Procès des attentats de Trèbes-Carcassonne : « Pas un seul jour de détention ! » plaide l’avocat de Marine Péquignot

Publié le 23/02/2024

Dans le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, les avocats des sept accusés ont plaidé mercredi et jeudi. La défense de Marine Pequignot n’a pas demandé l’acquittement, en revanche, elle a plaidé contre le retour en prison qu’impliquerait une condamnation à onze ans réclamée par le parquet.

Procès des attentats de Trèbes-Carcassonne : « Pas un seul jour de détention ! » plaide l’avocat de Marine Péquignot
Entrée de la salle des grands procès où siège la cour d’assises spéciale (Photo : ©O. Dufour)

Quand le parquet dégonfle le dossier de l’instruction à l’audience, en réclamant la requalification en délits de droit commun pour trois accusés sur sept, c’est un boulevard qui s’offre à la défense. C’est ainsi que tous les accusés ont plaidé l’acquittement, à l’exception de l’influenceur Sofiane Boudebouza qui n’encourt pas une peine très importante. À l’exception aussi de Marine Pequignot, la petite amie de Radouane Lakdim, dont les deux avocates générales ont singulièrement noirci le portrait lors de leurs réquisitions.

Une nouvelle Hayat Boumedienne…

Pourtant, Marine Pequignot semblait, si ce n’est avoir fait totalement bonne impression à l’audience, du moins présenté un visage acceptable (lire notre compte-rendu de son audition ici).  On avait souligné son jeune âge lors de sa rencontre avec le terroriste (14 ans), évoqué une forte probabilité d’emprise et constaté sa déradicalisation et sa réinsertion depuis sa sortie de détention. Las ! Mardi, lors des réquisitions (lire notre compte-rendu ici), la jeune fille sous influence est devenue une djihadiste partageant les mêmes convictions que son terroriste de petit ami, avec lequel elle formait un couple qui n’était pas sans rappeler aux yeux des avocates générales Amedy Coulibaly (l’auteur de l’attentat de l’Hyper cacher) et Hayat Boumedienne alias « la princesse de l’état islamique ».

Son avocate, Me Alexandra Boret, s’est attachée ce jeudi après-midi à déconstruire la théorie d’une jeune femme ultra-radicalisée dissimulant les projets sanglants de son amant et les siens. Elle a rappelé qu’elle s’était montrée à ses amies en burqa, qu’elle ne faisait pas mystère de son envie de partir en Syrie ni de ses opinions, notamment sur les attentats, ce qui lui avait valu d’ailleurs une rupture brutale avec une amie. Il est vrai que lors de son entretien administratif sur sa radicalisation, elle a nié, mais nié quoi interroge l’avocate ? D’avoir posté des messages ou que cette communication relève de la radicalisation, le PV ne le dit pas. Elle pratiquerait la taqiya (stratégie de dissimulation consistant à donner l’apparence d’une vie normale), mais alors quand elle crie trois fois Allah Akbar lors de son arrestation, c’est de la taqyia de niveau 3 ? ironise l’avocate. En réalité, elle dissimule si peu qu’elle balance tout et s’auto-incrimine en garde à vue. C’est par exemple elle qui apprend aux policiers l’existence des armes sous le matelas de Radouane Lakdim.

…ou une jeune fille sous emprise ?

Et si on la croyait tout simplement quand elle dit qu’elle le voyait de moins en moins et ignorait tout de ses projets ? Quant à son départ en Syrie, dès que le combattant avec lequel elle échange évoque les aspects pratiques, elle élude.  Elle a fait la maline et puis c’est tout, plaide Me Alexandra Boret. D’ailleurs c’est exactement comme ça que sa famille et son entourage percevaient ce projet. Surtout, l’avocate conteste l’image d’un couple dont les deux partenaires se seraient situés sur un pied d’égalité. Elle rappelle qu’ils se sont rencontrés quand elle avait 14 ans et lui 22. C’est toujours lui qui décidait leur rendez-vous, lui qui lui disait quoi faire, par exemple mettre un voile, ne pas manger de porc, faire la prière. Elle n’était rien d’autre pour lui qu’un « plan cul », assène l’avocate qui repend l’expression d’un témoin en s’excusant de ne pas connaitre de façon polie de le dire. Cette asymétrie dans la relation permet de parler d’emprise et d’écarter l’hypothèse d’un couple à la Coulibaly-Boumedienne.

