Pouvoir souverain de pleine juridiction de la chambre de l’instruction et appréciation des charges pesant contre le mis en accusation

Publié le 12/05/2017

Ne donne pas de base légale l’arrêt de la chambre de l’instruction qui déclare l’appel du mis en examen non fondé, alors que les magistrats doivent apprécier s’il existe à l’encontre de la personne mise en examen des charges suffisantes d’avoir commis un crime et d’ordonner son renvoi devant la cour d’assises.

Cass. crim., 7 déc. 2017, no 16-86926, F–PB

1. Ce n’est déjà plus un secret pour personne : les articles 2141 et 2152 du Code de procédure pénale ne sont pas contraires aux principes constitutionnels des droits de la défense, de la présomption d’innocence ainsi que du principe d’égalité devant la loi3. Mais de nombreuses difficultés demeurent, parmi lesquelles l’office de la chambre de l’instruction en cas d’appel d’une ordonnance de mise en accusation4. Au cas d’espèce, le prévenu a été mis en accusation du chef de meurtre commis sur la personne de M. Y. Le mis en examen étant renvoyé des chefs de meurtres devant la cour d’assises, relève régulièrement appel de cette ordonnance devant la chambre de l’instruction. En appel, les juges estiment à tort qu’il convient de déclarer l’appel du mis en examen non-fondé, de le rejeter et de confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions. La haute juridiction censure les juges du fond en considérant « qu’en statuant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ». Le juge d’instruction peut mettre en examen une personne dès lors qu’il constate l’existence d’indices graves ou concordants5, sous le contrôle de la chambre de l’instruction réalisant ainsi une appréciation souveraine des faits (I)6, dont l’absence de motivation entraîne la censure de la chambre criminelle de la Cour de cassation (II).

I – Les contours du contrôle opéré par la chambre de l’instruction

2. Même si la chambre de l’instruction a pu, « sans méconnaître son office », (A) déclarer l’appel du mis en examen non-fondé il n’en demeure pas moins que cette décision est censurée par la haute juridiction (B).

A – L’office de la chambre de l’instruction

3. Œuvre de volonté du législateur renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, la loi du 15 juin 20007, introduit la chambre de l’instruction qui constitue, sans nul doute, l’innovation la plus importante. Dans ce contexte il appartient à la chambre de l’instruction, en tant que juridiction d’appel, d’instruire les ordonnances rendues par le juge d’instruction et par le juge des libertés et de la détention8. Cette juridiction connaît également d’autres compétences ratione materiae (d’attribution)9.

4. Dans cette espèce, la chambre de l’instruction était saisie d’un appel contre une ordonnance de mise en accusation qui est rendue par le juge d’instruction décidant, depuis la loi du 15 juin 2000, de la mise en accusation de l’accusé devant la cour d’assises10. Il est à noter que conformément à l’article 181, alinéa 3, du Code de procédure pénale dispose que : « (…) L’ordonnance de mise en accusation contient, à peine de nullité, l’exposé et la qualification légale des faits, objet de l’accusation, et précise l’identité de l’accusé. Elle précise également, s’il y a lieu, que l’accusé bénéficie des dispositions de l’article 132-78 du Code pénal (…) ».

B – Le droit d’appel d’une ordonnance de mise en accusation

5. À cet égard le Conseil constitutionnel a rendu une décision fort importante en considérant que : « Avant l’instauration, par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, d’une procédure d’appel des condamnations par les cours d’assises, la procédure pénale était soumise à la règle du double degré de l’instruction. Le juge d’instruction ne pouvait saisir directement la cour d’assises. À la fin de l’instruction, s’il estimait que les charges contre le mis en examen d’avoir commis un crime étaient suffisantes, il rendait une ordonnance de transmission de pièces au parquet général, lequel saisissait la chambre d’accusation qui, seule, pouvait saisir la cour d’assises. La loi du 15 juin 2000 a instauré un appel des décisions de cour d’assises et rendu facultatif le double degré de juridiction au stade de l’instruction en matière criminelle. Toutefois, il reste possible pour le mis en examen de former appel de l’ordonnance de mise en accusation qui le renvoie devant la cour d’assises, alors qu’un tel recours n’est pas ouvert contre l’ordonnance de renvoi devant le tribunal de police, le tribunal correctionnel ou le tribunal pour enfants »11.

