Tribunal de Bobigny : « On a échangé deux ou trois patates, rien de plus »

Publié le 20/08/2021

Il est souvent vain de tenter de prédire l’issue d’un procès.  Lors d’une même audience, un jeune de 19 ans, condamné à 14 reprises, a été libéré quand un homme gravement malade, qui a endossé les faits pour protéger ses amis, a été lourdement sanctionné.

Tribunal de Bobigny : « On a échangé deux ou trois patates, rien de plus »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©I. Horlans)

 Divin n’a pas quitté le box des prévenus du tribunal de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, qu’il entonne déjà une chanson en sautillant, sous les regards éberlués de son escorte. Le brouhaha dans la salle d’audience empêche de saisir les paroles mais on imagine qu’elles célèbrent sa victoire inattendue. Une heure plus tôt, personne n’aurait misé un euro sur son élargissement.

Est-ce la plaidoirie de son avocate, Me Lisa Guillet, qui a conduit les juges à libérer ce récidiviste poursuivi pour violence avec arme ? Peut-être. Mais alors pourquoi Me Karim Morand-Lahouazi, défenseur de Brahim à l’état de santé préoccupant, suspect d’un délit moins grave, a-t-il échoué à les convaincre ? « Je ne comprends pas », ressassait-il, dépité, sur les coups de minuit.

Quatorze condamnations depuis l’âge de 14 ans

 Pour Divin, il n’était pas écrit que ce lundi 9 août serait un jour de chance. Interpellé le 14 juin, il n’a pas pu bénéficier d’une comparution immédiate à cause d’une demande d’expertise balistique. Et cette fois, tandis qu’il est détenu depuis près de deux mois, la 17e chambre correctionnelle constate que les deux victimes n’ont pas été avisées de la tenue du procès. Le report à une date ultérieure est donc inévitable.

Divin ronchonne et trépigne tant que les perles multicolores qui fixent ses tresses serrées s’agitent en tous sens. « Quoi ? Je vais passer l’été en prison pour rien ? », s’emporte-t-il. Il nie l’acquisition, la détention, le port d’arme de catégorie B, il n’a pas tiré sur le domicile familial, ni dégradé la façade à l’aide d’une substance explosive. Sa mère et sa sœur l’ont échappé belle. L’affaire ne pouvant être examinée au fond, on n’en saura pas plus. Seuls les éléments de personnalité sont étudiés.

Il devait suivre une formation de plombier en juillet et vivre chez sa petite amie dont il ignore l’adresse. Il ne sait dire combien de fois il a été détenu : « Trois, j’crois ? » Le procureur rafraîchit ses souvenirs. Divin lève les bras au ciel, vitupère contre le magistrat qui énumère les violences, vols, trafics de stupéfiants ou menaces de mort : 14 condamnations depuis l’âge de 14 ans. « Au tribunal, on parle chacun son tour ! », crie le président. « J’ai levé le doigt », riposte Divin, qui consent à se calmer cinq minutes.

« On met dix jours à vous retrouver sur une zone de deal »

 Mains dans ses poches de pantalon Lacoste, il peine à se contenir, comme un diablotin mû par un ressort. Tandis que le représentant du parquet lui rappelle son évasion en 2017 « qui ne donne pas confiance en vous » et ses « identités imaginaires », il fait un bond.

« – Ben là, j’étais mineur, c’est pas pareil !

– Après avoir tiré sur le logement familial le 4 juin, on met dix jours à vous retrouver. Et où ? Sur une zone de deal de drogue…

– Depuis que je suis sorti de prison en janvier, j’ai rien fait du tout ! »

Bertrand Macle requiert le maintien en détention jusqu’au procès, fixé au 8 novembre. Sachant les intérêts de son client desservis par son attitude, Me Lisa Guillet redouble d’efforts de persuasion : « Il subit deux renvois ! La détention doit rester l’exception. » Elle suggère un contrôle judiciaire « strict », promet qu’il le respectera. A 18 heures, Divin est libéré et obligé de vivre chez son beau-père, à 20 kilomètres de Saint-Denis.

