Tribunal de Meaux : Trois agresseurs d’un vieil homme condamnés à de lourdes peines
Karim, Thomas et Evans ont beaucoup ri en attendant le jugement à leur procès, le 28 février, au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Face à eux, Michel, 77 ans, battu à son domicile, a pleuré. Il a fait preuve d’empathie pour ses agresseurs. Pas les juges, qui les ont sévèrement sanctionnés.
Le 11 février, la présidente de la 1ère chambre correctionnelle avait accordé 17 jours aux avocats pour préparer la défense des prévenus. Suspectés de vol avec violence aggravé par la récidive, Evans, Karim et Thomas avaient été arrêtés huit mois après s’être introduits chez un homme âgé de 77 ans, séquestré pour un misérable butin. Dans l’attente du procès, ils avaient été incarcérés (notre chronique du 21 février ici).
Ce lundi 28 février, les revoici donc dans le box, encadrés par six policiers. Sur les bancs du public, ce ne sont plus trois petites amies éplorées qui les soutiennent mais deux et cette fois, leur mascara ne coulera pas. Plus de larmes, place à l’insolence qui conduira à l’expulsion. Également présent, Michel, la victime, dont le comportement va bouleverser les magistrats et avocats. Pas ceux qui l’ont attaqué : leurs regrets tardifs, mécaniquement ânonnés, ont laissé une impression d’indifférence.
« On va te couper un doigt ! »
D’apparence frêle dans ses jean et pull noir, Michel s’avance vers la barre à pas hésitants. Son pied marin de skippeur en solitaire du voilier de neuf mètres qu’il continue de manœuvrer semble l’avoir abandonné. Un temps, il a pensé que l’Atlantique l’aiderait à oublier l’après-midi du 26 juin 2021. Il s’est trompé. « Vous subissez, Monsieur, un stress post-traumatique », dira la présidente Emmanuelle Teyssandier, posant des mots sur un mal-être persistant.
Michel saisit la barre à deux mains et raconte. Ce samedi, à 17 heures, deux jeunes sonnent à la porte de sa maison. Ils ont des gilets de la Croix-Rouge, pourtant ils se présentent « électriciens d’EDF » : « Je comprends qu’il y a un truc qui cloche mais ils me poussent violemment. Ils me ceinturent et mettent du scotch autour de ma tête, me giflent en tenant mes bras, je suis jeté par terre. L’un pose son genou sur mon dos afin de m’immobiliser. Ils demandent où est l’argent. Je respire mal, je dis que je suis cardiaque. »
« Où est l’argent ? », répètent-ils, tandis qu’un troisième individu les aide à fouiller le modeste pavillon. « “On va te couper un doigt !”, crient-ils, je sens la lame d’un cutter entailler mon auriculaire. Ils frappent à coups de pied mes fesses, écrasent mes chevilles. J’ai hurlé : “Coupez le doigt, j’ai rien !” J’ai cru qu’ils allaient me massacrer, comme dans les films. »
Finalement, ils relèvent Michel, l’enferment dans les toilettes, en bloquent la porte avec un meuble, et s’enfuient. Pas par bonté d’âme. Ils ont eu peur quand le téléphone a retenti. Ils ont cru au déclenchement d’une alarme et à l’arrivée des gendarmes. En fait, c’est l’amie à qui Michel parlait lorsqu’il a été surpris. Dans le combiné, elle a perçu « au secours ». Elle a douté 20 minutes puis l’a rappelé, le sauvant peut-être d’un sort bien pire.
« Ces petits jeunes ont foutu leur vie en l’air »
Dans le box, Evans, 22 ans, sweat zippé, reconnaît « un cambriolage », pas l’agression. Sorti de prison depuis 20 jours, il portait à l’époque un bracelet électronique. Karim, 21 ans, tee-shirt blanc sous blouson noir, était aussi en sursis probatoire, déjà convoqué à son deuxième procès. Depuis, il s’est vu infliger une peine d’un an sous surveillance électronique. Il avoue « la tentative de vol ». Thomas, sweat gris, a fêté ses 21 ans la veille du procès, son casier mentionne deux condamnations. Il n’a « rien à dire ». Plus tard, il admettra être « le Blanc » que Michel a vu avec « un Noir », soit les deux premiers intrus.