« Vous y penserez toute votre vie »

À son autre avocat, Me Benjamin Bohbot revient le soin d’évoquer la prévention et la peine. Mais surtout, bien qu’il ne le dise pas, de ramener dans le prétoire la jeune femme entendue à la barre et pas celle peinte par le parquet. Il a passé les cinq premières années de sa carrière au cabinet Témime et ça se voit. Lors de sa dernière plaidoirie le ténor disparu l’an dernier avait débuté son propos par une adresse à son client et confrère Xavier Nogueras. Me Bhobot se tourne vers la jeune femme à qui il a la charge d’éviter de retourner en prison. « Je veux vous dire Marine, parce que vous le savez, vous l’avez dit, que vous avez adhéré sciemment quand vous étiez adolescente à une idéologie mortifère terroriste, vous avez détenu, consulté, regardé les images qui figurent parmi les plus violentes ». La défense reconnaît, assume ce passé. Il poursuit : « quelle que soit l’issue judiciaire de ce procès, je suis sûr et certain que vous y penserez toute votre vie. Et je le sais parce que vous y pensez encore. L’une des premières choses que vous nous avez dite en arrivant dans notre cabinet c’est « est-ce qu’ils vont montrer les images, parce que j’en mourrai de honte ! ». Vous vivrez et vous grandirez avec ça, cette réalité qui fut la vôtre de vos 14 à vos 18 ans. Mais vous ne méritez pas ce qu’ont été les réquisitions de l’avocate générale ». L’avocat souligne que Marine Pequignot n’a eu aucun rôle actif dans la préparation du passage à l’acte, contrairement à Hayat Boumedienne avec Amedy Coulibaly. Elle ne l’a pas financé, ni aidé à acheter quoique ce soit, tandis que de son côté ne l’a ni informée de son projet, ni mentionnée dans sa revendication. La comparaison avec le couple Coulibaly-Boumedienne n’est rien d’autre qu’un « slogan ». Au fond, ce qu’on lui reproche, c’est une relation étroite avec Radouane Lakdim, mais ça ne suffit pas à qualifier l’élément matériel de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Les personnes qui ont eu des relations étroites avec lui en connaissance de sa radicalité, il y en a beaucoup, souligne Me Bohbot. Certes, le fameux « je n’ai pas fait le lien » de sa cliente quand on l’interroge sur l’attitude inquiétante de son amant et le risque de passage à l’acte est maladroit, mais ça veut dire en réalité « c’est trop grand, il ne le fera pas ». Quant au fait qu’elle aurait été mise au courant de l’attentat durant la nuit précédente, alors dans ce cas pourquoi se lève-t-elle à 11 h 30 du matin, pourquoi prépare-t-elle une blague à sa sœur avant de partir au Mac Do avec son meilleur ami et pourquoi est-elle en état de sidération lorsqu’elle apprend en fin de journée que le Radouane dont on parle à la télé depuis le matin est « son » Radouane ?

« Vous vous souviendrez qu’elle a choisi la vie »

Il est temps de conclure et l’on retrouve à nouveau la patte d’Hervé Témime dans la manière dont Me Bohbot s’attache désormais à proposer une juste solution à la Cour. Ainsi se garde-t-il de plaider l’acquittement, mais en revanche il a une conviction. « Je sais que l’adhésion aux thèses de l’EI est un élément très grave pour vous, je peux tout vous concéder, mais rien sur la peine. Pas un jour de détention, pas un seul » assène l’avocat. Marine Pequigneau a déjà passé 827 jours derrière les barreaux, rappelle-t-il. Or, vingt-huit rapports, rédigés par une douzaine de spécialistes attestent qu’elle est totalement déradicalisée.  « Ça sert à quoi de la réincarcérer ? »  Et pour donner un peu plus d’humanité à Marine Pequignot, il lit quelques lignes d’une lettre écrite à sa famille en prison le 26 novembre 2018, soit huit mois après les faits. « Aujourd’hui, je repense au parloir, j’ai tellement été heureuse de vous voir, je vous remercie pour les habits, les plats de maman me manquent. Je suis très fière de vous tous ». La psychologie du terroriste, c’est Dostoïevski aux yeux de Me Bohbot qui l’exprime le mieux dans les Possédés en faisant dire à un anarchiste « la liberté de l’homme sera complète lorsqu’il lui sera indifférent de vivre et de ne pas vivre ». Et l’avocat de conclure « quand vous allez vous retirer pour délibérer, vous vous souviendrez qu’elle a choisi la vie ».

