Tribunal de Pontoise : « Rien ne permet de dire : Monsieur, vous vous moquez du monde ! »
Un jeune homme de 21 ans est jugé le 21 novembre par le tribunal correctionnel de Pontoise, pour de la détention de cannabis et une rébellion, dont il se défend.
Ayoub est assis au premier rang avec sa mère. Le tribunal entre. Ayoub et sa mère se lèvent, elle se rassoit, il s’avance à la barre. Son avocate approche du tribunal, le président l’avise : « Maitre, si vous voulez développer vos conclusions de nullité, c’est maintenant.
— Eh bien non, Monsieur le président, après avoir discuté avec Mme la procureure, j’ai décidé d’y renoncer.
— Ah, parce qu’elle vous a convaincu qu’on était en flagrant délit ?
— Non, ce n’est pas pour ça.
— Parce qu’il y avait un chien qui a senti le stup’. Chien, odeur, flag’ = policier, odeur, flag’, c’est la Cour de cassation qui l’a dit ! » Ambiance débonnaire. Le juge assesseur à droite est hilare. En clair, le chien est le prolongement du policier et le fait qu’il sente une odeur de stupéfiant permet une intervention en flagrant délit. « Est-ce que le policier qui se constitue partie civile est représenté ?
— Non, elle n’est pas venue, à cause de la neige ! » avertit la greffière.
Ayoub est bien là. Le 28 février 2024 à Saint-Gratien, il était chez lui, quand les policiers municipaux ont ressenti une forte odeur de cannabis émanant de la boite aux lettres de l’appartement 102. Ils appellent la police nationale. Un policier jette un œil par la fente et voit un sac en plastique bleu. À ses côtés, le chien émoustillé confirme. Ils mettent en place une surveillance de la boite aux lettres.
« C’est une erreur du facteur ? »
Ils attendent deux heures avant qu’un jeune homme ne descende relever le courrier. Ayoub ouvre la boite aux lettres et saisit le sac bleu. Les policiers lui sautent dessus. Ils le mettent au sol, Ayoub se relève. Il s’appuie sur un fonctionnaire, qui chute. Il tente de s’extirper de la masse de bras et de jambes qui tentent de le retenir au sol. Un policier finit par user de son pistolet à impulsions électriques, Ayoub se raidit, se fige et se rend.
Dans le sac, 72 grammes de « produits stupéfiants », dont on devine qu’il s’agit d’herbe de cannabis. D’un ton toujours aussi débonnaire, le président demande : « Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé, Monsieur ?
— J’étais chez moi, je suis descendu pour prendre le courrier, ils m’ont sauté dessus, et comme je suis quelqu’un de sensible, j’ai pris peur.
— Mais vous avez bien vu qu’il s’agissait de policiers.
— En fait, ils ont crié, mais comme ils m’ont directement sauté dessus, je me suis débattu par réflexe.
— Comment expliquez-vous la présence d’un sachet rempli de produits stupéfiants dans votre boite aux lettres ?
— Je ne l’explique pas.
— C’est une erreur du facteur ?
— Aucune idée.
— Qui habite dans cet appartement ?
— Mes parents et ma famille, en tout 6 ou 7 personnes.
— Est-ce qu’il y en a qui consomment des stup’ ?
— Non, pas à ma connaissance.
— On a exploité votre téléphone et il n’y a rien qui vous relie aux stupéfiants. Vous consommez
— Non pas du tout. »
Ayoub n’a par ailleurs jamais été condamné, ni même été concerné par une procédure judiciaire ou policière. La procureure pose la même question que le juge sur la raison de la présence du « pochon » d’herbe dans la boite aux lettres, et Ayoub fait la même réponse en écartant les bras, en ouvrant la bouche, puis en la refermant et en laissant retomber les bras sur ses hanches anguleuses.
Le parquet est ennuyé. « J’ai conscience qu’il n’y a pas énormément de chose, les policiers notent qu’il ouvre la boite aux lettres et prend directement le stup’. J’ai dû mal à croire que quelqu’un l’y a mis par erreur. » Pas de problème pour la rébellion en revanche, qui lui semble parfaitement caractérisée. Elle demande 105 heures de travail d’intérêt général.
Pris de panique
L’avocate n’a pas parlé, alors elle se rattrape. « Je veux bien que les enquêteurs n’aient pas la même formation en droit que nous, mais ils pourraient faire un effort sur la qualification », dit-elle en préambule (ils ont simplement écrit « Rébellion » et « détention de stupéfiant »). Elle explique ensuite qu’il ne vit pas tout seul et qu’à partir de là, le doute reste entier. « Rien ne permet de dire : Monsieur, vous vous moquez du monde ! »
Sur la rébellion : « Il est dans son hall d’immeuble, dans un espace qui est le prolongement de son domicile, on peut imaginer qu’il se retrouve pris de panique et qu’il a juste essayé de se relever et de se carapater. » Elle demande la relaxe et, subsidiairement, de le condamner à des jours amende plutôt qu’à des TIG, puisqu’Ayoub a un travail rémunéré.
C’est ce que fera tribunal : 60 jours-amende à 10 euros pour la rébellion, relaxe pour la détention de cannabis.
Référence : AJU486169