La victime poursuit le récit : « J’ai réussi à sortir des toilettes, non sans mal tant ils m’avaient tapé dessus. J’ai prévenu la gendarmerie. » Les photos instantanées de son visage tuméfié témoignent de son calvaire. « Je précise avoir déclaré qu’ils avaient pris ma machine à coudre, je l’ai retrouvée au milieu du bordel. Mais ils ont volé la chaîne et le pendentif de mon père, ça, c’est dur… » Michel pleure, s’excuse de « [ses] sentiments », reprend : « Ils voulaient m’intimider, pas plus. Ces petits jeunes ont foutu leur vie en l’air pour rien. »
Débordant de compassion, il rechigne à leur en vouloir : « Un peu quand même, conclut-il en réponse à la question de la présidente. C’est important qu’ils soient là pour comprendre. Il y a des choses qui ne se font pas. »
Comprennent-ils ? En aparté, leurs avocats les raisonnent. En vain : aucun n’endosse les violences. Ils objectent ne pas « savoir ce qu’il s’est passé une fois partis ». « Il se serait fait ça seul ? », s’étrangle Me Thierry Benkimoun, avocat de Michel, qui brandit les photos. « Vous dites qu’il ment ? », tonne la présidente. Evans : « Pas qu’il ment, mais faut pas en rajouter. »
« Pourquoi moi ? Je n’ai pas de pognon ! »
La consternation atteint son comble lorsqu’on apprend par Michel que les amies dans la salle ont procédé à des repérages : « Je les avais vues devant chez moi. » Elles étaient de l’expédition le 26 juin. Et que Thomas, artisan, a effectué des réparations chez lui : « Il a vu les billets pour le Noël de mes petites-filles. De là… » Il ne finit pas sa phrase, les interpelle : « Pourquoi moi ? Je n’ai pas de pognon ! »
« Rien à ajouter », réplique Thomas, épuisant la patience de la présidente. Elle expulse l’une des deux filles qui pianotait sur son iPhone, prévient les suspects : « – Si vous continuez à nous prendre pour des idiots, nous en tiendrons compte !
– Je m’excuse, lâche Thomas. Je reconnais tout, j’ai tellement honte…
– L’idée vient de moi, ajoute Evans, je n’étais pas dans un bon mood. C’était de l’improvisation.
– De l’improvisation ? Après les repérages, la route pour venir du Val-de-Marne avec des gilets de la Croix-Rouge ?
– J’ai essayé de les raisonner, précise Karim, c’était un peu précipité. Evans sortait de prison, il avait un bracelet…
– Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ?! C’est gravissime ! »
La personnalité des prévenus est abordée, comme le 11 février. Si Karim n’a jamais travaillé, maintenu à flots par ses parents agents de nettoyage, qu’Evans, pâtissier au chômage, vit chez sa mère, Thomas était mieux loti, salarié d’un père « venu me voir en pleurant », a révélé Michel.
« Comment est-il possible d’arriver devant le tribunal avec des discours si creux, de se comporter ainsi face à celui qui a le courage de vous affronter, qui vous trouverait presque des circonstances atténuantes ? », questionne Me Benkimoun. « Il en rajoute, selon vous ? C’est précisément le contraire. C’est vous qui rajoutez de l’abject à l’abject ! »
« Je salue la dignité, l’humanité et la mesure de la victime »
Le procureur Piat hésite sur le mot qui traduira le mieux son état d’esprit : « Outré ? Scandalisé ? Je préfère me dire inquiet », compte tenu du « profil de ces délinquants incapables d’honnêteté ». Julien Piat tance Thomas que « le courage n’étouffe pas ». Il rappelle la phrase d’Evans en garde à vue : « Des fils de pute, ceux qui l’ont arrangé comme ça » et déplore « l’absence de prise de conscience ». Il requiert six ans de prison contre Evans, quatre à l’encontre de ses comparses, la révocation de leurs sursis, le maintien en détention.
Défenseur de Karim, Me Charles Traore s’adresse en préambule à Michel : « Je salue la dignité, l’humanité et la mesure de la victime. » Toutefois, « la justice n’est pas une machine à distribuer du malheur (…) A leur âge, ils ont besoin d’horizon ». Il demande « de la prudence sur le quantum de la peine ».
Me Jean-Baptiste Colombani, son confrère des Hauts-de-Seine intervenant pour Thomas, convient que « les faits sont dégueulasses. C’est compliqué, y compris en défense. » Son client « porte le poids terrible d’avoir amené les autres chez Monsieur ». Il sollicite une peine mixte qui lui permettrait de continuer à travailler.
Me Jean-Christophe Ramadier plaide pour Evans, il exprime sa sollicitude envers Michel : « La plus raisonnable des paroles du jour, on vous la doit. On ne peut qu’être à vos côtés. C’est bien qu’ils vous voient. Ils réaliseront peut-être ce qu’ils ont fait. » Cependant, l’avocat s’interroge : « Doit-on les condamner aussi lourdement parce qu’ils ne sont pas à la hauteur de vos attentes ? Pourquoi cette différence de peine ? Mon client, qui a parlé, est-il plus impliqué ? Les faits sont absolument inadmissibles mais l’envoyer six ans en prison, n’est-ce pas désespérant ? »
Disposant de la parole en dernier, le trio demande pardon à Michel. Puis, dans l’attente de leur jugement, ils conversent et rient si bruyamment que la victime choisit, pour les oublier, d’évoquer son voilier en Bretagne.
A 20h40, Evans, Karim et Thomas cessent le chahut. Le tribunal condamne le premier à cinq ans d’emprisonnement, ses complices à quatre ans ferme. Les sursis sont révoqués. Ils verseront 6 000 € de dommages et intérêts à Michel, satisfait. Après les élections, il reprendra la mer, cap sur l’Espagne.
Référence : AJU278065