 

« Le visage est ce qui nous interdit de tuer »

Les prétoires sont souvent désertés au moment des plaidoiries des parties civiles. Si elles expriment la voix des victimes et peuvent colorer les débats, en revanche, elles ne sont pas décisives pour la décision à venir, contrairement au mano a mano entre l’accusation et la défense. C’est pourquoi elles intéressent moins les médias et le public. Voici quelques fragments, attrapés au vol.

Me Henri de Beauregard, l’avocat de l’otage Julie, a évoqué les cités « En définitive ce procès, ce fut aussi une plongée terrifiante dans une cité comme il en est hélas tant d’autres dans notre pays, terreau de tous les trafics, règne de l’indigence culturelle, terrain de jeu des islamistes.  De ces endroits où, entre deux joints, on se demande si le Coran autorise d’achever les moines, et où l’on visionne des vidéos de décapitation entre un selfie snapchat filtre chien et deux ragots complotistes ».

Le traumatisme des victimes de terrorisme : « Voyez-vous, Monsieur le Président, Mesdames, Monsieur, lorsque la sonnerie a retenti, vous êtes entré dans cette pièce et vous êtes assis. Julie, elle, a regardé derrière la porte. Puis elle s’est raisonnée. Elle a ouvert la porte tout doucement pour e pas faire de bruit. Puis elle s’est raisonnée. Une fois entrée, elle a contrôlé, un coup à gauche, un coup à droite. Et puis elle s’est raisonnée. Elle a cherché les fenêtres. Puis elle s’est raisonnée. Elle a repéré la sortie de secours. Puis elle s’est raisonnée. Elle a évalué des caches. Puis elle s’est raisonnée. Elle s’est approchée d’un fauteuil, s’est retournée pour regarder derrière. Puis elle s’est assise. Et cela partout. Tout le temps ».

L’héroïsme comme réponse à l’abjection : « En définitive, ce qu’elle a vécu ce 28 mars comme ce qu’elle a entendu au cours de ce procès l’ont convaincu d’une chose : où l’homme met de l’abjection, il se trouvera toujours un homme pour mettre un surcroit de dignité / où l’homme développe un génie de cruauté, il se trouvera toujours d’autres hommes pour développer des trésors d’humanité. Où l’un espérait la mort, il en fut un autre pour sauver la vie ». 

Me Jean Reinhart intervenait pour le Super U qui fut le théâtre de la prise d’otage. On retiendra de sa plaidoirie cette méditation sur Levinas. “Le visage, écrivait Levinas, est ce qui nous interdit de tuer.” Ce visage qui remet en place le mur du « tu ne tueras point » qui était alors aboli, c’est par exemple celui de Julie. « Ah voilà mon otage. Allez, c’est bon, sors de là, je ne te ferai aucun mal. » Face à face, le visage découvert de Julie devient son plus grand bouclier face à celui qui vient de tirer sur quatre hommes de dos. Vous vous souvenez, vous avez bien pris conscience, que le terroriste a tué en visant l’arrière du crâne de l’ensemble de ses victimes. Le visage, il ne savait pas le regarder et découvrir dans les traits l’immensité de l’humanité. J’ai la conviction que ces victimes n’ont, elles, pas été le siège passif d’une violence désinhibée mais qu’elles ont opposé au terrorisme le rempart des traits tendus de leur humanité. Par leurs visages elles ont redressé le mur de l’interdit de tuer que l’entourage de Lakdim avait fait tomber ».

 

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