« Je suis convaincu que nous sommes à un moment charnière pour notre société et le notariat a toute la légitimité nécessaire pour être partie prenante du changement »

Publié le 11/05/2018

C’est une évidence pour Me Emmanuel Clerget, président du 114e Congrès des notaires de France  et notaire à La Charité-sur-Loire, les enjeux liés au territoire sont devenus un sujet essentiel. Ils concernent tous les citoyens de notre pays qui l’habite, qui l’exploite ou qui le traverse tout simplement : les propriétaires, les promeneurs, les agriculteurs, les exploitants, les habitants des espaces urbains ou ruraux… Il est donc impossible d’évoquer la transition énergétique ou démographique sans comprendre les implications que cela peut avoir avec le territoire. En tant que président du Congrès, Emmanuel Clerget a souhaité que le rapport final puisse apporter des réponses de professionnels du droit à des problématiques toujours plus urgentes.

Les Petites Affiches

Comment la thématique du territoire a-t-elle été choisie  ?

Emmanuel Clerget

Le choix date de mai 2016, à un moment où le sujet ne semblait pas forcément aussi actuel. Avec le recul, il semble que nous ayons fait le bon choix puisque le territoire est aujourd’hui au cœur de nos préoccupations. Par définition, notre territoire est un objet fini qui ne peut être étendu et dont il faut partager les utilisations avec une population de plus en plus nombreuse. Cette population qui croît doit évidemment être nourrie, ce qui est aussi synonyme d’augmentation de la production agricole. Mais avec un nouvel impératif, celui de la qualité : si la France d’après-guerre s’inquiétait plus de manger que de savoir ce qu’elle allait manger, le consommateur de 2018 est devenu bien plus exigeant. Cet impératif de qualité vaut pour les produits de notre agriculture bien sûr, mais aussi pour la terre qui doit permettre de produire sans pour autant abîmer les terrains. Ce n’est donc pas un hasard si l’interdiction des intrants, tels que le glyphosate, est un sujet dont on débat beaucoup en ce moment. Dans le même temps, le territoire agricole a eu une réduction de 20 % de sa superficie en une vingtaine d’années, au profit de la ville, des routes ou de la forêt.

LPA

Les sujets traités par les trois autres commissions s’inscrivent-ils eux aussi dans ces questions de répartitions de notre territoire  ?

E. C. 

Tout à fait, on voit une évolution des mentalités sur les problématiques liées à l’énergie par exemple. La transition énergétique, qui faisait de nombreux sceptiques il y a encore une dizaine d’années, est devenue une nécessité pour lutter contre les effets du changement climatique qui deviennent toujours plus concrets. Là encore, cela ne se fera pas sans y allouer une partie de notre territoire et cela a d’ailleurs déjà commencé : il suffit de prendre l’autoroute en France pour voir des champs d’éoliennes ou des fermes photovoltaïques s’étendre le long du paysage. Pour la ville aussi les contraintes sont liées à l’espace. L’augmentation de la population crée évidemment des défis pour nourrir les habitants et leur fournir de l’énergie, mais aussi pour leur donner des lieux à vivre. Et ces nouveaux logements doivent être conçus de manière écologique et dans un souci d’économie énergétique. Peu à peu, la perception de la ville change : on lui demande de se verticaliser et de se végétaliser, les déplacements doivent être réduits en temps et en distance, etc. Outre les grandes métropoles, il faut également s’intéresser aux villes moyennes dont les centres-villes se meurent. Les populations fuient ces centres désertés qui deviennent souvent l’apanage des classes sociales les plus pauvres, les commerces ferment et il ne reste plus que les logements sociaux. Un abandon que connaissent aussi les territoires ruraux depuis de nombreuses années. Nous avons donc un espace fini avec un enjeu alimentaire pour nourrir en quantité et en qualité, une transition énergétique à assurer pour fournir de l’énergie renouvelable et une transition sociale à effectuer pour les villes. Tout cela ce sont des rêves qu’il nous faut réaliser, c’est là qu’entre en jeu la dernière commission qui se propose de financer toutes ces propositions. Elle définira quelles aides et quelle fiscalité utiliser pour atteindre ces objectifs. Incitative lorsqu’on veut encourager les contribuables à soutenir l’agriculture ou la forêt, ou à isoler leur logement, ou au contraire dissuasive ou de compensation.

LPA

Les premières conclusions rendues par les commissions ont en commun une prise en compte forte des questions écologiques et environnementales, cela faisait-il partie des volontés initiales  ?

E. C.

Il est vrai que le début de nos travaux a eu lieu dans le contexte des accords de Paris avec la COP21, mais déjà auparavant nous sentions dans les territoires agricoles naître une interrogation sur les pratiques. Les circuits courts, l’agroforesterie… On a vu au cours des deux dernières années une accélération du processus (nous avons même désormais un ministère de la Cohésion des territoires) et un réel intérêt de la part des agriculteurs. Ils sont d’autant plus intéressés par ces nouveaux modèles que leur situation critique les pousse à la recherche de solutions, ce n’est donc plus uniquement des discussions réservées aux « bobos parisiens » ou à des idéalistes, mais bien l’affaire de tous. Et s’il est très positif de voir les mentalités évoluer sur ces questions, il est également important d’accompagner ces transitions d’une réflexion sur l’évolution du droit. C’est là tout l’intérêt du Congrès des notaires qui nous permet, de par notre position de juristes, de faire ce travail en apportant notre expertise et notre connaissance du terrain. En réalité, je suis convaincu que nous sommes à un moment charnière pour notre société et que le notariat a toute la légitimité nécessaire pour être partie prenante du changement.

