2018 : une année riche et constructive pour le tribunal de commerce de Nanterre

Publié le 13/02/2019

Le tribunal de Nanterre a procédé, le 22 janvier dernier, à sa traditionnelle audience de rentrée. L’occasion de revenir en chiffres sur l’année 2018 et de réaffirmer les directions à prendre pour 2019.

Après avoir solennellement procédé à la traditionnelle installation des juges, Madame le procureur de la République, Catherine Denis, drapée de rouge, a pris la parole pour saluer, en guise d’introduction, l’action du président Frédéric Dana « en faveur d’une justice consulaire à la fois sereine et exigeante, soucieuse de la qualité des décisions rendues et attentives à leur conséquences sur l’environnement économique et sur leurs acteurs ».

Elle a insisté sur « l’impartialité et l’indépendance de sa présidence ». À ses yeux, « l’année 2018 a d’ailleurs été riche. Un recueil des obligations déontologiques des juges consulaires a été validé le 5 février 2018 par le Conseil national des tribunaux de commerce. Et le décret du 27 juillet 2018 est venu préciser les modalités de la formation continue, désormais obligatoire. Ces mesures renforcent la légitimité de votre justice et confirme la pleine appartenance de votre juridiction au sein de l’ordre judiciaire. Professionnalisme, compétences juridiques en matière économique et financière, alliée à une fine connaissance de la vie des affaires ne peuvent que renforcer la pertinence et légitimité de vos décisions ».

Après avoir remercié les greffiers en chef et leur personnel, plein de « dévouement », et les greffières d’audience, indispensables, ainsi que tous les autres acteurs de la justice (avocats, huissiers, experts-comptables, commissaires aux comptes…), Catherine Denis a entrepris le bilan 2018 du côté du parquet.

Un renforcement des liens avec les administrateurs et mandataires judiciaires

En 2018, le parquet de Nanterre a renforcé la coopération avec les administrateurs et mandataires judiciaires. Ainsi le 2 juillet 2018, une réunion a-t-elle été organisée avec des professionnels. « Ce dialogue a été pour le parquet l’occasion d’expliciter notre politique en matière commerciale, tout comme nos attentes à leur égard », a-t-elle précisé. L’occasion de réaffirmer que tous les mandataires judiciaires doivent, conformément à leurs missions légales, initier des procédures de sanction en comblement de passif, mais aussi en sanction personnelle, sans laisser cette tâche à une minorité d’entre eux. « L’harmonisation des pratiques était de ce point de vue nécessaire, elle le reste encore aujourd’hui », a-t-elle estimé, car « une appréciation discordante des problèmes de gestion et leurs conséquences au sein du ressort du tribunal de Nanterre comme pour les autres ressorts, serait en effet de nature à effriter le crédit de la justice consulaire dans son ensemble », a-t-elle mis en garde. D’où l’importance renouvelée de la fiche navette, rendue aujourd’hui impérative entre les mandataires et le parquet. Cette fiche navette sanction permet, en premier lieu, au liquidateur d’informer le parquet des éventuels défauts de gestion qu’il a pu constater au cours de son mandat, et de son intention ou non d’engager des poursuites. Elle permet au parquet en retour de faire connaître au liquidateur son avis, et le cas échéant, de poursuites commerciales et/ou pénales qu’il entend engager.

Niveau chiffres, en 2018, le parquet a ainsi traité 593 fiches navettes sanction, contre 386 en 2017, et 291 en 2016. « Cette augmentation très sensible des transmissions que j’avais appelée de mes vœux dans cette enceinte l’an dernier, est tout à fait positivée », s’est félicité Catherine Denis, qui, pourtant, nuance. « Elle ne saurait cependant masquer l’écart persistant avec le nombre de liquidations judiciaires qui sont chaque année prononcées par notre juridiction. J’invite donc une nouvelle fois les mandataires à intensifier leurs efforts et à communiquer systématiquement au parquet leurs conclusions sur les dossiers qui leur sont attribués ».