« – Merci, monsieur le président !

– On ne remercie pas le tribunal.

– Ah ? D’accord, merci monsieur.

– Ce que je préfèrerais, c’est vous revoir le 8 novembre !

– J’ai compris, merci monsieur. »

Tel un lutin facétieux, il s’amuse de ses effronteries et entonne sa chanson. Direction Villepinte pour la levée d’écrou.

« On voulait lui mettre un coup de pression »

 Cinq hommes lui succèdent, dont Brahim, 27 ans. Le 5 août à Villemomble, ils sont allés réclamer à Mourad l’argent qu’il devait à deux d’entre eux et rechignait à rembourser. Pour se marier, le débiteur avait emprunté 4 000 euros à Muhammad, 6 000 à Saïd. Les deux jeunes gens, lassés de se « faire balader », ont fait appel à trois proches plus âgés pour « lui mettre un coup de pression ». Problème : ils ont attendu Mourad et son épouse aux abords d’un parking, à 1 heure du matin. L’irritation des uns et la peur des autres ont tout fait déraper.

S’ils ne nient pas avoir effrayé Mourad, ils réfutent tout vol avec violence, le chef de prévention, et des coups portés à Amelle, « partie en courant ». Brahim, qui assume le rôle principal, admet y être allé « un peu fort » : « Je lui ai dit “rends la thune, fils de pute”. On a échangé deux ou trois patates, rien de plus. » Hélas, Mourad est tombé, entraînant une incapacité totale de travail (ITT) de dix jours. Plus curieuses sont les blessures de sa femme, son ITT de sept jours, ainsi que les déclarations du couple.

« Ils sont absents parce qu’ils ont menti »

 Aux policiers, Mourad et Amelle ont certifié que les cinq hommes avaient tenté de leur extorquer « 150 000 euros », qu’ils avaient volé une sacoche, un téléphone et une carte bancaire sous la menace de deux armes. Arrivées en « une minute », les forces de l’ordre ont découvert les biens de Mourad au sol, mais ni revolver ni pistolet. Et les voisins, réveillés, ne corroborent pas la version d’Amelle, soi-disant frappée. Absents, non représentés, ne réclamant aucune réparation de leur préjudice, ils laissent libre cours aux supputations.

« Ils sont absents parce qu’ils ont menti. Ils n’osent pas se présenter », dit Saïd, et l’on est tenté de le croire. « Tout de même, venir à cinq en pleine nuit… », s’étonne le président. « Si on avait voulu lui faire mal et le voler, on serait entrés dans le sous-sol où il se gare. En plus, la famille T. est dans le grand banditisme, on n’était pas là pour se battre, on n’est pas fous. »

Brahim endosse tout mais parle peu. Penché en avant, il tente de suivre au mieux les débats. Atteint de graves lésions aux oreilles, il est quasiment sourd. Insuffisant rénal, il est régulièrement hospitalisé. A chaque fois que la parole lui est donnée, il répète : « C’est moi, et moi seul. »

Contre ces cinq hommes âgés de 21 à 31 ans, livreurs, plombier, routier et restaurateur, le parquet a la main lourde : 18 mois de prison, dont un an ferme. Vent debout contre « un dossier mal ficelé », sans confrontation ni investigations, quatre avocats plaident la relaxe. En défense de Brahim, Me Karim Morand-Lahouazi sait la sanction inévitable, cependant il veut lui éviter l’incarcération. Il insiste sur la sincérité de son client, sa maladie, fustige les plaignants « qui ont enjolivé leur version ».

A 23h30, Saïd, Muhammad et Abdelkrim sont relaxés. Abdallah écope de 180 jours-amendes de 10 euros. Brahim est condamné à 18 mois de prison, dont six avec sursis. Ses amis lui donnent une accolade et les policiers lui passent les menottes.

 

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