Procès de Pierre Palmade : « L’enfer » de la drogue face au « cauchemar » des victimes

Publié le 21/11/2024

Pierre Palmade a été condamné, mercredi à Melun, à cinq ans de prison, dont deux ferme, pour le terrible accident de la route qu’il a causé le 10 février 2023 à Villiers-en-Bière (Seine-et-Marne). L’humoriste a encaissé la sanction comme il a vécu les huit heures d’audience : le regard fixe et perdu, presque affolé, le teint terreux. Auparavant, il avait plusieurs fois demandé pardon aux victimes.

Procès de Pierre Palmade : « L’enfer » de la drogue face au « cauchemar » des victimes
Pierre Palmade au tribunal de Melun mercredi 20 novembre. (Photo : © I. Horlans)

Il est 20h33 lorsque le président du tribunal correctionnel de Melun, Pascal Couvignou, rend le jugement après 90 minutes de délibéré. Le prévenu, Pierre Palmade, 56 ans, se maintient à la barre. Il est déclaré coupable des « blessures involontaires aggravées » infligées à Yuksel, à son petit garçon Devrim, à sa belle-sœur Mila, à l’octogénaire Michel qui, ce 10 février 2023, n’a pas eu le temps de freiner pour éviter les deux voitures disloquées dans un effroyable « choc frontal » (notre article du 18 novembre ici).

Le comédien, plus exactement l’ombre de l’artiste qu’il fut, s’attendait à la déclaration de culpabilité – il reconnaît sa responsabilité depuis l’accident. Pas à la peine : cinq ans de prison, trois avec sursis probatoire d’une même durée. Deux ans ferme, donc, avec un mandat de dépôt à effet différé et une exécution provisoire. Qu’il interjette appel ou pas, il va être convoqué incessamment par le parquet de Bordeaux, où il réside. Avec la procureure Porterie, il fixera la date et le lieu d’incarcération en Gironde pour purger la sanction. En l’état, elle n’est pas aménageable. Par la suite, peut-être.

« Je suis responsable de la mort de cette enfant »

 Pierre Palmade, un pan de sa chemise blanche dépassant de sa veste noire, est sonné. À l’évidence, il n’était pas préparé à ce coup de massue bien que la sentence, assortie d’obligations de soins, d’indemnisation et de travail, soit conforme aux réquisitions de Marie-Denise Pichonnier, la procureure adjointe de Melun. Les infractions routières, y compris mortelles, sont très exceptionnellement suivies d’un placement en détention. À petits pas mal assurés, il rejoint ses avocats, pose ses poings sur le pupitre. Courbé, il leur parle quelques minutes. Puis, il s’en va par la porte dérobée empruntée en matinée. Il fuit la forêt de cameramen, photographes et médias honnis qui l’ont traqué jusqu’à l’hôpital. Il a accepté une prise de vues afin d’en finir, également pour montrer son nouveau visage, sans barbe de trois jours ni traits dévastés.

La famille kurde qu’il a anéantie a aussi subi le harcèlement médiatique – la critique a été acerbe au cours de l’audience, qui a duré huit heures. Délai inhabituel qui tient à la personnalité de l’auteur, à l’émoi qu’il a suscité.

Les débats se sont ouverts sur un point de droit développé par Me Mourad Battikh, avocat des parties civiles. Un sujet sensible : le statut juridique du fœtus, de cette enfant « indiscutablement viable », selon les experts, morte à cause du « traumatisme abdominal » de Mila, qui la portait depuis près de sept mois. Pour étayer son propos à l’encontre de « cette jurisprudence absurde », « une doctrine poussiéreuse » de la Cour de cassation, qui date de 2001, il s’appuie sur les déclarations de Pierre Palmade : « Il a dit : “Le mot qui me vient à l’esprit est meurtrier. Je suis responsable de la mort de l’enfant”. » Il estime que « le droit protège mieux les animaux », y compris « les œufs des espèces protégées d’oiseaux » que « l’enfant à naître ».

Le président demande à Pierre Palmade s’il est d’accord pour que le chef d’homicide involontaire soit réintroduit. « Non », répond-il. Il expliquera en fin de journée que c’est « une question juridique » et « que ça ne change rien : j’aurai toute ma vie sur la conscience ce bébé mort ».

Dans son réquisitoire, la procureure incitera le législateur à se saisir d’un éventuel revirement de jurisprudence.

« Il a tué ma fille. Elle est partie seule… »

Mila, 27 ans à l’époque de la collision, dit sa détresse à la barre. Menue, en tailleur pantalon noir, elle raconte « l’après ». La césarienne en urgence, le bébé, « ce miracle » tant attendu qui n’a pas survécu : « Il a tué ma fille. Je l’ai vue. J’ai compté ses doigts. Elle m’a montré ses yeux. Et elle est partie seule… » Mila, autrefois assistante auprès de jeunes handicapés, évoque ses séquelles, ses « cauchemars » : « Je ne regarde plus mon ventre. » Elle pleure. Précise que son conjoint est absent « car il ne pardonne pas. » Confie sa difficulté à s’attacher à la petite fille qu’elle a mise au monde il y a deux mois. À l’allaiter, à la prendre dans ses bras. « Un autre miracle, non ? », tente le président. Mila pleure.