Lors de la réunion de juillet, le périmètre des transactions a également été redéfini. « Nous avons fait connaître ainsi aux mandataires que nous exercerions des voies de recours contre l’homologation de protocole transactionnel, dont la contrepartie réside dans un désistement conjoint de l’action en sanction pécuniaire et en sanction personnelle, accord qui à notre sens est juridiquement contestable », a-t-elle détaillé.

« Cette rencontre a permis des échanges constructifs sur les conditions d’ouverture et de rémunération dans le cadre des procédures de conciliation, mais aussi sur la nécessité de l’échange d’information tout au long des procédures ». Catherine Denis a précisé que son parquet veillerait particulièrement à « la succession des missions, confiée entre la phase amiable et la phase contentieuse.(…) Votre tribunal doit être attentif à assurer l’impartialité objective des organes de la procédure et ne pas céder trop souvent à la tentation de désignation d’un même mandataire pour la poursuite de la mission pour prétexte sa connaissance de l’entreprise ».

Le respect des lois de la concurrence

L’année écoulée, le parquet de Nanterre a multiplié ses interventions, en émettant un total de 342 avis écrits. « Le caractère obligatoire de l’avis du ministère public est consacré par la loi, dans de très nombreuses hypothèses et mes collègues occupent cette place dans le souci de garantir le bon déroulement des procédures collectives, tant pour leur durée que pour leurs orientations », a-t-elle rappelé. Cette vigilance s’applique aussi dans le cadre amiable et en conciliations. « Il y a un an, je rappelais dans cette enceinte que les procédures amiables ne sont pas des instruments juridiques que l’on peut manipuler dans la vie des affaires comme de simples outils de nature contractuelle ». Et de citer des arrêtés, tels celui du 11 juillet 2018, où la cour d’appel de Toulouse a affirmé avec force : « Si l’ouverture même de la procédure de conciliation n’est pas subordonnée à l’avis favorable du ministère public, il entre dans l’office de celui-ci gardien de l’ordre public économique dans le cadre de la loi de sauvegarde des entreprises et des dispositions relatives à la prévention des difficultés des entreprises, d’attirer l’attention du président de la juridiction saisie, sur l’obligation de contrôler les conditions d’ouverture de la procédure de conciliation, et notamment de l’absence d’état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours ».

Côté chiffres, le parquet a adressé au tribunal de Nanterre 17 signalements pour non dépôt des comptes sociaux, contre 20 en 2017. Le dépôt des comptes sociaux est une obligation fondamentale qui apporte des informations aux contractants sur l’état de santé financière de l’entreprise. Catherine Denis s’est réjouie de l’efficacité du dispositif mis en place en 2015 au sein du tribunal. « Il s’agit ici de la délivrance par le juge commis à la surveillance de registre d’injonction de dépôt des comptes sous astreinte, dont le montant a pu atteindre pour une entreprise 60 000 euros. Nous avons mobilisé l’administration fiscale pour assurer le recouvrement définitif de ces sommes, et le caractère dissuasif de ce dispositif fonctionne bien ».

Le parquet a également saisi le tribunal de Nanterre de 163 requêtes en ouverture de procédures collectives contre 30 en 2017. « Plus de 80 % de ces requêtes ont abouti à l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. »

En termes de prévention, l’intervention du parquet a conduit plusieurs entreprises en état de cessation des paiements à se mettre sous l’utile protection du tribunal, pour rétablir leur gestion, avec l’aide d’un administrateur, telle une société de sécurité privée qui comportait plus de 350 salariés ou encore une société spécialisée dans le traitement des données, qui comptait 80 salariés. Des exemples encourageants.

Le parquet a également saisi le tribunal de 23 requêtes en sanction contre 7 en 2017, de dont s’est félicité Catherine Denis, ravie que « la politique de sanction développée et amplifiée par mon parquet (…) prenne toute sa place aux côtés des mandataires judiciaires ».

