Procès de l’attentat de Strasbourg : Le profil insaisissable du principal accusé

Publié le 22/03/2024

Jeudi 21 mars, la cour d’assises spéciale a commencé l’audition des accusés par celle d’Audrey Mondjehi. Il est poursuivi pour complicité et association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. C’est lui qui a mis en relation le terroriste avec ceux qui lui ont vendu l’arme utilisée pour l’attentat.

Procès de l’attentat de Strasbourg : Le profil insaisissable du principal accusé
La salle des grands procès où se déroule le procès des attentats de Strasbourg. Palais de justice de Paris.  (Photo : ©P. Cabaret)

 Il a un bagou de marchand de foire et une bonhomie de nature à inspirer la sympathie. Chemise blanche par-dessus le pantalon, masque chirurgical coincé sous le menton, Audrey Mondjehi, 42 ans, debout dans le box doit répondre aux questions de la cour d’assises, ce jeudi, sur son parcours de vie, ses activités avant les événements et les faits qui lui sont reprochés. Après quelques questions sur son enfance et sa famille, la présidente aborde ses convictions religieuses. Dans le dossier figurent plusieurs témoignages dont celui de son frère affirmant qu’il s’est converti à l’islam et même marié religieusement. Personne toutefois n’évoque une quelconque radicalisation. « Je m’appelle Audrey, amorce le très volubile accusé, mon père c’est un chrétien, je ne suis jamais allé dans une mosquée, la seule fois c’est quand j’ai perdu ma fille chérie, je ne la connais même pas la religion, sauf une fois sur un tapis pour un clip. Certains me font passer pour un converti, je ne connais rien Madame à cette religion ». Selon lui, on dit ça parce qu’il a eu des enfants avec des filles musulmanes. « Je sortirais avec une Chinoise on dirait : c’est un Bouddha ». La salle sourit à cette saillie à la Audiard. La présidente en revanche s’agace quand il déclare ensuite « Je ne pratique aucune religion, je suis protestant. Je vais de temps en temps à l’église ». Le point est typique, dans le flot de déclarations, il affirme souvent une chose et son contraire. « Je vous ai demandé de vous concentrer, réfléchissez à vos réponses !  » le tance la présidente qui insiste pour tenter de comprendre : « Un témoin a dit que vous vous étiez converti « par tendance », elle n’est pas la seule à avoir dit ça. Selon certains, vous n’avez aucune religion vous faites le musulman pour plaire aux filles ». Hélas, il n’aperçoit pas l’occasion qui lui est donnée d’exprimer enfin une position claire en confirmant l’analyse de ces témoins. Au contraire, sur un ton qui rappelle étrangement celui de Patrick Timsit dans La Crise, il persiste dans un déni aussi volubile que peu convaincant.

« J’ai fait beaucoup d’argent »

Côté activité professionnelle, Audrey Mondjehi a eu son heure de gloire nationale en 2008. Rappeur amateur (1pulsif), il sort cette année-là un clip dans lequel on voit une femme marchant à quatre pattes et tenue en laisse ainsi qu’un policier violenté et enfermé dans le coffre d’une grosse cylindrée. Les syndicats policiers s’indignent et toute l’équipe de production se retrouve au poste. L’accusé ignore encore que la cour a décidé de diffuser ses œuvres. Interrogé sur ses revenus, il élude d’un simple « J’ai fait beaucoup d’argent ». Ses CD sont distribués à l’échelon régional dans les grandes surfaces. Impossible aussi de savoir combien lui ont rapporté ces clips. Il esquive de nouveau. « Encore une fois Monsieur, je suis frappé par la confusion de vos réponses, en tout cas le manque de précision » s’agace la présidente.

A l’évidence, il tente en permanence de s’adapter à ce qu’il imagine être les attentes de son interlocuteur, ce qui le conduit à des changements de pied permanents. Concernant le contenu de ses œuvres, « J’aimais bien jouer dans la provoc’ c’est ça qui me rapportait de l’argent, c’est la polémique qui fait vendre, si je fais du positif les gens ne vont pas s’intéresser » explique-t-il. « Donc votre but est plus commercial qu’artistique », observe la présidente. « C’est du cinéma, des montages » élude l’accusé, ne sachant trop sur quel pied danser. « C’est quel type d’idée qui fait vendre ? » tente encore la magistrate. Nouveau changement de pied. « Tout rapporte de l’argent si c’est bien fait. Moi à la base je m’en fous du rap, ils veulent de la bonne musique et danser dessus ».

« Dangereux, armés, redoutables »

La cour annonce la diffusion des trois clips. L’accusé s’inquiète, il n’en voit pas l’intérêt. La présidente tente à nouveau de saisir cet homme qui lui file entre les doigts « ça vous dérange qu’on les diffuse ? ». Audrey Mondjehi se recroqueville et assure que non. Le premier clip, celui qui a déclenché le scandale en 2008, est intitulé DAR pour « Dangereux, armés, redoutables ». Durant de longues minutes, la salle d’audience résonne au rythme syncopé de la musique tout en regardant défiler grosses cylindrées, rodéos en deux roues, groupes d’hommes brandissant des armes, policier battu et séquestré, femme tenue en laisse. Dans le box, l’accusé ne fanfaronne plus. Les coudes appuyés sur les genoux, il dissimule sa tête dans ses mains pendant que s’étale l’accablante fantasmagorie de la violence dans les cités.  Il y a dans ce clip une collection d’infractions pénales qui ne sert évidemment pas la cause de son auteur. Ce d’autant plus que l’intéressé, présenté par certains témoins comme un caïd, cumule 22 condamnations en 22 ans ayant abouti à un total de peine de 12,5 années de prison. En art, on appelle cela une mise en abyme.

