Tribunal de Pontoise : « Monsieur prend les enquêteurs, le parquet, et le tribunal pour des idiots »

Publié le 07/11/2024

C’est devant une juge unique du tribunal de Pontoise qu’Irad comparait, le 18 septembre, pour des violences volontaires avec arme ayant provoqué une interruption totale de travail de 10 jours.  Il a percuté avec sa camionnette un dépanneur qui avait commencé l’enlèvement de celle-ci, illicitement stationnée sur une voie rapide, de nuit. Il nie totalement les faits et son avocat, déchaîné, nie encore plus fort.

Tribunal de Pontoise : « Monsieur prend les enquêteurs, le parquet, et le tribunal pour des idiots »
Une salle d’audience au tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

C’est à hauteur de la commune de Mareil-en-France, alors qu’il patrouillait sur la N104 le 5 octobre 2023, que Yanis a aperçu un véhicule garé à cheval sur la bande d’arrêt d’urgence et la voie de droite. La camionnette, feux éteints, représente un danger sur cet axe très passant ; surtout de nuit. Il est 22 h 45, Yanis se positionne derrière le véhicule garé, place un signal lumineux pour prévenir les autres véhiculent et contacte la CRS pour l’informer qu’il doit procéder à l’enlèvement d’un véhicule. La procédure la présence d’un effectif de la police nationale.

Il est en train de descendre le plateau pour faire monter la camionnette, quand, à 23 h 05, deux hommes surgissent des buissons. Ils s’excusent d’avoir dû se garer ainsi ;  un besoin pressant, expliquent-ils, les a contraints à s’arrêter d’urgence. Ils sont prêts à partir, inutile d’enlever le véhicule. Les deux hommes montent dans la camionnette. Yanis leur demande de rester sur place, car la procédure est enclenchée et qu’ils doivent attendre la patrouille de police. Les deux hommes montent dans la camionnette et Irad démarre sans attendre, percute Yanis qui rebondit sur le pare-choc, et s’enfuit.

« C’est lui qui a été violent en tapant sur mon capot »

On ne retrouvera jamais le passager, mais on a débusqué Irad. Il est entendu le 18 janvier 2024 et raconte aux policiers qu’il en avait marre d’attendre les policiers et qu’il a avisé le dépanneur de son départ. « Je ne l’ai pas percuté, c’est lui qui a été violent en tapant sur mon capot », ajoute-t-il.

Le psychiatre qui a examiné la victime, partie civile à l’audience, a relevé un état de stress aigu, une peur latente et des cauchemars importants. Il souligne que cet état évolue vers un trouble de stress posttraumatique. « Après l’accident, l’agent m’a relevé, les CRS sont arrivés. Je ne me rends pas forcément compte de ce qu’il s’est passé. J’ai fait un déni parce que j’aime mon travail, mais ça m’a impacté », dit-il à l’audience. Sa conjointe a accouché de leur premier enfant dix jours avant les faits.

La juge demande à Yannis ce qu’il a ressenti. « J’ai eu peur, j’ai cru que j’allais finir écrasé. » Le dépanneur explique qu’il était en train de mettre le crochet à l’avant de la voiture, « quand il a accéléré :  j’ai roulé sur le capot, accroché un essuie-glace et crié ‘stop’ ; il a fait une manœuvre pour contourner la dépanneuse et j’ai basculé sur le côté ».

« Un pigeon peut faire ça, mais pas un humain »

L’avocat d’Irad a décidé de tout reprendre et de poser des questions sans fin dans lesquelles il insère à chaque fois de mini plaidoiries et des jugements assez péremptoires à l’encontre de la partie civile. Par exemple : « comment peut-on s’accrocher sur une voiture comme ça alors que le pare-choc vous arrive à la taille ? Comment faire ça et sortir indemne ?

— Si je puis me permettre, vous n’étiez pas sur place, vous ne pouvez pas savoir si j’étais indemne. J’avais des douleurs et le crâne en sang.

— Comment est-ce possible de faire ça ? Un pigeon peut faire ça, mais pas un humain.

— Quand un véhicule vous pousse, automatiquement, vous montez sur le capot ».

Le procureur intervient : « ce n’est pas le procès de la victime, je voudrais qu’on ait un minimum de considération ».