6. La recevabilité de l’appel contre les ordonnances de mise en accusation a toujours été admise en ce qui concerne le mis en accusation. En effet, l’article 186, alinéa 1er, du Code de procédure pénale dispose que : « Le droit d’appel appartient à la personne mise en examen contre les ordonnances et décisions prévues par les articles 80-1-1, 87, 139, 140, 137-3, 142-6, 142-7, 145-1, 145-2, 148, 167, quatrième alinéa, 179, troisième alinéa, 181 et 696-70 (…) ». Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, que l’on a précisé supra12, les Sages, dans leur décision du 13 juillet 2011, ont déclaré, sous la réserve énoncée au considérant 7, l’article 186 du Code de procédure pénale conforme à la Constitution13. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a réaffirmé la recevabilité de l’appel contre les ordonnances de mise en accusation dans les termes suivants : « Attendu qu’il résulte de ces textes que, saisie de l’appel d’une ordonnance de mise en accusation, une chambre de l’instruction a l’obligation de statuer sur l’objet de cet appel et, si elle considère que les faits reprochés sont susceptibles d’une qualification criminelle, de rendre un arrêt de mise en accusation ; Attendu que, prononçant sur l’appel d’une ordonnance de mise en accusation, l’arrêt attaqué se borne à déclarer irrecevable la demande d’expertise présentée par mémoire régulièrement déposé ; Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, sans statuer sur l’appel de l’ordonnance de mise en accusation dont elle était saisie, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ; D’où il suit que la cassation est encourue ; Par ces motifs : Casse et annule »14.

7. Il y a lieu de relever aussi que la loi du 3 juin 2016 a eu notamment pour objet d’améliorer les règles de procédures pénales et en particulier le législateur a renforcé le formalisme prévu à l’article 184 du Code de procédure pénale15. Il est néanmoins permis de constater qu’en l’espèce la chambre de l’instruction est censurée par la chambre criminelle pour avoir méconnu notamment les articles 214 et 215 du Code de procédure pénale qui exigent que les magistrats de la chambre de l’instruction vérifient la qualification légale du fait imputé et, surtout, les motifs pour lesquels il existe des charges suffisantes16.

II – La nécessaire motivation des décisions rendues par la chambre de l’instruction

8. L’arrêt rapporté laisse entrevoir une évolution quant à l’appréciation de l’intensité des charges relevant du pouvoir souverain des juridictions d’instruction (A), qui au final relève essentiellement de la motivation des décisions de la chambre de l’instruction (B).

A – L’intensité des charges relevant du pouvoir souverain des juridictions d’instruction

9. Par un arrêt prononcé le 14 avril 201517, la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui n’en est pas à son coup d’essai, a considéré : « (…) qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits, d’où elle a déduit qu’il n’existait pas, en l’état de l’information, d’indices graves ou concordants contre les personnes mises en examen, rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission des homicides et blessures involontaires reprochés, d’une part, en l’absence de négligences leur étant imputables dans la surveillance de la réglementation, d’autre part, faute pour elles, d’avoir pu, dans le contexte des données scientifiques de l’époque, mesurer le risque d’une particulière gravité auquel elles auraient exposé les victimes, la chambre de l’instruction, qui, sans méconnaître son office, s’est déterminée par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, et en répondant aux articulations essentielles des mémoires dont elle était saisie, a justifié sa décision ». Dans ces conditions, la chambre de l’instruction a apprécié de l’intensité des charges qui était reprochée à la personne mise en examen18.

10. En l’espèce, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime « qu’il appartient à la chambre de l’instruction, saisie de l’appel d’une ordonnance de mise en accusation, d’apprécier par elle-même s’il existe à l’encontre de la personne mise en examen des charges suffisantes d’avoir commis un crime et d’ordonner son renvoi devant la cour d’assises »19. En d’autres termes, les juridictions d’instruction doivent apprécier souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d’une infraction20. Au final, la chambre criminelle n’a d’autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, que la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement21. La chambre de l’instruction dispose bien d’un pouvoir souverain de pleine juridiction.

B – Le contrôle de la motivation de la chambre de l’instruction

11. Un auteur a pu ainsi écrire que : « La motivation assoit à la fois la crédibilité de la justice et l’acceptabilité de la décision. Mais encore faut-il que cette motivation soit consistante et cohérente, pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle »22. Malgré la portée pratique de la répartition classique des compétences entre la chambre criminelle de la Cour de cassation chargée de vérifier la qualification qui justifie la saisine de la juridiction de jugement et la chambre de l’instruction qui doit apprécier souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d’une infraction, il est néanmoins permis de penser que cette solution relève principalement d’une question de motivation23. Pour s’en convaincre, il suffit de relire l’article 593 du Code de procédure pénale qui dispose : « Les arrêts de la chambre de l’instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif. Il en est de même lorsqu’il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public ». À cet égard, il a été jugé par les magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation « que les motifs de la chambre de l’accusation peuvent compléter la motivation insuffisante du juge »24.

