Tribunal de Pontoise : « Je crois que le maître a tout dit »

Publié le 20/08/2024

Le prévenu est-il une nourrice ou un trafiquant ? Une affaire de stupéfiants en deux temps était jugée le 8 juillet à Pontoise, lors de l’audience de comparution immédiate.

Tribunal de Pontoise : « Je crois que le maître a tout dit »
Tribunal judiciaire de Pontoise, salle des comparutions immédiates (Photo : ©J. Mucchielli)

Cet après-midi, il n’y avait que trois affaires au rôle, mais en y regardant de plus près deux affaires visaient le même prévenu. Elles n’en forment qu’une, celle d’un trafic de stupéfiants extrêmement banal mais tout aussi confus, qui commence par un contrôle routier survenu à Sarcelles, au cours duquel le conducteur désormais prévenu est pris avec un sachet de cannabis posé sur son siège passager, en fait un grand sac rempli de petits pochons pour un total de 143 grammes.

C’était le 2 juillet. Nous sommes le 8 juillet, et Amidou, 32 ans, comparaît devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour détention et conduite d’un véhicule en ayant fait usage de produits stupéfiants, car il a été contrôlé positif au THC. En garde à vue pour ces faits, il admet posséder cette quantité pour « sa consommation personnelle » et aussi « pour faire plaisir à ses amis » et réfute s’adonner au trafic, ce dont les policiers doutent, car il refuse également de donner les codes de déverrouillage de son téléphone portable (« pour éviter les ennuis », dit-il sibyllin).

La présidente embraye sur les autres faits.

Pendant qu’il est en cellule, d’autres policiers contrôlent un VTC dont le passager détient 400 grammes de cannabis. Après palabres, l’homme décide de dire où il vient d’aller chercher le produit. Il indique une adresse et un appartement dont il détient le badge. Les policiers y découvrent 250 grammes de cannabis, des balances de précision et du matériel de conditionnement. Ils trouvent également les papiers d’identité d’Amidou, dont c’est en fait l’appartement. Pour ces faits, il est poursuivi pour détention, offre ou cession, acquisition de stupéfiants.

« Je voulais me débarrasser de ça au plus vite »

Voici son explication : alors qu’il était en garde à vue, une personne a récupéré ses clefs à sa demande pour vider l’appartement. Pas parce qu’Amidou est un dealer, mais parce qu’il est une nourrice. Il garde une grande quantité de stupéfiants pour des dealers qui viennent se servir quand ils le souhaitent en prenant une clef rangée sous le paillasson, en échange de consommation (ce qu’il avait la veille sur lui quand il a été contrôlé). Il dit au tribunal : « Les premiers faits m’ont fait prendre conscience que je ne voulais plus prendre de risque, je ne voulais qu’une chose c’était me débarrasser de ça au plus vite. »

Il ne peut cependant pas expliquer pourquoi c’est sa propre sœur qui a réservé le VTC dans lequel l’homme a été interpellé avec les 400 grammes. La juge se demande aussi pourquoi cet homme, en garde à vue, désigne Amidou comme le dealer à qui il venait d’acheter le produit. Le prévenu rétorque que ça l’arrange bien d’endosser le rôle de client plutôt que celui du trafiquant venu récupérer sa cargaison. La procureure se demande pourquoi, dans ce cas, il a laissé 250 grammes et des balances de précision. Et d’ailleurs, pourquoi le produit n’était pas stocké à un seul et même endroit ? L’accusation semble penser que le prévenu baratine le tribunal, mais Amidou est déterminé à leur démontrer qu’il n’est qu’un maillon vulnérable du trafic, victime de son addiction, nourrice par nécessité.

C’est la confrontation de deux récits : le prévenu est-il un dealer qui a tenté de faire évacuer son stock dans la crainte d’une perquisition, ou un simple consommateur qui voulait en finir avec « les conneries » ? Amidou supplie le tribunal de le croire. Chauffeur de bus, il n’est pas en récidive et sa copine est enceinte. Il a l’air réellement très angoissé.

« Il veut que vous le croyiez »

La procureure : « Je ne crois pas une seconde à la version de Monsieur, et ce pour plusieurs raisons. » Il énumère : la clef sous le paillasson alors qu’il y a quantité de cannabis à l’intérieur de l’appartement ; l’implication de la sœur du prévenu ; le fait qu’il ne soit rémunéré qu’en nature. Il demande sa condamnation pour tous les faits sauf l’acquisition, qui n’est pas démontrée. Comme il n’a pas antécédent et « qu’il va devenir papa, cela m’amène à une certaine modération : 10 mois de prison aménagés ab initio en détention à domicile, une amende forfaitaire délictuelle de 800 euros et la suspension de son permis pour une durée de six mois ».

L’avocat de la défense réplique : « Madame la procureure dit qu’il faut croire l’homme arrêté avec les 400 grammes quand il dit qu’il est allé acheter à Monsieur, j’aurais préféré que Madame la procureure le prouve. » Il insiste sur ce point : cet homme avait tout intérêt à mentir, et il trouve inadmissible que son client soit condamné sur la foi d’une déclaration en garde à vue d’un homme qui ne sera jugé que dans 6 mois. Il demande aussi la relaxe pour l’offre ou cession, car rien n’est prouvé sur ce point. « Il sait qu’il sera condamné pour la détention » (et pour la conduite sous stupéfiants, ndlr), mais il veut que vous le croyiez. »

Derniers mots d’Amidou : « Je crois que le maître a tout dit. »

Relaxe pour acquisition, offre ou cession, condamnation pour le reste. Amidou est condamné à 10 mois de prison dont 5 mois assortis d’un sursis probatoire, ainsi qu’à une amende de 800 euros et à une suspension de permis de 6 mois.

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