Des dizaines de questions de cet acabit viennent semer la confusion. L’avocat s’étonne qu’on ne trouve pas de trace de pneu sur la terre (le véhicule était garé sur la route, ndlr). En fait, l’avocat fait semblant de ne pas comprendre et, d’un air faussement naïf, pose des questions dilatoires, auxquelles la partie civile répond comme elle peut. L’avocat improvise de nouvelles questions jusqu’à ce que le récit n’ait plus aucun sens, puis il hoche la tête d’un air grave et indigné et explique qu’il ne comprend pas, que cela n’a selon lui pas pu se dérouler ainsi, sans démontrer pourquoi. Puis il divague sur l’indigence de la procédure (« jamais vu ça en 30 ans de barreau ») et sur la dimension quasi dreyfusard de l’accusation qui accable son client.

« Je ne suis pas un psychopathe »

Peu avant, le prévenu était interrogé par la juge. « Alors Monsieur, que s’est-il réellement passé ce jour ?

— Quand on ressort des buissons, il y a dépanneur assez désagréable avec nous, et la police n’arrive pas. Je lui dis que je vais partir. Dès que j’ai mis le contact, il est venu et a tiré ma porte, j’ai démarré et à ce moment-là, il est tombé. Je ne lui ai pas roulé dessus, je ne suis pas un psychopathe. Je suis parti, c’est vrai que j’aurais dû attendre la police.

— Pourquoi il dirait ça ? »

L’avocate de Yannis lui demande : « Pourquoi vous n’avez pas attendu la police ?

— Pour moi, un dépanneur ne peut pas obliger à rester et à attendre la police. Je ne connais pas les lois, mais pour moi il ne peut pas. »

Alors qu’il était censé poser des questions, l’avocat de la défense entame une plaidoirie. Il fait des hypothèses auxquelles il répond, dans une démonstration dont lui seul semble saisir la logique.

Aujourd’hui, Yannis ne fait plus d’astreinte sur l’autoroute. Le prévenu, jamais condamné, a toujours son permis et possède toujours le véhicule. Après avoir demandé le renvoi sur intérêts civils, l’avocate du dépanneur dénonce : « On crée un flou artistique absolu ; les questions posées à monsieur sont complètement hors sujet », déplore-t-elle.

Le procureur, jusque-là silencieux, mais dont on pouvait observer le visage fermé et somme toute agacé, prend la parole pour ses réquisitions. « Je vous avoue, dit-il, que j’ai du mal à comprendre la tournure de cette audience. Il faudrait voir à ne pas se tromper de procès. »

Il donne sa vision des choses. « Ces messieurs arrivent du bas-côté, nous inventent une fable avec énormément d’aplomb. Ils disent que c’est pour faire leurs besoins, on sait très bien que ce n’est pas pour ça. Un agent a dit que le lendemain, le même véhicule était arrêté au même endroit. Monsieur prend les enquêteurs, le parquet, et le tribunal pour ce qu’ils ne sont pas, c’est-à-dire des idiots. Il a voulu échapper au contrôle de police parce qu’il savait que ça allait mener vers une autre enquête, et il a réussi son coup. On n’a pas pu le contrôler pour les stups et l’alcool ; il a voulu échapper à ses responsabilités, quitte à mettre la vie de Monsieur B. en danger », cingle-t-il. « Monsieur savait très bien qu’il allait sans doute être placé en garde à vue pour vol avec effraction. » À proximité, une propriété grillagée ; dans le grillage, des trous béants réalisés à la tenaille.

« On n’est pas passés loin du drame ! »

Sur les faits, il balaie : « On a les déclarations des deux agents. Monsieur B. A été traîné sur 50 mètres, il ne vient pas un an après les faits pour nous inventer un traumatisme qui a de toute façon été constaté par un psy. On n’est pas passés loin du drame ! »

Il requiert six mois de prison avec sursis probatoire, la confiscation du véhicule, l’annulation de son permis et une interdiction de le repasser pendant trois ans. 4 000 euros d’amende, « car à mon sens, il y avait une activité lucrative derrière tout ça ».

L’avocat est sidéré. « Je vous avoue, Mme le président, j’ai plus de voix. J’ai 30 ans d’avocature et c’est la première fois que j’entends des réquisitions de telle sorte. C’est un règlement de compte, une punition parce qu’on a voulu la vérité », et ça dure 37 minutes exactement, avant que la juge ne suspende l’audience et ne revienne pour finalement condamner Irad aux réquisitions. Réduisant toutefois l’amende à 2 000 euros et la période d’interdiction de repasser le permis à un an. L’avocat n’a pas attendu la décision.

 

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