Tribunal de Pontoise : « Ce n’est pas à vous de répondre des actes de votre fils »

Publié le 23/03/2022

Tribunal de Pontoise, 16 février 2022, une juge s’affaire dans une salle étroite. Une quinzaine de dossiers l’attendent sur le rôle, qu’elle jugera seule et très vite, dans une configuration pas toujours évidente, et avec parfois quelques ratés.

Tribunal de Pontoise : « Ce n’est pas à vous de répondre des actes de votre fils »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Aujourd’hui, l’audience à juge unique prend place dans la petite salle, et ça tombe mal, car il y a foule. L’huissière ajoute à la hâte quelques chaises supplémentaires dans les coins, mais question gestes barrières, c’est râpé. La juge soulève une grosse pile de dossiers : elle pense stratégie anti-covid, et choisit de débuter par celui qui implique le plus de monde.

Quatre personnes à la barre : une famille, trois générations, et une affaire peu claire. Les faits remontent au 20 avril 2021. Les policiers sont appelés et aperçoivent sur la chaussée un groupe de 20 personnes très énervées. Au centre, Mme D., la plus excitée, dit avoir été « chahutée ». Elle soutient également que sa fille, jeune adolescente, a été frappée avec un manche d’aspirateur.  Face à elle : Mohamed, le doyen. Aziz, son fils, et Abdel, le fils d’Aziz, qui aurait mis le coup de manche d’aspirateur.  Zaki, une cousine d’Aziz, est, comme les deux précédents, prévenue de violences en réunion.

Un CD manquant et quatre personnes convoquées pour rien

Ce jour-là, au volant de sa voiture, Mme D. peine à manœuvrer devant l’entrée d’un parking de Garges-Lès-Gonesse. Manifestement, elle gêne la circulation sur le trottoir et sur la chaussée. Mohamed l’apostrophe :  « Vous ne vous y prenez pas bien », lui lance-t-il. Mme D. trouve le ton très agressif, dominant ; elle le rabroue donc sans délai. Ça met Mohamed en rogne : il met un coup à la conductrice, coincée dans sa voiture. Mme D. et sa fille sortent, donnent de la voix. Les membres de la famille de Mohamed entendent le grabuge depuis leur appartement voisin et viennent à la rescousse du paternel qu’ils croient en danger. Aziz met des coups, puis Abdel armé d’un manche d’aspirateur tape la jeune fille qui tentait de s’interposer, ou de se protéger, on ne sait pas trop. Contusions, ecchymose pour Mme D. : 1 jour d’Interruption totale de travail (ITT).

« Bon, tout ceci n’est pas très clair, mais heureusement nous disposons de la vidéosurveillance », se rassure la juge. La greffière semble un peu gênée, l’huissière chuchote quelque chose. « Bon, il semblerait que nous n’ayons pas le bon CD. » On hésite : quatre personnes convoquées pour rien ? Mais l’affaire ne peut être jugée sérieusement sans cette vidéo, elle propose donc le renvoi. La procureure est embêtée, mais elle admet : il faut renvoyer l’affaire. La défense va dans le même sens. La famille reviendra s’expliquer le 16 novembre.

Son mari est mort, son fils en dépression

La salle s’est un peu vidée, la juge appelle l’affaire suivante : « Le prévenu est absent. Apparemment, il aurait le Covid. » C’est un fils, prévenu d’avoir frappé son père. Ce dernier ne s’est pas présenté non plus, car il est décédé. La juge lève le nez de son dossier et aperçoit une femme affligée.

 » — Approchez Madame. Vous êtes la mère du prévenu. Votre fils, il n’est pas là ? Il a le Covid ?

— Il est décédé ».

Flottement.

« — Oui, votre mari est décédé, mais votre fils ?

— Il est en dépression depuis la mort de son père.

— Et il a le Covid ?

— Non, son père est décédé du Covid.

— Ah. Pourquoi êtes- vous là aujourd’hui ?

— Pour dire que mon mari avait retiré sa plainte.

— D’accord, mais votre fils reste poursuivi (insultes, coups de pied, alors qu’il avait 2 grammes d’alcool par litre de sang). Et votre fils ?

— Il n’est vraiment pas bien.

— D’accord, mais il est convoqué par la justice. »

« L’alcool, c’est de famille »

A la barre, la dame est triste. Elle narre les problèmes d’alcool de son fils, dit que « c’est dur pour tout le monde ». La juge se radoucit.

« — Il est mort quand ?

— En juin. C’est dur. »

La dame pleure.

« — Asseyez-vous. Ce n’est pas à vous de répondre des actes de votre fils.

— L’alcool, c’est de famille. Son grand-père buvait, son père aussi. Et il avait le diabète, c’est pour ça qu’il est mort du Covid. »

La dame regagne les bancs du public.

La procureure requiert 4 mois de prison avec sursis probatoire, et une obligation de soigner son alcoolisme. Sa mère essuie encore quelques larmes.

« — Madame, vous pouvez attendre la décision qui sera rendue à la suspension, mais vous pouvez également rentrer chez vous.

— D’accord. »

Après deux heures d’attente dans le grand hall froid du tribunal judiciaire de Pontoise, elle est revenue noter la peine prononcée contre son fils. Cette peine est conforme aux réquisitions.

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