Rue de Trévise : Les victimes veulent une indemnisation avant la signature de l’accord-cadre
Les associations de victimes, qui ont soumis un projet d’accord-cadre dès janvier 2020, finalement étudié par la Ville de Paris en septembre 2021, suggèrent que les premières indemnisations soient débloquées en début d’année. Elles porteraient sur certains « préjudices spécifiques » et permettraient d’attendre plus sereinement la signature de la convention globale.
La mairie de Paris semble enfin décidée à ratifier au plus vite l’accord-cadre dont la validation, initialement prévue le 22 décembre 2021, a été reportée au 5 janvier prochain (notre article du 23 décembre ici). Ces derniers jours en effet, selon une source proche de la municipalité, Anne Hidalgo a réitéré le vœu de voir aboutir ce dossier ouvert il y a deux ans. L’édile a d’ailleurs exprimé sa volonté qu’il soit ratifié lorsque le médiateur réunira de nouveau les payeurs (la Ville, GRDF, le syndic de copropriété du 6, rue de Trévise et les assureurs) et les avocats des victimes, mercredi 5 janvier. Dans cette hypothèse, elle pourrait ainsi envisager de participer, pour la première fois depuis l’explosion survenue le 12 janvier 2019, à la troisième commémoration de la catastrophe. Une cérémonie sera organisée, comme chaque année, par Delphine Bürkli, maire du IXe arrondissement qui nous a accordé une interview (lire ci-dessous).
Si la volonté politique parait désormais acquise, la complexité juridique du dossier est susceptible de retarder encore le calendrier.
Invitée jeudi 23 sur BFMTV, la maire Anne Hidalgo avait imputé le énième blocage aux « associations de victimes », lesquelles avaient préféré, selon elle, « prendre quelques jours de plus pour avoir un bon accord ». Le jour-même, les présidentes des associations lui avaient opposé un vif démenti.
« A caractère exceptionnel, conséquences extraordinaires »
Si la validation de l’accord-cadre a achoppé le 22 décembre, c’est en raison des « préjudices spécifiques » insuffisamment déterminés. Ceux-ci sont en effet soumis à la nomenclature Dintilhac dont nous faisions état dans notre article du 14 décembre (ici). Elle fixe 20 postes pour les victimes directes et 7 pour les indirectes, soit les familles. Il s’agit notamment de l’angoisse d’atteinte déjà constituée à l’intégrité corporelle, de souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent, des pathologies évolutives, du risque de dommage réitéré, de l’angoisse dite « de mort imminente », de la perte de revenus, des dépenses de santé et d’équipements adaptés et du préjudice d’affection pour les proches des tués, dont ici de très jeunes enfants.
En l’absence de nouvelles expertises de chacune des victimes déclarées, il est impossible d’établir précisément qui a droit à quoi. Les indemnisations pourraient cependant être partiellement débloquées, avant la signature de l’accord-cadre définitif, si la partie « objective » des préjudices spécifiques était d’ores et déjà prise en compte. Par exemple, le cas d’Inès : l’étudiante en droit, qui va subir en début d’année sa 42e intervention chirurgicale, est à l’évidence victime « d’atteinte déjà constituée à l’intégrité corporelle » et ses « souffrances endurées », son « déficit fonctionnel permanent », tout autant que ses « pathologies évolutives », sont indéniables. Nul besoin de nouvelle expertise pour s’en convaincre.
« A caractère exceptionnel, conséquences extraordinaires », ne cessent de répéter les avocats des associations Trévise Ensemble, VRET (Victimes et Rescapés de l’Explosion de la rue de Trévise) et de la Fenvac (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs). Ils entendent par-là rappeler que la reconnaissance des préjudices spécifiques s’impose de manière urgente. Il en va parfois de la survie de certaines personnes ne pouvant plus assumer leurs frais de santé, voire leurs besoins quotidiens.
Les avocats plaident donc pour que soient rapidement dégagés des fonds qui viendront en déduction de ceux fixés par les experts une fois l’accord signé. Cela permettrait que se poursuivent posément les discussions et, à la municipalité parisienne, de respecter sa parole donnée en septembre et octobre 2021. Ce serait de surcroît une réponse empreinte d’humanité.
Par ailleurs, les trois magistrats du pôle « accidents collectifs » du tribunal judiciaire de Paris ont officiellement signifié la fin de leur instruction. Le procureur prendra ses réquisitions d’ici au mois de mars, puis les juges décideront du renvoi (ou non) des mis en examen, la mairie de Paris et le syndic de copropriété du 6, rue de Trévise, devant le tribunal correctionnel. La cour d’appel doit par ailleurs encore examiner, le 26 janvier, une demande de contre-expertise de la Ville.
Delphine Bürkli, maire du IXe arrondissement de Paris : « Nous avons soumis le premier projet d’accord-cadre le 9 janvier 2020 »
Depuis le 12 janvier 2019, date de l’explosion survenue devant le 6, rue de Trévise, Delphine Bürkli est aux côtés des victimes de la catastrophe. La maire (DVD) du IXe arrondissement de la capitale, par ailleurs conseillère régionale, qui était sur place quand les pompiers luttaient encore contre l’incendie, fut longtemps la seule élue de Paris à aider les associations et à soutenir les quatre familles endeuillées, les 66 blessés et les quelque 400 sinistrés. A 16 jours de la 3ecommémoration de la tragédie, dont elle assure l’organisation, Delphine Bürkli exprime son désarroi et refuse la possible « instrumentalisation » politique de ce drame.