Le procureur a bien précisé dans quelles conditions le droit au rebond pouvait s’appliquer, et certainement pas « pour des dirigeants dont la nature des actions et l’ampleur des fautes commises révèlent un comportement viscéralement malhonnête ».

La nécessité de davantage d’outils de police économiques

« Pour mon parquet confronté à la recrudescence des fraudes, par des sociétés éphémères qui n’exercent plus aucune activité économique réelle (…) on ne saurait suffisamment rappeler la mission de police économique assurée avec diligence et efficacité par les greffiers des tribunaux de commerce et leurs équipes ». Bien sûr avec le registre du commerce et des sociétés (RCS) qui constitue la véritable base d’état civil des sociétés, désormais complété par deux autres fichiers, le registre des bénéficiaires effectifs et le fichier national des interdits de gérer. « Vous nous avez été saisi en effet en 2018 de 27 signalements au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, pour des motifs qui vont de la violation de l’interdiction de gérer au faux et usage de faux à l’occasion de spéculation de sociétés », a-t-elle précisé au président. Ces signalements sont suivis d’enquête et aboutissent pour certaines à des poursuites correctionnelles au pénal.

Pourtant, malgré ce satisfecit, Catherine Denis a déploré l’absence de connexions systématisées entre le RCS et le fichier national des interdits de gérer, qui « permettrait de rendre pleinement efficaces les décisions de sanction personnelle sur les mandats en cours, et pas seulement de bloquer pour l’avenir les dirigeants interdits de gérer lors de l’immatriculation des nouvelles sociétés ». Elle a appelé de ses vœux à ce que les greffiers des tribunaux de commerce puissent disposer d’un accès direct aux fichiers administratifs, permettant de vérifier aisément l’authenticité des pièces d’identité produite lors de l’immatriculation des sociétés.

Un territoire économiquement dynamique

Frédéric Dana a pris la suite et débuté son discours en rappelant le caractère dynamique du département, avec 172 846 entreprises inscrites au RCS, soit un solde net de créations nettes de 6 309 entreprises sur 2018.

Il a ensuite donné quelques chiffres concernant l’activité juridictionnelle à proprement parler.

Pour le contentieux, 2 252 décisions ont été rendues contre 2 434 en 2017, et en référé 1 197 contre 1 205 en 2017. Le taux d’appel des décisions de Nanterre connaît une baisse, certes mineure, 5,9 % en 2018 contre 6,2 % en 2017, il en est de même du taux d’infirmation 17,5 % en 2018 contre 18,7 % en 2017. « Cela signifie que seulement 1 % des décisions de notre cour d’appel sont infirmées, autrement dit que sur les 3 500 décisions rendues en contentieux, moins de 40 ont été infirmées », s’est réjoui le président, qui a également évoqué l’allègement du stock des affaires anciennes, qui est passé de 271 en 2017 à 240 en 2018.

Les reports de délibérés sont en légère augmentation, puisque le nombre passe de 192 en 2017 à 196 en 2018. Ce nombre, trop important, a-t-il reconnu, fera l’objet d’une attention toute particulière l’année à venir.

Il a tenu à saluer le travail réalisé par la cellule en charge des injonctions de payer dont l’activité est stable : 4 705 en 2018 contre 4 749 en 2017, avec un taux de rejet de 23 % et un taux d’opposition à 4,7 %.

Le délai moyen de délivrance des ordonnances est de 2,4 jours contre 5,7 en 2017. Le recours au mode amiable de règlements des différends (conciliation, ou médiation ou modes alternatifs de règlement des différends), s’est traduit par 81 désignations dont 98 % de conciliations conte 75 en 2017. « L’effort en faveur des modes alternatifs de règlement des différends doit être amplifiée », a-t-il considéré.

