Simplification de la procédure pénale : respectons les avocats !
Dans le cadre des travaux de simplification de la procédure pénale, la magistrate Valérie-Odile Dervieux publie actuellement dans nos colonnes une série d’articles sur les thèmes qu’elle juge indispensable d’aborder. L’un d’entre eux, intitulé « Annulons-les nullités ? » a suscité de nombreuses réactions chez les avocats, certains y voyant une critique de leur métier. Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, répond à Valérie-Odile Dervieux sous forme de lettre ouverte.
Madame le Président,
J’ai lu avec attention votre article paru il y a quelques jours au sujet des nullités de procédure qu’il faudrait annuler.
Je dois vous confesser que j’ai été profondément blessée. Et je crois ne pas avoir été la seule. Non pas par votre idée de « simplifier » ce volet-là de notre procédure pénale, même si je ne la partage pas, mais par ce que j’ai vécu comme une attaque infondée envers ma robe.
Vous avez écrit : « les médias et la presse spécialisée se font l’écho quasi quotidien de procédures pénales, souvent en lien avec la grande délinquance, qui tombent suite à des nullités suscitant l’incompréhension du citoyen, l’irritation des enquêteurs, la déception des victimes et le sentiment partagé d’un immense gâchis ».
Les nullités de procédure, une mine de diamants permettant de ne jamais aller au fond ?
Pour convaincre les lecteurs, vous avez mis en accusation uniquement le travail de la défense pénale : « Certains avocats sont spécialisés en la matière. Ils exploitent une mine (à tous les sens du terme) dont les diamants permettent d’envisager de ne jamais aller au fond (devant une juridiction de jugement), voir le plus tard possible, dans une sorte de l’abîme de l’argumentaire, de relever in fine la durée déraisonnable de la procédure. Certains en font un guide/site aux rééditions/mise à jour assurées, telle une série Netflix au titre en forme d’hommage ».
Ces mots, publiés quelques jours seulement après le procès de deux de mes immenses confrères qui a fait du mal à nos relations, et alors que le terme « avocats de voyou » se répand de plus en plus dans l’opinion publique, devaient obtenir une réponse.
Une réponse que je veux apaisée. Car pour tout vous dire, j’avais d’abord envisagé de vous répondre sur le même ton et de faire état des mêmes clichés. Mais cela ne sert jamais le débat et ne le servira jamais. Alors j’ai attendu avant de vous écrire.
Lorsqu’une personne est mise en cause dans un dossier, elle est présumée innocente. Cela signifie qu’il faut enquêter pour récupérer des éléments la mettant en cause (à charge) et la mettant hors de cause (à décharge). Les enquêteurs ont ainsi des pouvoirs importants : écouter les conversations téléphoniques, suivre les déplacements, accéder aux documents bancaires, administratifs, perquisitionner, placer en garde à vue…
Les enquêteurs agissent ainsi sous les ordres d’un magistrat et, comme au stade de ces enquêtes, la culpabilité ne doit être pour eux qu’un sentiment, leurs pouvoirs sont strictement encadrés par la loi. Par exemple, lorsqu’une personne est placée en garde à vue, c’est-à-dire qu’elle n’a plus de liberté parce qu’elle est suspectée d’avoir eu un rôle dans une infraction, elle doit être informée sans délai de son droit d’être assistée par un avocat (notamment). Le procureur doit aussi et surtout être averti immédiatement de cette mesure.
Assurer l’équilibre entre les nécessités de l’enquête et le respect de la présomption d’innocence
L’idée ? Protéger, dans une certaine mesure, le suspect présumé innocent et éviter les abus des enquêteurs, tout en continuant d’enquêter. Il faut trouver un équilibre entre l’enquête et la présomption d’innocence, et c’est le rôle du Code de procédure pénale et de ces nullités.
Les avocats de la défense ne sont pas contre la justice, contre les enquêtes et contre les poursuites pénales : ils souhaitent que les droits de leurs clients soient respectés. Ni plus, ni moins.
Nombre de citoyens sont placés en garde à vue tous les jours : moins nombreux sont ceux qui sont ensuite condamnés et incarcérés. Cela veut dire que des innocents sont placés en garde à vue. Ils n’ont rien demandé à personne et se retrouvent, pendant plusieurs jours, privés de leur liberté. Privation de liberté qui ne peut pas donner lieu à une réparation, malgré les conditions souvent douloureuses et indécentes des cellules de nos commissariats.
La garde à vue est souvent un vrai choc pour celui qui la subit.
Je pense à ce jeune de 15 ans, qui s’est uriné dessus dans sa cellule tellement il avait eu peur, tout seul la nuit, et qui a été relaxé par le juge des enfants quelques mois plus tard…
Ou encore cette femme de 65 ans, placée en garde à vue pour des faits d’abus de faiblesse, qui a été fouillée et mise à nu. Elle a certes été condamnée, mais à quoi servait cette humiliation ?
Vous le savez Madame le Président, ces nullités visent à protéger de l’arbitraire et c’est la raison pour laquelle les enquêteurs doivent respecter la loi de la procédure pénale. Vous évoquez les « médias », la « presse spécialisée », les « victimes », mais vous n’avez pas un mot pour le suspect, présumé innocent, censé bénéficier d’une protection contre des abus qui existent.
Vous ne jugez pas pour satisfaire les médias ni les victimes, mais pour condamner ou innocenter un suspect. C’est le sens de notre système de droit. Et cet équilibre doit rester ainsi.
Simplifier la procédure pénale est une chose. Caricaturer la défense en est une autre.
Vous savez également que s’il y a nullité, c’est que les enquêteurs n’ont pas respecté la procédure pénale, celle à laquelle ils sont soumis. Je parlais justement, cette semaine, à l’un de mes clients en formation pour devenir officier de police judiciaire du livre que vous dénoncez : « Nullitator ». Son objectif n’a rien de douteux, mes confrères ont réalisé un travail indispensable sur cet aspect majeur de notre procédure. Le livre n’est pas réservé aux avocats, il est en vente libre. Je vais l’offrir à ce futur policier. Il peut être précieux aussi pour les magistrats.
Enfin, et surtout, et vous le savez également, les avocats de la défense ne jugent pas et n’annulent aucune procédure. Ce sont les magistrats, qui, lorsqu’il existe un grief, prononcent ces nullités. Nullités rarement accordées d’ailleurs, mais qui font l’honneur des plus courageux d’entre vous.
Simplifier la procédure pénale est une chose. Caricaturer la défense en est une autre.
Je vous prie de croire, Madame le Président, en mes sentiments (un peu) abîmés.
Référence : AJU354710