« —Je faisais ça pour moi-même, je ne pensais pas faire du buzz » se justifie-t-il.

—Vous faites des choix, de montrer des violences sur un policier, une femme traitée comme un animal et des armes, objecte la présidente.

—C’est artistique. On n’a fait pas de mal à personne. On voulait être connus, sans plus ».

« Vous pensez que pour vendre il faut faire référence à l’Islam ? »

Le greffier lance le deuxième clip intitulé « la concurrence ». Celui-là est à la gloire du trafic de stupéfiants et des armes, le tout saupoudré de mains de Fatma et de femmes dénudées se livrant à des danses érotiques. On y voit aussi l’accusé sur un tapis de prière, c’est l’un des éléments qui accréditent les témoignages sur sa conversion. Audrey Mondjehi refuse toujours de regarder.  Interrogé à la fin de la diffusion, il explique le message qu’il a voulu faire passer « on fait du mal et à la fin, le vendredi ou le dimanche, on va demander pardon à Dieu ».  Le troisième clip est du même tonneau, avec un soin particulier des textes : « Ma carrière sera longue comme l’affaire Gregory », « Suce-moi pour toujours salope », « Le crachat du crapaud n’atteindra pas la hauteur de l’aigle qui vole ».

Parmi les autres indices de conversion figurent ses dédicaces sur ses CD où il fait allusion au prophète.

« —Que viennent faire les références à une religion qui n’est pas la vôtre ?

—J’ai des enfants de femmes musulmanes. C’est juste un projet artistique pour faire de l’argent, pour faire du buzz.

—Donc vous pensez que pour vendre il faut faire référence à l’Islam.

—Pas du tout ».

Une fois de plus il s’échappe.

Comme il s’échappera sur son parcours professionnel dont on comprend qu’il consiste essentiellement à travailler comme videur dans des établissements de nuit et un peu dans le bâtiment. Il n’y a rien dans le dossier sur ses revenus, l’accusé se justifie en expliquant que ses avocats ne lui ont pas dit qu’ils devaient verser des justificatifs. La cour est dubitative. On ne saura pas non plus pourquoi il a fait l’objet de deux agressions avec arme à feu, dont l’une a donné lieu à un procès. Là encore, il élude.

« Je me suis fait étrangler, casser la cheville »

Après l’attentat, il s’est présenté spontanément au poste de police. Depuis, il est en détention provisoire. Et ça se passe plutôt mal. Le dossier est rempli d’incidents. Selon les établissements pénitentiaires qui l’ont accueilli, il aurait utilisé son « aura de grand banditisme du milieu strasbourgeois », pour imposer son influence sur les autres détenus et même mettre en place un trafic de stupéfiants au sein de la détention. À l’entendre, il serait victime d’une série d’erreurs et de malentendus, voire de malveillance en raison du motif terroriste de sa détention.  « On est mis à l’écart, les surveillants te parlent mal, je me suis fait étrangler, casser la cheville, envoyer au mitard, raconte-t-il en pleurant. Qu’est-ce que je fais dans un quartier radicalisé, avec des mecs si dangereux que même moi j’ai peur d’eux ? ». Puis il repart dans un discours qu’il a déjà maintes fois tenu « J’ai tué personne, je ne suis pas un terroriste, pendant ces cinq ans et demi j’ai vraiment souffert. Si j’aurais (sic) su que ça allait me tomber dessus je ne l’aurais pas aidé Madame. C’est trop, j’ai des enfants. On peut tout me reprocher mais pas terroriste madame. J’ai un bon cœur, je rends service à tout le monde, il m’a demandé des armes je lui ai présenté des personnes ».

Plus de 100 000 euros de royalties 

Plus tard dans la journée, en réponse à une question d’un avocat des parties civiles, il finit par lâcher que sa musique lui a rapporté plus de 100 000 euros avec les concerts. Quand l’avocat l’interroge ensuite sur le point de savoir s’il a embauché des cascadeurs pour les rodéos sans casque, ou encore s’il avait des autorisations pour tourner sur la voie publique, il se cabre au point que la présidente est contrainte le remettre à sa place.  Lorsque vient le tour des questions de la défense, l’une de ses avocates s’emporte contre le procès qui est fait à son travail artistique. Elle rappelle qu’il n’a pas été condamné pour ce clip, à aucun titre, pas même sur des questions de port du casque ou autre. Puis elle invoque la jurisprudence « Orelsan » du nom d’un rappeur poursuivi il y a quelques années pour avoir présenté dans plusieurs chansons les femmes comme des « putes ». Dans un arrêt du 18 février 2016, la cour d’appel de Versailles l’avait relaxé après avoir rappelé que la création artistique bénéficie d’un régime de liberté renforcée, lequel « doit tenir compte du style de création artistique en cause, le rap pouvant être ressenti par certains comme étant un mode d’expression par nature brutal, provocateur, vulgaire voire violent puisqu’il se veut le reflet d’une génération désabusée et révoltée ». Ou un business, donc…

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