Actu-Juridique : Comment expliquez que la mairie de Paris reporte sans cesse la signature de l’accord-cadre permettant l’indemnisation des victimes ?
Delphine Bürkli : Au lendemain de sa mise en cause, puis de sa mise en examen en 2020, la Ville de Paris n’a pas souhaité entamer un processus d’indemnisation, prétextant des blocages juridiques. Rien, alors, n’était possible… Trois ans après l’explosion, en pleine campagne présidentielle, tout semble possible, même si la Ville continue à souffler le chaud et le froid. Tout laisse croire, et je le déplore, que la Ville joue la montre.
AJ : Conservez-vous l’espoir d’aboutir au premier trimestre 2022 ?
DB. : La combativité des victimes est intacte et en même temps, il y a une lassitude, une fatigue nerveuse avec lesquelles elles vivent au quotidien. Qu’elles aient été physiquement touchées ou pas, ces victimes vivent avec l’explosion du matin au soir. En plus du stress lié aux imbroglios et aux bisbilles juridiques, ces femmes et ces hommes conservent des séquelles physiques et psychologiques graves. Pour sortir de cette impasse, il faut maintenant signer cet accord-cadre que nous portons depuis deux ans.
AJ : Confirmez-vous avoir soumis en septembre 2020 un projet d’accord-cadre au Premier ministre Jean Castex ?
DB. : Oui, je vous le confirme. D’ailleurs, la première fois que nous avons présenté un projet d’accord-cadre, c’était au cours d’une des réunions que j’ai organisée le 9 janvier 2020 à la mairie du 9e arrondissement de Paris, au lendemain de la publication du rapport qui mettait en cause la Ville de Paris dans ce drame. Ce premier document avait été préparé par la Fenvac et présenté par son avocat, Me Frédéric Bibal.
AJ : Le 9 janvier 2020, et non pas en septembre. Ce projet est donc resté lettre morte durant près de deux ans…
DB.: Au cours de cette année 2020, devant le refus de la Ville de travailler en ce sens, nous avons été dans l’obligation de nous adjoindre les conseils d’un avocat expert en droit public, Me Bernard de Froment. Il a fait des propositions concrètes et applicables, dans le prolongement de celles de son confrère Frédéric Bibal. Nous les avons alors soumises aux différentes parties, et en particulier à la maire de Paris, Anne Hidalgo, et au Premier ministre Jean Castex.
AJ : Anne Hidalgo dit avoir écrit au Premier ministre Édouard Philippe en 2020. Excepté votre propre lettre à l’ancien chef du gouvernement, il n’y a aucune trace de correspondance adressée M. Philippe, l’alertant de la situation des victimes ?
DB.: J’ai seulement connaissance d’une lettre de sa part à Jean Castex, en novembre 2020.
AJ : Au Conseil de Paris en novembre dernier, vous avez reçu le soutien d’élues, Rachida Dati, la maire (LR) du VIIe arrondissement, Danielle Simonnet, conseillère (LFI) du XXe, Nelly Garnier, conseillère (LR, groupe Changer Paris) du XIe, élue à la Région. Pourquoi avez-vous si longtemps porté seule ce dossier ?
DB.: D’abord, je n’oublie pas le soutien de Valérie Pécresse, la présidente de la Région Île-de-France. Au lendemain du drame, elle a débloqué un fonds d’urgence que nous, mairie du IXe, avons géré en 2019 avec la Croix Rouge. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. Je constate qu’en novembre dernier, pour la première fois en 35 mois, d’autres voix que la mienne se sont fait entendre sur ce dossier au Conseil de Paris. J’avoue avoir été sensible aux propos de tous ceux qui, à cette occasion, ont rendu hommage à notre combat. Mais par-dessus tout, je souhaite que ce drame humain échappe aux contingences de politique politicienne, que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition. Je le redis encore une fois : les victimes ont besoin d’un soutien sincère et elles ne doivent pas être instrumentalisées pour mener campagne contre untel ou unetelle.
AJ : Ce combat depuis trois ans est aussi une belle histoire de femmes : vous-même, Sophia Seco, directrice de la Fenvac, et les présidentes des associations de victimes, Dominique Paris et Linda Zaourar…
DB. : Oui. Il s’est noué un lien de confiance très fort entre nous, mais aussi avec des victimes, Dounia, Inès, Vanessa, Jacques, Gilles, Emmanuel, Véronique… Depuis trois ans, nous n’avons qu’un seul et unique objectif : soutenir les familles endeuillées et accompagner les blessés corporels et psychologiques, toutes celles et tous ceux qui ont tout perdu, permettre une juste réparation des préjudices considérables que ces personnes ont subis. J’ai été un témoin direct de ce drame. Quelques minutes après l’explosion, j’étais sur le site. Dès ces premiers instants, j’ai choisi de m’engager pleinement aux côtés des victimes sans faux-semblants et, surtout, sans faire de politique au sens politicien du terme.
Référence : AJU265227