estimée « incomplète », truffée de « carences » qui ont abouti au « raisonnement défaillant » des premiers experts, sa clôture prévue en décembre 2021 est reportée sine die. Comme le procès. Heureusement, ce contretemps n’a pas d’incidence sur le volet, traité à part, de l’indemnisation des victimes, qui ont perçu des provisions. Leurs préjudices continuent d’être étudiés au cas par cas depuis trois mois par deux coordonnateurs, un général et un magistrat placés sous la tutelle de la Première ministre Elisabeth Borne, ainsi que par le courtier Sedgwick qui a succédé à l’assureur Generali.

 

Explosion rue de Trévise : La contre-expertise demandée par la Ville de Paris va enfin débuter
Me Serre à l’audience du mercredi 18 mai (Photo : ©I. Horlans)