Explosion rue de Trévise : La Ville de Paris et le syndic de copropriété obtiennent de nouvelles expertises
Alors que les juges instruisant le dossier de l’explosion survenue rue de Trévise le 12 janvier 2019 avaient annoncé clore leurs investigations en décembre 2021, la cour d’appel de Paris a ordonné, mercredi 30 mars, des expertises complémentaires. Le procès sera de facto reporté.
Encore une déconvenue pour les proches des quatre morts, les 53 blessés et les centaines de riverains sinistrés. Le 12 avril prochain, cela fera 39 mois que les victimes d’un des pires accidents recensés dans la capitale luttent pour obtenir la réparation de leur préjudice (voir notre encadré) et qu’elles espèrent la tenue d’un procès pénal. La décision intervenue ce mercredi 30 mars à la chambre de l’instruction de Paris reportera à 2024, voire 2025, l’audience correctionnelle. La cour d’appel a ordonné des expertises supplémentaires pour déterminer d’éventuelles autres responsabilités ou écarter celles jusqu’ici retenues. Elle renvoie le dossier à l’instruction afin que soit poursuivie l’information judiciaire.
A ce jour, deux personnes morales, la Ville et la compagnie CIPA, syndic de copropriété gérant l’immeuble 6, rue de Trévise (IXe arrondissement), épicentre de la catastrophe, ont été mises en examen les 8 et 11 septembre 2020 pour homicides et blessures involontaires ; destruction, dégradation, détérioration par l’effet d’explosion ou d’incendie. Chargée de travaux sur la chaussée, l’entreprise de BTP Fayolle a bénéficié du statut intermédiaire de témoin assisté. Désormais, il n’est plus exclu que GRDF, le distributeur du gaz en l’état hors de cause, rejoigne le banc des prévenus.
« Des carences » et « un raisonnement défaillant »
Les avocats de la mairie et de la compagnie immobilière CIPA n’ont jamais accepté les conclusions des magistrats instructeurs. Opposés à la clôture du dossier estimé « incomplet », ils avaient fait appel de trois ordonnances rejetant leurs demandes de contre-expertise. En chambre de l’instruction à la cour d’appel le 26 janvier 2022, ils avaient plaidé « des carences », « un raisonnement défaillant » et « des insuffisances » de la part des quatre experts désignés dans le volet pénal. Ils estimaient leur rapport « en totale contradiction » avec celui de leurs collègues intervenus dans le volet civil de l’affaire.
A 9 heures, ce 30 mars, les magistrats leur ont donné raison. Leur arrêt dit que l’appel de la Ville et de CIPA est recevable, le déclare bien-fondé, et par conséquent infirme l’ordonnance des juges d’instruction qui ont rejeté la requête de contre-expertise formée par la mairie et le syndic.
S’il ne s’agit pas d’un retour à la case départ, c’est à tout le moins un coup de frein donné à la procédure (voir le rappel détaillé des événements dans notre article du 14 décembre 2021, ici). « Sur le principe, je m’incline », indique Me Clarisse Serre, avocate de la Fenvac (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs) et de l’association Victimes et rescapés de l’explosion rue de Trévise (VRET). « Ainsi, nos contradicteurs ne pourront pas dire au procès que leurs droits n’ont pas été respectés », ajoute-t-elle.
« Une décision très satisfaisante pour la manifestation de la vérité »
Toutefois, Me Serre s’inquiète pour les personnes qu’elle défend au pénal. Des gens qui souffrent depuis plus de trois ans et qui interpréteront sans doute douloureusement l’arrêt rendu aujourd’hui. Dès l’annonce, certains évoquaient « la loi du plus fort », « l’injustice faite aux plus faibles », « une possible influence d’Anne Hidalgo », maire de Paris, candidate à l’élection présidentielle, bien qu’elle n’ait aucun pouvoir sur la cour d’appel.
« Maintenant, le seule question qui vaille, c’est qui va être nommé et dans quel délai ? Il peut s’écouler un mois entre la décision de la chambre et le retour du dossier au pôle d’instruction. Ensuite, les juges doivent trouver quatre nouveaux experts dont le travail sera compliqué car ils n’ont plus accès à la même configuration qu’après l’accident », précise Me Serre.
Me Sabrina Goldman, avocate de la Ville de Paris, pense au contraire que « ça peut aller vite ». Et, au-delà des obligations s’imposant aux juges, elle estime que « c’est une décision très satisfaisante pour la manifestation de la vérité. On donne à de nouveaux experts, qui auront les compétences adaptées, la possibilité d’analyser cet accident, d’en déterminer les causes. Nous aurons ainsi une réponse complète et non plus lacunaire, qui recelait des incohérences, qui ne permettait pas de comprendre les circonstances du drame ».