LPA

Que peut apporter l’expérience des notaires sur ces sujets  ?

E. C.

Il y a essentiellement deux grandes thématiques dans les sujets que nous traitons au sein de ce Congrès, l’appropriation du territoire et son exploitation. L’appropriation au sens de définir à qui doit appartenir la terre demain, doit-on quantifier une surface pour l’agriculture, une pour la forêt, une pour la ville  ? On est là sur notre cœur de métier : la propriété. En matière d’agriculture, on observe la volonté de certains investisseurs étrangers à acheter des terres en France, il y avait par exemple le cas récent des Chinois dans l’Indre et l’Allier. Cela reste anecdotique, mais pose tout de même des questions de fond. Est-ce qu’il est plus important de savoir qui est propriétaire ou ce que l’on fait du sol et comment il sera exploité  ? À mon sens, savoir ce qui est produit et où va cette production est l’enjeu primordial. Sur ces questions d’appropriation, le notaire intervient bien évidemment puisque nous notifions dès qu’il y a une vente la possibilité d’acheter par priorité. Si l’on fait de l’énergie renouvelable, de l’éolien ou du photovoltaïque, celui qui va vouloir exploiter ne va pas forcément acheter la terre, mais voudra la concession et fera un bail notarié dès que les durées sont supérieures à douze ans.

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Le choix des personnalités invitées couvre un spectre très large de positions politiques et de visions de la société. Comment fait-on pour inviter Pierre Rabhi et Agnès Verdier-Molignié dans le même événement  ?

E. C.

Lorsque nous écrivons des propositions, nous avons la volonté d’être en phase avec les acteurs des sujets que nous traitons et nous essayons de confronter nos idées à des personnalités extérieures au monde notarial. Il est légitime de rencontrer la Safer, la FNSEA ou encore Pierre Rahbi quand on parle d’agriculture et de modèles d’exploitation de demain. De la même façon, si l’on parle de fiscalité, il est normal d’interroger des personnes qui ont des visions plus libérales sur le sujet. La première vertu de ces rencontres est donc d’obtenir des informations qui permettront de faire les propositions les mieux adaptées à la réalité. L’autre intérêt à inviter des personnalités aussi différentes est de faire sortir nos travaux de leur cadre naturel afin d’être entendu d’un maximum de personnes. Contrairement aux clichés qui persistent sur notre profession, le notariat n’est pas forcément sur une ligne politique conservatrice et je pense qu’au contraire, on ne s’enrichit qu’avec la diversité.

LPA

Vous avez repris le format de la table ronde animée qui avait été organisée lors du dernier Congrès, quel est son objectif  ?

E. C.

Nos travaux poussent essentiellement à réfléchir aux bases juridiques et aux fondements d’un nouveau modèle de société. Ces tables rondes permettent d’apporter d’autres visions, qui sont données par un historien (Emmanuel Todd), un scientifique (Joël de Rosnay) et un économiste (Erik Orsenna). Leurs ouvrages respectifs apportent des angles intéressants sur des sujets tels que l’eau, les énergies renouvelables ou les nouvelles cartes du territoire français. Lors des travaux préparatoires, j’ai aussi été inspiré par L’identité de la France de Fernand Braudel qui explique la construction du territoire français sur le long terme. L’idée était de faire le travail inverse, c’est-à-dire imaginer quel serait le territoire français de demain.

LPA

Quelles sont les nouveautés du Congrès  ?

E. C.

Les masterclass ont été généralisées et sont désormais organisées sur tout le long du Congrès, il y en aura 17 qui auront lieu du dimanche jusqu’au mercredi matin. Cela permet de donner des formations courtes aux confrères sur des thèmes déclinés à partir des quatre commissions : la forêt, l’agriculture, les énergies, la ville et la fiscalité. Une manière d’aller un peu plus loin sur le sujet, mais aussi qu’ils soient plus à même de participer lors des séances des commissions. Autre innovation : les propositions ont été révélées il y a une quinzaine de jours, alors que l’usage était auparavant de les délivrer le jour même du Congrès. Cela devrait là aussi permettre de revitaliser le débat avec des notaires qui pourront plus facilement prendre la parole en séance plénière. Une dernière nouveauté est le « digest » du rapport, il sera présenté sous la forme d’une centaine de pages (contre le millier du rapport), articulée autour d’une vingtaine de questions. Ce document sera adressé aux élus (sénateurs, députés et maires) dès le mois de septembre, accompagné de nos propositions.

LPA 11 Mai. 2018, n° 135h7, p.4

Référence : LPA 11 Mai. 2018, n° 135h7, p.4

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