Le CNB demande au gouvernement de renoncer à sa réforme de la police judiciaire

Publié le 14/09/2022

Dans une motion votée le 9 septembre en assemblée générale, le Conseil national des barreaux demande au gouvernement de retirer son projet de réforme de la police judiciaire. Mais pourquoi diable les avocats se sentent-ils concernés par l’organisation interne des services de police ? Explications. 

Le CNB demande au gouvernement de renoncer à sa réforme de la police judiciaire
Photo : ©Gérard Bottino/AdobeStock

Le projet de réforme de la police visant à placer tous les services de celle-ci, y compris ceux de la police judiciaire, sous les ordres d’un directeur unique départemental dépendant du préfet n’en finit plus d’inquiéter les policiers (lire La fin de la police judiciaire, une menace pour l’État de droit), mais aussi les professionnels de justice.

Il figure dans le rapport annexé au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur. On peut y lire à la page 21  :

« Au niveau départemental, le pilotage en fonction des priorités sera affirmé par la généralisation des directions uniques de la police nationale, appelées directions départementales de la police nationale (DDPN). Le directeur unique de la police pourra allouer les forces en fonction des priorités opérationnelles : sécurité du quotidien, démantèlement des trafics, lutte contre l’immigration clandestine. L’état-major mutualisé qui en découle facilitera les rationalisations d’organisation et le renforcement de la présence sur la voie publique. Une organisation en filières au niveau local concentrera ainsi sous l’autorité du préfet et du procureur de la République des fonctions jusqu’ici trop éclatées, et sera plus lisible pour les partenaires de la police nationale participant du continuum de sécurité ».

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En d’autres termes, 5 000 fonctionnaires de police judiciaire sont appelés à quitter le giron de la Justice pour celui de l’Intérieur.

Après les magistrats, vent debout contre cette réforme (Voir cette tribune dans le Monde du 31 août), c’est au tour des avocats d’exprimer leurs réserves à l’encontre du projet. Ainsi, le Conseil national des barreaux a-t-il adopté le 9 septembre dernier en assemblée générale une motion dans laquelle il demande au gouvernement de renoncer à son projet (voir le texte de la motion en bas de cet article). Que des avocats aient un avis sur l’organisation interne de la police peut surprendre en première analyse. Mais à y regarder de plus près, c’est au contraire très logique.

« Une montée en puissance de l’édifice sécuritaire »

« D’abord cela nous pose un problème de principe, explique Laurence Roques, présidente de la commission Libertés et droits de l’homme du CNB, à l’origine de la motion. On étend le périmètre du ministère de l’Intérieur au détriment de celui de la justice, je m’étonne que le garde des Sceaux ne s’en soit pas mêlé ! ». Les professions de justice observent en effet toujours attentivement les périmètres respectifs des deux ministères car des répartitions de compétence entre police et justice dépendent les garanties effectives des droits et libertés des citoyens. Or les glissements de la justice, Place Vendôme, vers la sécurité Place Beauvau sont de plus en plus fréquents. « Depuis la loi renseignement de 2015 et la loi dite sécurité globale votée le 15 avril 2021 on assiste à une montée en puissance d’un édifice sécuritaire (surveillance de masse, privatisation de la sécurité) sans contrôle du juge garant de l’État de droit, alors même qu’à l’occasion de la commission Sauvé la suppression du juge d’instruction a de nouveau été évoquée renforçant encore les pouvoirs du parquet ; Gérald Darmanin a par ailleurs annoncé une loi sur l’immigration dont on se doute qu’elle ne va pas s’employer à renforcer le rôle du juge, si en plus la police judiciaire passe sous l’entier contrôle du ministre de l’Intérieur, ça fait beaucoup » note l’avocate.

L’inquiétude est d’autant plus vive que la justice manque déjà de moyens d’enquête pour traquer la grande délinquance. Les auteurs de la tribune publiée au Monde le 31 août pointaient ainsi la possible dérive du nouveau système en ce qu’il va engendrer l’absorption de la PJ par la sécurité publique : « C’est privilégier l’arrestation du petit trafiquant, vite remplacé, plutôt que le démantèlement des réseaux, ou du vendeur à la sauvette plutôt que de ceux qui l’exploitent. C’est le choix de la lutte contre le sentiment d’insécurité, et non contre l’insécurité elle-même. C’est surtout un coup fatal à la lutte contre la délinquance économique et financière, déjà si mal en point ». Fait suffisamment rare pour être souligné, cette tribune a été signée par une association et un syndicat de policiers, mais aussi par les deux principaux syndicats de magistrats dont le Syndicat de la magistrature classé à gauche et peu soupçonnable de faire cause commune avec la police pour des raisons idéologiques.

Quid de l’indépendance des enquêtes dans les affaires politiques ?

Le fait de confier le pouvoir de décision sur l’allocation des moyens en policiers aux personnels du ministère de l’Intérieur pose également la question de l’indépendance de la justice.  « Nous pensons que cela va remettre en cause l’indépendance des enquêtes, notamment dans les affaires politiques. Pour empêcher qu’elles ne sortent, il suffira de refuser des moyens policiers aux magistrats » prévient l’avocate. Certes, face à la levée de boucliers générale contre la réforme, Gérald Darmanin a indiqué, lors d’une réunion avec les directeurs de police judiciaire début septembre, que cette réforme « ne se ferait pas contre la volonté des agents » et qu’il était prêt à y apporter des amendements, « mais il n’a pas reculé sur le principe de la tutelle du préfet, souligne Laurence Roques, or tout ce qui touche à l’indépendance de la justice concerne directement les citoyens, auteurs ou victimes d’actes de délinquance, et donc les avocats ». Le projet sera examiné en première lecture au Sénat à compter du 10 octobre. Le CNB prépare un rapport sur ce texte et en particulier sur la réforme de la police judiciaire.

Ce vendredi, la conférence nationale des procureurs de la République se réunit en assemblée générale pour évoquer le sujet. Elle devrait faire une annonce à l’issue de cette réunion.

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