Violences familiales : « Elle me manque de respect, son comportement doit évoluer »

Publié le 16/08/2021

Christian se défend d’être « un mari violent ». Néanmoins, il admet que « le ton monte » lorsque Ndeye ne lui montre pas le respect qu’il attend d’elle. Déjà condamné pour viol et séquestration par une cour d’assises, il s’est employé à convaincre le tribunal de ne pas le renvoyer en prison.

Violences familiales : « Elle me manque de respect, son comportement doit évoluer »
Tribunal judiciaire de Créteil, salle des pas perdus. Photo : ©P. Anquetin

Ndeye a déposé sa première plainte contre Christian en 2011. Classée sans suite. Puis elle a, plusieurs fois, fait consigner ses agissements sur le registre de main courante. En vain. Aussi, lorsque les 22, 24 et 31 mai 2021, il s’est à nouveau énervé jusqu’à taper deux des enfants et l’a harcelée, elle s’est tournée vers un juge aux affaires familiales (JAF). Celui-ci a alors exigé de la police les signalements depuis dix ans et les a considérés suffisamment graves pour aviser le parquet, munir la mère d’un « téléphone grand danger », délivrer une ordonnance de protection des mineurs, retirer l’autorité parentale au père. Ndeye s’est enfuie avec ses enfants et vit désormais cachée.

Jugé en comparution immédiate à l’issue de sa garde à vue du 4 au 6 août, Christian, un Congolais de 37 ans, ne demande pas de délai pour préparer sa défense. Par conséquent, le président de la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil (Val-de-Marne) résume « cette procédure à tiroirs ».

« Où part l’argent que je lui donne ? Qu’en fait-elle ? »

 Le ministère public n’a retenu que les violences et le harcèlement commis en 2021, à Ivry-sur-Seine. Amplement suffisant pour avoir une idée de la façon dont cet homme à l’allure athlétique conçoit la vie de couple. Selon l’accusation, le 22 mai, contrarié, il attrape sa femme par le bras, la projette contre le mur. Sa belle-fille de 16 ans s’interpose, il la saisit par les poignets et la pousse contre la télévision. « Pas fort puisque la télé n’est pas cassée », objectera-t-il « en riant » durant son audition. Le 24, son petit garçon de 6 ans tombe après qu’il l’a séparé de son frère. A partir du 31, la boîte vocale du téléphone de Ndeye sature de messages : la « sale conne » doit rentrer à la maison et changer d’attitude à son égard. « Elle me manque de respect, son comportement doit évoluer », répète-t-il en boucle dans le box.

« – Cela signifie quoi, vous “manquer de respect” ? demande le président.

– Où part l’argent que je lui donne ? Qu’en fait-elle ? Qui enrichit-elle ?

– C’est vous qui faites à manger, qui habillez les enfants ?

– Non, je n’entre pas dans la cuisine.

– Je vois que vous êtes marié religieusement mais pas civilement…

– Oui, l’imam nous a unis à la maison.

– Vous êtes dans l’illégalité, monsieur, alors ne parlez plus de respect ! ».

« Le psychiatre écrit en gras “injonction de soins nécessaire” »

Assise dans la salle, la mère de Christian, en robe à carreaux rouges, couve du regard son grand fils chauve tout de noir vêtu et dont la longue barbe déborde du masque. En signe de réprobation, elle s’agite dès qu’il semble aculé. Par exemple, quand il réfute toute forme de violence et que les juges ne paraissent pas convaincus. Ou quand sont révélées les conclusions de l’expertise psychiatrique du 5 août : « “Discours diffluent avec des propos décousus, suivi indispensable, délire de persécution”. Le psychiatre écrit en gras “injonction de soins nécessaire”. » Christian avoue ne plus prendre les psychotropes essentiels à son équilibre.

Lorsque sont abordées les séquelles de Ndeye, un « état anxio-dépressif à cause d’un contexte de terreur », il sort de ses gonds et interrompt le juge. En revanche, il fait profil bas à l’évocation de son passé : sept ans de prison pour viol et séquestration, condamnations pour délit de fuite, violences et rébellion, dégradations, entrée irrégulière en France.

« – Vous êtes arrivé à l’âge de 10 ans et n’avez toujours pas régularisé votre situation ?

– C’est en cours. J’attends mon titre de séjour.

– Vous suivez une formation, percevez une allocation chômage de 1 200 € alors que sans papiers, vous n’avez pas le droit de travailler, c’est exact ?

– Oui.

– J’adore la logique de Pôle emploi », soupire le président Hauger.

« Monsieur n’est pas un fou furieux ! »

 Ndeye est venue au tribunal en début d’audience, elle n’a pas eu la force de rester. Me Claire Maugat-Decosse la représente, ainsi que l’adolescente et le garçonnet. « Madame a quitté le domicile car il a mis sa fille à la porte. Il a appliqué sa formation de serrurier en changeant les verrous, elle n’a pas pu récupérer leurs affaires ! », indique l’avocate. Ses clients ne veulent aucun dédommagement financier, juste une interdiction de les approcher.

La procureure Juliette Thiery s’alarme « du mode de fonctionnement » de Christian : « Monsieur est tout-puissant, ne supporte pas la contradiction et, on l’a vu ici, il poursuit dans cette direction. ». Elle requiert dix mois de prison assorti d’un mandat de dépôt, une obligation de soins, cinq ans de suivi socio-judiciaire sans contact avec sa famille.

« Monsieur n’est pas un fou furieux, s’emporte Me Christian Lefèvre, qui défend le prévenu. Vous n’avez que les allégations de madame ! » Près de lui, en formation d’astreinte aux commissions d’office, Me Larissa Otche prend des notes. Après lui, elle va assister Soko, poursuivi pour des faits similaires. « L’examen médical de madame ne révèle pas de blessure. Son incapacité psychologique de 25 jours a été constatée en visio-conférence ! Monsieur n’est pas une grosse brute épaisse qui jette sa femme dehors ! ». Quant aux nombreux messages sur son répondeur, ils ne prouvent rien : « J’en laisse plus de trois par jour à mon épouse et elle considère que c’est de l’amour. » Son client, conclut-il, est prêt à se soigner.

A 18h40, le tribunal coupe la poire en deux : pas de retour en prison mais un suivi durant cinq ans, deux ans de détention s’il ne le respecte pas. Plus question de voir Ndeye : « Si vous la croisez dans la rue, vous changez de trottoir ! Compris ? », clame le président. Le JAF prendra les mesures pour les enfants. Enfin, Christian est sommé de se soigner. Mère et fils opinent. Ils ont prévu de déménager à Nice, ce qui permettra à Ndeye de quitter sa cache de fortune.

Violences familiales : « Elle me manque de respect, son comportement doit évoluer »
Maîtres Larissa Otche et Christian Lefèvre au tribunal de Créteil le 6 août – ©I. Horlans
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