Tribunal de Meaux : Ils ligotent un vieil homme pour voler sa machine à coudre

Publié le 21/02/2022

Karim, Thomas et Evans n’avaient aucune chance d’être remis en liberté avant leur procès, prévu le 28 février prochain. En fuite depuis huit mois après l’agression violente d’un octogénaire chez lui, selon l’accusation, ils étaient tous trois récidivistes et soumis à un sursis probatoire.

Tribunal de Meaux : Ils ligotent un vieil homme pour voler sa machine à coudre
Tribunal de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 

Au premier rang de la salle d’audience du tribunal de Meaux, en Seine-et-Marne, les trois petites amies sont en larmes. Assises à deux mètres du box des prévenus, ce vendredi 11 février, elles ne quittent pas des yeux Karim, Thomas et Evans qui n’en mènent pas large. Ils commencent à réaliser que se jouer de la justice peut coûter cher. Lorsqu’ils sont entrés le 26 juin 2021 dans la maison de Michel, un octogénaire, ces jeunes gens avaient déjà une solide expérience des chambres correctionnelles.

Evans, 22 ans, portait un bracelet électronique lorsqu’il aurait commis les faits reprochés. Karim, 21 ans, attendait sa deuxième comparution fixée à la fin de l’année. Thomas, 20 ans, incarcéré trois fois, ne s’était pas présenté à son dernier procès. Aussi, quand la police les a arrêtés les 8 et 9 février, le procureur a décidé de les déférer devant la 1ère chambre à l’issue de leur garde à vue.

« Ma mère ? Je ne connais même pas son adresse… »

 Toutefois, aucun des suspects ne veut être jugé à la va-vite. « C’est un gros dossier », objecte Me Jean-Christophe Ramadier, du Barreau de Meaux, de permanence pénale. « Je suis appelé hier et je découvre des infractions qui sont graves et qui datent du 26 juin. » Commis d’office auprès d’Evans, ne sachant pas si son client les a effectivement perpétrées, il estime préférable de reporter les débats pour étudier l’affaire. Un avis que partage Me Jean-Baptiste Colombani, son confrère des Hauts-de-Seine qui défend Thomas, et qu’il substitue. Intervenant au côté de Karim, sollicité lui aussi 24 heures plus tôt, Me Charles Traore ne dit pas autre chose : pas d’urgence à juger ces trois-là. Deux semaines sont accordées aux conseils. Mais que faire de ces jeunes hommes, d’ici à lundi 28 février ?

Du dossier, on sait seulement qu’ils sont poursuivis pour s’être introduits au domicile de Michel, qu’ils ont frappé et ligoté sur une chaise. Le butin ? Une chaîne en argent et une machine à coudre. Un vieil homme traumatisé pour quelques sous. Heureusement, il n’a pas été grièvement blessé. Tous trois sont prévenus de vol avec violence. Evans doit également répondre de conduite sans permis, et Thomas du refus de communiquer le code de son téléphone portable.

Ce dernier, dont on examine la personnalité, est sans domicile fixe. Depuis son troisième séjour derrière les barreaux en juin 2020, pour dégradations, trafic de drogue et outrages, il dit être « hébergé à droite, à gauche », être « en couple » mais sans vivre chez sa compagne, laquelle pleure à chaudes larmes, la tête entre ses mains. Plombier-chauffagiste, il travaille avec son père, rêve de s’acheter un appartement. « Pourquoi ne pas en louer un ? », demande la présidente.

« – Parce que je préfère éviter de perdre de l’argent.

– Et votre mère ? Elle ne peut pas vous héberger ?

– Ma mère ? Je ne connais même pas son adresse… »

Thomas a aussi « oublié » de se présenter à son dernier procès.

« Je ne fais rien. Avant, j’étais livreur au noir »

 Karim, sweat gris perle Nike Air, n’est guère mieux loti. Déscolarisé dès la 3e, il n’a jamais eu d’emploi stable. Il a bénéficié d’une formation « dans une mairie, je m’étais inscrit à la mission locale, mais finalement ça n’a pas abouti », explique-t-il. Il vit aux crochets de ses parents, qui élèvent ses six frères et sœurs. « Je ne fais rien. Avant, j’étais livreur au noir », reconnaît-il humblement. « Avant » sa première sanction en 2020 : six mois de sursis. En décembre 2021, il a été condamné pour détention de drogue, rébellion et blanchiment : un an, dont moitié sous surveillance électronique. Quand il a été interpellé le 9 février, son équipement l’attendait.

L’existence chaotique d’Evans ne donne pas plus de gage. Depuis 2017, ce grand costaud en doudoune noire cumule les peines pour vol, violences, recel. Il aurait agressé Michel juste après avoir été libéré de la prison où il avait passé neuf mois ; il portait un bracelet à la cheville, retiré en octobre 2021. Il dit avoir cherché du travail : « J’ai eu droit à la garantie jeune mais ça ne me convenait pas. » Evans a pourtant un CAP de pâtissier. Il attend des jours meilleurs chez sa mère. L’adolescent placé qu’il fut durant deux ans s’est réconcilié avec elle.

La procureure n’accorde aucune confiance « aux auteurs de faits graves et commis alors qu’ils faisaient l’objet d’un sursis probatoire ». Elle requiert leur mandat de dépôt à la barre, jusqu’à la prochaine audience. Me Traore a beau plaider que Karim « n’a jamais été emprisonné » et « répondra à la convocation », sa seule parole n’offre pas assez de garanties aux juges.

Me Ramadier, attaché « à la présomption d’innocence », entend batailler sur le terrain « des principes » : « Y-a-t-il un risque à laisser libres (Thomas et Evans) ? Moi, je ne sais pas ! » Il trouve plus approprié que soit ordonné leur placement sous contrôle judiciaire strict.

Les avocats ne convaincront pas le tribunal. Les trois jeunes gens évacuent le prétoire menottés. Ils dormiront dix-sept nuits au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin-Neufmontiers surpeuplé (notre article du 16 février ici).

« On se revoit le 28 févier », indique la présidente. « Ok ! », répondent d’un ton ferme et de concert les prévenus. Ils semblent moins bouleversés que leurs petites amies, qui quittent la salle les yeux gonflés et leurs mouchoirs tout chiffonnés.

 

Tribunal de Meaux : Ils ligotent un vieil homme pour voler sa machine à coudre
Me Jean-Christophe Ramadier au tribunal judiciaire de Meaux le 27 août 2021 (Photo : ©I. Horlans)