Tribunal de Pontoise : « Cette terrible affaire a permis de mettre au jour ce tyran »
Dernière affaire du jour à l’audience correctionnelle à juge unique de Pontoise. Un vieil homme à la barre est accusé de violences sur son fils. Mais derrière ce dossier banal, se cache une longue procédure, ayant débuté par une ouverture d’information judiciaire criminelle, qui a permis de plonger dans l’enfer d’un tyran domestique.
L’audience touche à son terme, la salle s’est vidée, il n’y a plus un bruit. Un petit homme qui attendait sagement est appelé par la juge. L’huissière avance vers lui et l’invite à gagner la barre ; une femme bienveillante à ses côtés accompagne l’effort qu’il fait pour se lever. Maurice n’est plus tout jeune. Englouti dans une veste matelassée, il avance en traînant les pieds ; le bruit que font ses semelles orthopédiques est, pendant quelques secondes, l’unique son qui emplit la vaste salle d’audience correctionnelle, puissamment éclairée par une lumière blanche. Dehors, la nuit est déjà tombée.
Maurice, 78 ans, est outré. Cela fait presque cinq ans, depuis les faits, qu’il est tourmenté par cette affaire. La femme qui l’accompagne, Cécile, est sa fille cadette. Il a également deux fils, Maurice et Daniel, et une autre fille, Martine. Depuis son banc lointain où elle est demeurée assise, Cécile lève de temps en temps la main pour intervenir, comme elle ferait à l’école. Mais la juge qui procède au récit des faits ignore ce geste incongru dans un prétoire.
Une instruction pour double tentative de meurtre
La scène se déroule lors d’une réunion familiale, au domicile de Maurice et de son épouse, où vit également un de leurs fils, Maurice junior, aujourd’hui quinquagénaire. Il est présent ainsi que les deux jeunes enfants de Cécile, Martine et son fils adolescent.
C’est la fin d’après-midi et les enfants sont turbulents, tout excités devant leur console de jeux. Maurice est irrité par ces chamailleries. Il attrape la petite de 6 ans par le bras. Maurice junior se jette alors sur son père, qui riposte immédiatement en plaquant son fils contre le mur. A partir de ce moment, les versions divergent. Après plusieurs années d’une instruction ouverte pour double tentative de meurtre, le flou demeure.
Selon les témoins, Maurice père n’aurait pas « attrapé la petite fille par le bras », mais lui aurait flanqué une grosse gifle. Ensuite, il aurait saisi son fils au cou et serré si fort que la vie du fils semblait en péril. Le sang de la femme de Maurice père, qui assistait au pugilat, ne fait qu’un tour ; pour sauver son fils, elle saisit une machette, et tape de toutes ses forces sur les bras des deux Maurice, tous azimuts, pour faire cesser l’empoignade.
Selon Maurice père, tout ceci ne serait que balivernes. « Ils ont tout inventé pour protéger mon épouse. Elle sortait des toilettes, et à ce moment-là, mon fils me retient car il ne veut pas que je gronde ma petite fille. Mon épouse a cru que je voulais l’étrangler, elle prend le coutelas et frappe notre fils Maurice ! »
Le prévenu s’exprime avec théâtralité. Il marque les silences, prend la pose, et invoque la mémoire de son épouse décédée pendant l’instruction. La juge regrette que Maurice fils soit absent : il aurait cru, selon sa sœur Cécile, que cette audience ne concernait que les violences faites à la petite fille. Pour le prévenu, c’est la preuve de la confiance et de la bonne entente qui règne entre les deux.
À la ceinture et au bâton
Mais pourquoi protéger la mère et accabler le père ? « C’est ma grande fille Martine qui a mis la pression sur les autres pour raconter cette histoire ! ». Martine à la baguette, aurait sonné la révolte contre ce père tyrannique et ultra violent, qui aurait terrorisé sa famille pendant 50 ans.
Maurice fils a décrit quelques sévices aux enquêteurs : pour le punir, il lui a un jour asséné un coup de couteau sur les doigts, jusqu’à l’os. Il aurait selon lui également subi une émasculation partielle à l’arme blanche. L’autre fils, Daniel, en prison à l’époque des faits, a été interrogé en détention : il décrit également un tyran qui frappait sa mère, ses frères et sœurs, et lui-même. A la ceinture et au bâton, il les frappait quotidiennement. Les policiers notent qu’il semble animé d’une rancœur tenace.
Cécile, la petite dernière, a été épargnée par le patriarche. Elle est sa chouchoute et semble le protéger. Daniel a sombré dans la délinquance, et Maurice fils, brisé, dépendant, chose de son père, est assigné à vie au domicile paternel. Seule Martine semble s’être émancipée ; c’est elle qui a mené la charge devant les juges.
Sous la lumière crue de la salle correctionnelle de Pontoise, Maurice, voix lézardée de vieillard apeuré, se tient le front. « Aaaaah ! » « Aaaah ! » Il est meurtri. « J’ai perdu 14 kilos rien qu’à réfléchir à ça. Mais jamais, jamais je n’ai levé la main sur mes enfants. Tout est faux, c’est une complicité ! » L’entente concerne les faits du 17 janvier, mais également les violences anciennes. « Je n’ai jamais fait ça, j’ai envie de pleurer », se plaint Maurice.
Les versions de tous les enfants concordent : Maurice est un tyran
En aparté, Cécile dit à qui veut l’entendre que ces violences relatées sont fort exagérées, bien qu’elle ait été trop jeune pour s’en souvenir, et qu’il serait désastreux pour sa petite fille d’être privée de l’amour de son grand-père. Mais personne ne l’écoute, et certainement pas la présidente, qui ignore royalement son doigt levé. L’avocat de la partie civile se lève pour plaider : il est remonté comme un coucou. Maurice est un tyran, les versions de tous les enfants concordent, et ce jour-là, c’en fut trop, dit-il en substance. La procureure reprend des éléments de l’instruction. Elle évoque des traces de violences anciennes relevées par les médecins, ce qui affaiblit la théorie du complot soutenue par le prévenu,. Pour quelle raison ? « On a du mal à croire à la version du complot ! »
« Tout le monde décrit un étranglement ultra violent. Votre fils violenté, qui a subi un retentissement psychologique élevé, est totalement sous emprise ! Cette terrible affaire a permis de mettre au jour ce tyran, la violence de Monsieur. » Elle requiert 18 mois de prison, assortis d’un sursis probatoire d’une durée de 3 ans, incluant une obligation de soins et une interdiction de vivre sous le même toit que son fils.
Maurice est venu sans avocat. « Tant pis ce qui m’arrive. Tant pis ! » Il débine Daniel, criminel, mauvais fils qui ne veut que le malheur de celui qui a toujours tout fait pour l’aider. Il maudit Martine, qui a « menti ». Il dit tout l’amour qu’il a pour Maurice et pour Cécile.
Pas plus de 20 minutes se sont écoulées lorsque le vieux Maurice se lève pour écouter la juge : 12 mois de prison avec sursis probatoire d’une durée de deux ans, et une obligation de soin. « Compte tenu de l’âge de votre fils, 50 ans, je considère que vous séparer lui causerait plus de problème, il n’est pas en capacité, manifestement, de s’émanciper. » L’audience est levée.
Référence : AJU279564