« Il faudrait décorréler la propriété de l’exploitation forestière »

Publié le 11/05/2018

La question énergétique est à la croisée de nombreux enjeux pour le futur : prise en compte de l’urgence environnementale, indépendance et souveraineté nationale ou encore croissance et développement économique. En abordant ce sujet crucial, Me Antoine Gence, notaire à Rouen, a souhaité mettre en avant la nécessité du développement des énergies renouvelables, encore trop à la traine dans notre pays. De manière plus surprenante, sa commission offre aussi une mise au point inattendue sur les ressources que contiennent nos forêts et propose des solutions pour pallier leurs sous-exploitations.

Les Petites Affiches

On parle beaucoup de transition énergétique, mais concrètement où en sommes-nous  ? Qu’est-ce qui nous manque pour accélérer la démarche  ?

Antoine Gence

Aujourd’hui, les énergies renouvelables représentent 18 % de la production électrique. L’éolienne compte pour 3 à 4 %, le photovoltaïque entre 1 à 3 %, et le reste est produit par l’hydraulique qui conserve la première place depuis l’après-guerre. La France est donc à la traine sur les nouvelles énergies et 67 % de notre production provient en réalité du nucléaire. Le retard est encore plus flagrant si l’on regarde du côté espagnol ou italien, où plus de 20 % de la production électrique est assurée par les nouvelles énergies. On est là face à des éléments que les juristes connaissent bien : une volonté politique d’avancer, contrebalancée par les difficultés pratiques d’une mise en œuvre longue et complexe. Lorsque vous souhaitez construire un champ photovoltaïque par exemple, on considère qu’il faut en moyenne 7 années pour commencer l’exploitation après l’entame du projet. Après l’obtention de l’autorisation administrative, un champ de voies de recours va s’ouvrir, ce qui multiplie le temps d’attente. Même pour des installations comme l’éolien sur mer, qui ne pose pas de problèmes en termes de voisinage, ce type de recours ralentit les choses. C’est plutôt décourageant pour les industriels qui souhaiteraient se lancer dans cette aventure… S’il faut préserver le droit des citoyens à effectuer un recours, il faut aussi concilier avec la nécessité de la transition. Une première étape pourrait être d’accélérer ce type de procédure.

LPA

Votre commission traite aussi de la forêt, dans quel état est-elle aujourd’hui  ?

Antoine Gence

On parle souvent de la déforestation et on a le sentiment, à raison, que la forêt est menacée. Pourtant nous avons constaté dans nos travaux que la réalité est tout autre, la forêt française a doublé de superficie au cours des deux derniers siècles, passant de 8 à 16 millions d’hectares (soit 30 % du territoire). C’est notamment dû à une plantation massive au cours du XIXe siècle — les Landes en sont un bon exemple —, mais aussi à la forte décrue de la part de la population travaillant dans le secteur primaire, cette déprise agricole a permis à la forêt de s’étendre. Enfin, l’État a joué un rôle en protégeant la forêt par une série de règles, le Code forestier a par exemple été promulgué en 1827 sous la Restauration. Le contrepied de ces bonnes nouvelles est que l’on considère aujourd’hui que la forêt est sous-exploitée : sur la croissance annuelle des arbres, seulement la moitié est récoltée, ce qui signifie que l’on surstocke un peu plus chaque année. Cela n’est pas forcément une bonne idée, puisque des arbres qui deviennent trop larges perdent leur utilité économique. Mais laisser un bout de forêt sans action de l’homme permet en revanche de nourrir la biodiversité avec les différentes étapes de la vie de l’arbre. La forêt joue aussi un rôle primordial dans le stockage du carbone et comporte un élément social fort : il est un lieu de promenade, de chasse… Il faut donc préserver la forêt pour toutes ces utilités. La forêt peut aussi être une ressource d’énergie et il y a un développement de nombreuses centrales fonctionnant en bio masse. En France, la balance commerciale bois reste cependant déficitaire parce que l’on manque de techniques qui apportent de la plus-value au bois. Ces techniques permettent par exemple de faire des bois de construction aux hautes caractéristiques techniques.

LPA

Comment améliorer l’exploitation de nos forêts  ?

A. G.

Concernant la sous-exploitation, c’est le morcellement de la propriété forestière qui est à mettre en cause. Cela se traduit par un nombre extraordinaire de propriétaires de bois et forêts de plus d’un hectare, on évalue qu’il y a plus de 3 millions de propriétaires de bois et forêts en France, ce qui totalise 11 millions d’hectare de forêts privées. Certains s’y intéressent et c’est tant mieux, mais ce n’est pas le cas de tous et il y a même de nombreuses personnes qui ignorent leur propriété restée au nom de l’arrière-grand-père décédé il y a 50 ans ! Les pouvoirs publics ont pris des décisions pour essayer d’y remédier, notamment en créant quatre droits de priorité. Cela va dans le bon sens, mais il faut encore améliorer la situation. Afin de mettre en place une exploitation durable des forêts, l’une des idées que nous mettons en avant est de décorréler la propriété de l’exploitation. Actuellement tous les propriétaires sont obligés de gérer eux-mêmes l’exploitation de leur bois. Ils sont aidés par les coopératives forestières bien sûr, mais tout le monde n’a pas vocation à être exploitant forestier. Permettre à ceux qui se désintéressent de la gestion de leur bois de la déléguer à un tiers pourrait accroître l’exploitation.

LPA

Quels sont les défis que va créer une accélération du passage aux énergies renouvelables  ?

A. G.

Pour l’éolien, il y a une vraie difficulté avec la proximité de radars militaires, on a une distance minimale de 30 kilomètres entre éoliennes et radars, ce qui limite forcément les installations. Sur les éoliennes et le solaire, on peut aussi se demander si l’on a une perspective suffisante pour anticiper ce qui va se passer d’ici une dizaine d’années. Que fera-t-on de ces poteaux et panneaux désaffectés dont plus personne ne voudra s’occuper  ? Les éoliennes ont une durée de vie entre 30 et 60 ans, ce qui signifie que les plus anciennes sont encore en fonction. Il y a donc un risque de pollution à terme, d’autant que la réglementation environnementale actuelle n’est pas suffisamment adaptée à ces situations. On peut aussi imaginer qu’il y aura un fort développement de l’autoconsommation, c’est-à-dire des particuliers qui produisent leur propre électricité et la consomment dans le cadre privé. C’est un investissement qui a un sens à la fois économique et environnemental.

LPA 11 Mai. 2018, n° 135z1, p.36

Référence : LPA 11 Mai. 2018, n° 135z1, p.36

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