Avant elle, Yuksel s’est levé douloureusement, bras gauche en écharpe et béquille à droite : 171 jours d’ITT, des opérations, « au début chaque jour » quand il était « moribond ». Il travaillait dans le bâtiment et, forcément, il n’y a plus d’avenir. « Je ne peux même plus porter mon fils. » Il témoigne assis. Pierre Palmade, statue de cire blanche, le regarde, mains jointes. Pas un mouvement. Pas un battement de cils.

Le fils de Yuksel n’est pas là. C’est un petit garçon de 8 ans « qui est dans le coin de la classe, le coin de la cour de récréation, le coin du salon quand viennent les invités, indique Me Battikh. Ses cicatrices sont visibles et sa bouche, déformée. Il est mis à l’index. »

Michel, 87 ans, est aussi sourd que sa mémoire du choc est vive. « Comme s’il l’avait fait exprès », se souvient-il à propos du déport de la voiture que conduisait Pierre Palmade.

« On est comme des zombis, nus et ensanglantés »

L’humoriste leur succède. « Je suis terrassé de voir les victimes en vrai. Je suis horrifié de savoir que je suis responsable de ça. » Ça, ces douleurs, ces sanglots, ces corps broyés. Le sien n’est guère plus confortable. Il se bat, il lutte au jour le jour, on lui injecte de l’acide hyaluronique pour redessiner son visage. L’orthophoniste lui réapprend à parler.

« Je voudrais leur demander pardon. Je peux me retourner ? » Il pivote et tend un bras vers la famille kurde. « Du plus profond de moi, je veux vous demander pardon. Sincèrement. » Mila fait non de la tête. Deux fois. Pierre Palmade se tétanise : « Je comprends leur colère : un fou, drogué, leur est rentré dedans. C’est inexcusable. »

Il entraîne dès lors le tribunal dans « l’enfer » de la drogue. Il a commencé en 1989 à 21 ans : « De la cocaïne, pour me débarrasser de l’embarras d’être homosexuel. C’était considéré comme une maladie mentale. » Palmade ne s’est « jamais aimé ». En 2018, il découvre la 3-MMC. Redoutable produit de synthèse. Arrive le 8 février 2023 : « On commence à en prendre chez moi à Paris, le mercredi soir. Dans mon appartement, il y a du sang à cause des injections. » Avec ses deux escort boys, il part dans sa maison de Cély-en-Bière. « On s’en injecte une fois par heure pour avoir des rapports sexuels délurés et délirants. Je prends de la coke pour me réveiller. On ne dort pas. » De mercredi soir à vendredi après-midi. « On prolonge la fête. Je dis fête, mais c’est l’enfer. On est comme des zombis, nus et ensanglantés à cause des injections. C’est horrible. »

À 18h30, il part chercher de l’argent à Villiers « pour payer le dealer qui va venir nous ravitailler ». Acheter de la nourriture, de l’alcool. Il s’installe au volant : « Je viens de prendre quatre lignes de coke. Je nous revois tous les trois, euphoriques. Ensuite, c’est le trou noir. Je me réveille à l’hôpital, c’est l’enfer. » Le mot revient souvent.

Au président qui l’interroge sur son inconséquence, il a cette réponse qui explique presque tout : « Mon cerveau a effacé toute notion de prudence et de légalité. C’est difficile de rationnaliser. » Puis : « La dépendance est plus forte que la volonté. »

« La 3-MMC a des effets dévastateurs. Dévastateurs ! »

Procès de Pierre Palmade : « L’enfer » de la drogue face au « cauchemar » des victimes
Pierre Palmade entouré de ses avocats (Photo : ©I. Horlans)

 Les démons de Pierre Palmade ont envahi le prétoire. Ce procès peut avoir une vertu pédagogique. « À partir de 2018, à cause de la 3-MMC, j’ai perdu goût à tout. La drogue m’a empêché de monter sur scène. » Il admet qu’elle l’a désinhibé : l’hypochondriaque terrorisé par le Sida, « romantiquement hétéro, sexuellement homo », a pu « avoir 10 grands amours masculins et coucher avec 4 000 hommes », se libérer des complexes qui l’entravaient, être « un génie d’écriture au cœur sur la main », disent ses amies artistes, « attachant, hypersensible, que la drogue a tué ».

Désormais « sous antidépresseurs à dose élevée », il évite les rechutes, se réfugie auprès de sa sœur Hélène qui, à la barre, tient ces mots terrifiants : « Avant l’accident, je m’imaginais organiser ses obsèques. Ou je le voyais en fauteuil roulant. » Pierre Palmade, devenu « le défouloir de la France », selon son avocate Céline Lasek, sur lequel « les gens crachaient quand ils le croisaient », voudrait « revivre » : « Je ne pense pas revenir sur scène, je veux plutôt transmettre, passer un message sur la drogue, aider. »

À la « 3-MMC qui a des effets dévastateurs. Dévastateurs ! », il ne touchera plus. Son parrain des Narcotiques anonymes, ancien toxicomane, est à ses côtés : « Il y a un an, c’était un homme à terre. Il a su trouver sa place parmi nous grâce à son humilité et son honnêteté. Au fil des mois, il a compris ce qu’était une vie sans stupéfiants. »

Depuis l’accident, il a retrouvé « les plaisirs simples, la famille, tout ce que j’avais perdu ». Il prononce ses derniers mots : « J’ai une seule pensée, c’est pour les victimes. J’espère qu’elles pourront se reconstruire, retrouver une vie la plus normale possible. »

 

 

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