Violences familiales : Un surveillant pénitentiaire incarcéré et interdit d’exercer

Publié le 28/10/2021

Bruno, un gardien de prison de 30 ans qui s’apprêtait à devenir policier, a intégré mercredi 27 octobre en soirée une cellule de la maison d’arrêt de la Santé, à Paris. Le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) a sanctionné les violences infligées à sa femme, à ses deux maîtresses et à un enfant.

Violences familiales : Un surveillant pénitentiaire incarcéré et interdit d’exercer
Photo : ©AdobeStock/AungMyo

« Monsieur est un Don Juan qui a un problème », résume pertinemment son avocate, Me Julia Moroni. Le « problème » de Bruno, arrêté samedi 23 octobre et jugé devant la chambre des comparutions immédiates à Meaux, se caractérise par « des réactions violentes et inappropriées », reconnaît sa défenseure commise d’office. Elle tentera d’atténuer l’image négative qu’il a produite à l’audience, s’accrochant aux « incertitudes » d’un dossier vite bouclé ; en vain. Me Moroni ne pouvait lutter ni contre les déclarations de trois femmes agressées ni contre la parole d’un garçonnet de 5 ans soumis à des châtiments du XIXe siècle.

Dans le box des prévenus, ce 27 octobre, le surveillant pénitentiaire tombe le masque quand les policiers et magistrats respectent les règles sanitaires. Le Réunionnais à barbe bouc façon Kanye West offre ainsi son visage aux regards qu’il apprécie de défier. Vêtu d’un blouson noir, il a effectivement un certain charme. Toutefois, il demeure éloigné du personnage mythique de l’Espagnol Tirso de Molina, du moins de la représentation que l’on s’en fait. Mais, comme le libertin de fiction, il affiche l’arrogance de qui rejette les contraintes morales.

« Ce qu’il faisait à mon fils, j’appelle ça de la torture »

 Les trois premiers chefs de prévention sont identiques : violence. Pour le quatrième, un pluriel s’impose puisque les coups sont « habituels ». Seuls changent les destinataires. Sa femme, la mère de son bébé, est la principale victime de Bruno. Entre le 1er janvier 2019 et le début d’année 2021, Léa* a été régulièrement frappée, y compris quand elle était enceinte. Une sage-femme l’a vue avec un œil au beurre noir à la 26e semaine de grossesse. Il a fallu qu’il lance leur fille de 9 mois, rattrapée de justesse, pour qu’elle se décide à le quitter.

Les deux autres adultes ayant subi les foudres du « Don Juan » sont ses maîtresses. L’une a été menacée de mort entre deux corrections ; l’autre a été jetée contre une rambarde de sécurité sur l’autoroute devant leurs amis terrorisés : « Là, j’étais bien arrosé », se justifie-t-il. Assurément puisqu’il a poursuivi le trajet portière ouverte, tétanisant sa compagne qui a fini par appeler les pompiers.

Le dernier souffre-douleur de Bruno est le petit garçon de sa « légitime », Léa. Il n’en est pas le père et ne le supportait pas. Entre ses 3 ans et 5 ans, « l’imbécile », comme il le surnommait, était si souvent puni qu’il fonçait se cacher dans sa chambre lorsque Bruno rentrait du travail. La présidente Isabelle Verissimo détaille l’une des sanctions : « Vous l’obligiez à rester debout et à tenir des bouteilles pleines que vous scotchiez à ses mains. » Il minimise : « Pour les bouteilles, d’accord, pas pour le scotch. C’était pour l’entraîner. » A quoi ? Il élude. « Ferme ta gueule ! », hurlait-il au bambin en larmes. Sa mère : « Ce qu’il faisait à mon fils, j’appelle ça de la torture. » L’enfant montre « des marques de souffrance », indique sa psychologue.

« Je crains le jour où il portera une arme »

L’une de ses amantes, si effrayée qu’elle « pleurait pendant leurs rapports sexuels », le décrit ainsi : « Il est dangereux, incontrôlable, manipulateur, menteur. C’est un pervers narcissique. » Et par-dessus le marché, gardien de prison, pourtant déjà condamné.

Car avant ces épisodes en métropole, il avait tabassé sa première épouse sur l’île de la Réunion, la mère de son fils de 7 ans qu’il ne voit plus. Il est question d’un « nourrisson tué sous les coups », lui parle de « bébé mort-né ». Pour ces violences passées, Bruno a écopé de trois mois de détention avec sursis et a quitté le département de l’océan Indien, cap sur Noisiel en Seine-et-Marne. Là, le fonctionnaire a gagné la confiance de ses supérieurs (son dossier ne mentionne aucun manquement contre les prisonniers) et a récemment passé le concours pour devenir gardien de la paix. Intégrer la police, son rêve. Reçu à l’écrit, il devait passer les épreuves physiques le 9 novembre. Ce qui ne l’a pas empêché de hurler contre ses futurs collègues en garde à vue : « Vous me faites chier », a-t-il aimablement riposté quand il se sentait acculé.

Léa : « Je crains le jour où il portera une arme, quand il sera policier. » Lui : « C’est son point de vue. Elle se venge de mes infidélités. » La présidente : « – Vous ne la frappiez pas quand elle attendait votre fille ? Elle ment ?

– Des gifles, oui, mais faut comprendre, à cause de ses hormones elle était toujours sur moi, même lorsque je rentrais fatigué. Je lui disais : “Faut que tu te calmes !” et ça dégénérait. »

Tout à sa volonté de se défausser, il évoque une histoire de couette qu’elle tirait pour qu’il soit découvert. On s’y perd.

« Elle ne veut pas d’argent, juste ne plus jamais vous voir »

Bruno n’assume rien. « Tout de même, insiste la juge, vous êtes surveillant pénitentiaire… Vous lui faites des clés de bras, donnez des coups de pied et c’est sa faute ? » Mains dans les poches, il invoque la provocation. « En tout cas, elle ne veut pas d’argent, juste ne plus jamais vous voir », conclut la magistrate.

Le procureur Hervé Tétier croit les victimes, qui ont témoigné de scènes similaires alors qu’elles n’ont pas de lien. Atterré par les violences exercées sur le garçonnet « et les nombreux SMS qui en attestent », il requiert trois ans de prison, deux avec sursis, le mandat de dépôt à l’audience, le retrait de l’autorité parentale et l’interdiction de rester dans l’administration.

Me Julia Moroni, dont c’est le 3e dossier et de loin le plus difficile, s’avoue « mitigée » : « Cette affaire a un air de demi-vengeance. J’aimerais que l’on soit sûr avant de le sanctionner lourdement ». À 21h05, le tribunal revient, convaincu : Bruno est condamné à deux ans de détention, dont un ferme, et sera écroué le soir même. Il est privé de l’exercice parental, est obligé de se soigner, n’approchera plus les victimes. Et il lui est interdit d’exercer dans la fonction publique, « à titre définitif ».

Secoué, il hoche la tête de bas en haut : « Je pourrais aller dans une maison d’arrêt en dehors de l’Île-de-France ? » Plus qu’à ses femmes, il songe à ses collègues qui vont l’accueillir…

 

*Prénom modifié

Violences familiales : Un surveillant pénitentiaire incarcéré et interdit d’exercer

Me Julia Moroni au tribunal judiciaire de Meaux, mercredi 27 octobre (Photo : ©I. Horlans).

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