C’est aussi l’avis de Me Benjamin Porcher, conseil de l’Immobilière CIPA : « Le rapport des experts dans la procédure pénale était incomplet et à côté, nous avions une expertise civile qui disait tout l’inverse, parce que rendue par des personnes techniquement compétentes. La contre-expertise sera a priori plus cohérente. »
Désignation d’experts en géologie, géotechnique et hydrologie
Ici s’est noué le conflit : les magistrats instructeurs ont mandé des experts spécialisés dans le domaine des incendies et explosions, et un sapiteur. La Ville et le syndic, bien que respectueux de leurs travaux, ont vite considéré qu’ils « n’avaient pas les compétences requises et qu’ils se sont prononcés sur des aspects techniques qu’ils ne maîtrisaient pas », révèle Me Sabrina Goldman. « Les juges avaient connaissance des éléments produits par les experts au civil, techniquement plus probants. Je trouvais grave de rendre des conclusions si péremptoires, de rejeter toute forme de contradiction. L’arrêt de la chambre de l’instruction insiste sur le fait qu’aucun expert d’une autre spécialité (autre qu’incendie et explosion, Ndlr), notamment en géologie, en géotechnique et en hydrologie, ne leur a été adjoint pour répondre aux questions posées », souligne Me Goldman.
En conclusion de sa décision, la cour écrit : « Quels que soient les mérites du rapport d’expertise définitif et du complément d’expertise, vu les domaines de compétences concernés, la nécessité de la désignation d’un collège d’experts aux spécialités complémentaires, non seulement en incendie et explosion, mais aussi en géologie, géotechnique et hydrologie, et vu les contestations argumentées présentées par la Ville, la demande de contre-expertise formée par celle-ci apparaît justifiée dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et afin de garantir le respect du droit à un procès équitable et celui des droits de la défense. » Il en va de même pour la compagnie CIPA.
Lors de son réquisitoire du 26 janvier, l’avocate générale avait jugé que « les ordonnances des trois magistrats instructeurs étaient parfaitement motivées ». Elle n’a pas été suivie. Il apparaît maintenant envisageable que GRDF soit à son tour inquiété, ce que plusieurs parties souhaitent depuis l’ouverture de l’information judiciaire. Cela permettrait un « partage » des responsabilités. Pourtant, le distributeur de gaz avait signalé, par écrit et bien avant l’explosion, que l’affaissement progressif du trottoir, évalué de 60 centimètres à 1,50 mètre, fragilisait la conduite de gaz en sous-sol de la rue de Trévise. L’examen métallurgique avait démontré qu’elle avait été déplacée de 30 centimètres vers le bas, causant une rupture mécanique. Et le dispositif de GRDF, qui effectuait un contrôle annuel, était conforme à la règlementation.
Linda Zaourar, présidente de VRET : « L’indemnisation des victimes ne dépend pas du dossier pénal »
La décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, ce 30 mars 2022, a porté un rude coup au moral des familles des deux hommes et des deux femmes décédés, des 53 blessés, dont certains très grièvement et toujours en phase de reconstruction, et aux centaines de sinistrés de la rue de Trévise qui espèrent se reloger dignement depuis 38 mois. Cependant, la réouverture du dossier pénal n’aura aucune incidence sur le versement des indemnisations tant attendues.
Les deux coordonnateurs désignés par le Premier ministre Jean Castex, un général et un magistrat à la retraite, continuent d’étudier avec dextérité les dossiers de chaque victime. Ils travaillent avec les assureurs, reçoivent les parties civiles à la Chancellerie, recensent les expertises et évaluent tous les préjudices, directs comme indirects. Avec le courtier Sedgwick, qui se substitue progressivement à l’assureur Generali, ils sont en charge de la répartition équitable des sommes allouées par l’accord-cadre, signé en début d’année (notre article du 17 janvier 2022 ici), dont les vingt millions d’euros débloqués par la Ville de Paris. On ne peut que déplorer la lenteur avec laquelle celui-ci a été mis en place – il a fallu trois ans ! – et le temps perdu pour les victimes.
Generali a toutefois versé des sommes parfois conséquentes « à titre de provisions » pour permettre de faire face aux soins, aux relogements et aux besoins. Samedi 9 avril, durant toute la journée, les coordonnateurs présenteront officiellement aux victimes les détails de l’accord-cadre. Puis débutera le règlement des indemnisations en juin. « Elles ne dépendent absolument pas du dossier pénal, l’arrêt de la cour d’appel ne bloque pas les versements », confirme Linda Zaourar, la présidente de l’association Victimes et Rescapés de l’Explosion de la rue de Trévise (VRET).
Référence : AJU284141