12. Le souci de protéger les principes constitutionnels des droits de la défense et de la présomption d’innocence, à travers la loi du 15 juin 2000, est relayé par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui se prononce sur l’appel d’une ordonnance de mise en accusation.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Si les faits retenus à la charge des personnes mises en examen constituent une infraction qualifiée de crime par la loi, la chambre de l’instruction prononce la mise en accusation devant la cour d’assises. Elle peut saisir également cette juridiction des infractions connexes. La chambre de l’instruction statue par un arrêt rendu dans les deux mois de l’ordonnance de transmission des pièces, faute de quoi la personne est mise d’office en liberté.
  • 2.
    L’arrêt de mise en accusation contient, à peine de nullité, l’exposé et la qualification légale des faits, objet de l’accusation, et précise l’identité de l’accusé. Il précise également, s’il y a lieu, que l’accusé bénéficie des dispositions de l’article 132-78 du Code pénal. Les articles 181 et 184 sont applicables. L’arrêt de mise en accusation est notifié à l’accusé conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 183.
  • 3.
    Xavier Salvat, chambre de l’instruction, motivation : satisfait aux exigences de l’article 184 du Code de procédure pénale l’arrêt de mise en accusation devant la cour d’assises qui, pour l’énoncé des éléments à décharge, reproduit les mentions de l’ordonnance infirmée de non-lieu (Cass. crim., 5 nov. 2013, n° 13-85828 : RSC 2013 p. 852).
  • 4.
    Seïd Algadi A., « Appel d’une ordonnance de mise en accusation : office de la chambre d’instruction », www.actualitesdudroit.fr, 17 févr. 2017 ; Goetz D., « Rôle de la chambre de l’instruction en cas d’appel d’une ordonnance de mise en accusation », Dalloz actualité, 3 mars 2017.
  • 5.
    Morin M. et Niel P.-L., « Le juge du non-lieu et le juge de la nullité apprécient souverainement à leur niveau les indices graves ou concordants pouvant justifier une mise en examen », LPA 13 déc. 2016, n° 120s6, p. 10.
  • 6.
    Farzam-Rochon N. et Genty L., « Les affaires “amiante” : décideurs publics, décideurs privés, un traitement différencié ? », JSL n° 388, mai 2015.
  • 7.
    Belloir P., « Chambre de l’instruction », n° 4, in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, 2014.
  • 8.
    Ibid., n° 10.
  • 9.
    Ibid.
  • 10.
    Angevin H. et Valat J.-P., JCl. Procédure pénale, V° Chambre de l’instruction – Pouvoirs de la chambre de l'instruction : révision, évocation, annulation – Supplément d'information – Décisions sur le fond, fasc. 30, n° 38.
  • 11.
    Cons. const., 13 juill. 2011, n° 2011-153 QPC.
  • 12.
    Ibid.
  • 13.
    CPP, art. 186.
  • 14.
    Cass. crim., 10 janv. 2017, n° 16-86861.
  • 15.
    Perrier J.-B., « Les garanties de la procédure pénale dans la loi du 3 juin 2016 : entre illusion(s) et désillusion(s) », D. 2016, p. 2134.
  • 16.
    Ibid.
  • 17.
    Cass. crim., 14 avr. 2015, n° 14-85333.
  • 18.
    « La décision de la chambre de l’instruction, L’encyclopédie Procédure pénale », Lexbase Lamyline Expert.
  • 19.
    Goetz D., « Rôle de la chambre de l’instruction en cas d’appel d’une ordonnance de mise en accusation », Dalloz actualité, 3 mars 2017.
  • 20.
    Angevin H. et Valat J.-P., JCl. Procédure pénale, V° Chambre de l’instruction – Pouvoirs de la chambre de l'instruction : révision, évocation, annulation – Supplément d'information – Décisions sur le fond, fasc. 30, n° 38.
  • 21.
    Ibid.
  • 22.
    Mathieu M.-L., « Le contrôle de la motivation », RLDC 2012, n° 89.
  • 23.
    « La décision de la chambre de l’instruction, L’encyclopédie Procédure pénale », Lexbase Lamyline Expert.
  • 24.
    Cass. crim., 28 juin 1972 : Bull crim., n° 223 ; Bouloc B., Procédure pénale, 25e éd., 2016, Précis Dalloz, p. 746, n° 885.
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