Activité en hausse pour les procédures collectives

Cette activité est en hausse pour 2018, 1 054 jugements d’ouverture contre 953 en 2017, pour un total de 4 565 jugements rendus.

La chambre de responsabilité et de sanctions qui juge les fautes de gestion des dirigeants d’entreprise connaît une activité accrue : 128 affaires nouvelles contre 94 en 2017, et a rendu 95 jugements.

Concernant le droit au rebond, « confrontés aux drames vécus par les dirigeants, les juges consulaires ne peuvent qu’apprécier la démarche engagée qui se nourrit au surplus de la règle de bon sens, qui veut que l’expérience, même malheureuse, alimente l’innovation et l’esprit d’entreprise », mais ne pas perdre pour autant de vue les articles L. 651-2-3 et suivants du Code de commerce, qui assignent au tribunal la mission de mettre en jeu la responsabilité des dirigeants, ayant, en cas de faute de gestion, contribué à l’insuffisance d’actifs mis à la charge des créanciers, et établissements de crédits, mais aussi fournisseurs et prestataires de service de l’entreprise liquidée.

Focus sur la prévention

Dans le cadre de la prévention, le président du tribunal convoque les dirigeants éprouvant des difficultés à partir des éléments d’information dont il dispose (alertes des commissaires aux comptes, non dépôt des comptes annuels, demande de report de tenue des assemblées générales…). 141 entretiens ont ainsi été tenus avec les chefs d’entreprise et 69 affaires nouvelles ont été ouvertes. Mais, nuance Frédéric Dana, « les éléments d’information que le tribunal a en sa possession ne sont pas à la mesure des besoins en la matière », et il a reconnu espérer que la démarche de la loi Pacte « sera productive et que le message ne sera pas brouillé par un autre volet de ce texte, qui supprimant l’exigence de commissaires aux comptes dans un nombre accru de PME prive la collectivité des alertes auxquelles les commissaires sont tenus ».

Concernant la prévention amiable, le président a tenu à rappeler quelques chiffres, avec un fort recul des mandats ad hoc, seulement 19 demandes en 2018 contre 29 en 2017. Les seuls mandats ad hoc qui ont été refusés (4) l’ont été en raison de l’état de cessation des paiements des entreprises concernées.

Le nombre de conciliations est stable (25 demandes) qui ont toute fait l’objet d’une ordonnance de nomination d’un conciliateur.

Le chiffre d’affaires des entreprises impactées par ces procédures est moins important cette année passant de 8,62 milliards d’euros à 1,99 milliard d’euros, et le nombre de salariés impactés passant de 28 650 à 9 580. Le constat est simple : les procédures de mandat ad hoc et de conciliation des articles L. 603-4 et suivants du Code de commerce, sont ouvertes à toutes les entreprises. Les chiffres montrent que ces procédures, utilisées à l’origine par des grandes entreprises utilement conseillées, sont maintenant mises en œuvre par des PME et des ETI, « une évolution favorable », selon le président du tribunal de Nanterre.

La déontologie avant tout

Frédéric Dana a enfin tenu à insister sur l’importance de la déontologie, « pierre angulaire de l’autorité juridictionnelle », car « c’est sur la prévention des conflits d’intérêt, l’attention aux principes d’indépendance intellectuelle, d’impartialité objective et subjective que repose l’acceptation par le justiciable de la décision de justice ».

La déontologie revêt une importance particulière pour le juge consulaire, a-t-il bien précisé : « chef d’entreprise ou cadre dirigeant, il est naturellement porté à se placer comme tel à l’audience. C’est une qualité évidente, alliée à une connaissance profonde du monde économique, qu’il faut pourtant savoir contenir et mettre au service de la seule fonction juridictionnelle ». À cette occasion il a évoqué l’un des chantiers de la justice, visant à l’amélioration et la simplification de la procédure civile. « Ce rapport fait du principe de loyauté procédurale une obligation formelle sanctionnée par un élargissement du champ de l’article 32-1 du Code de procédure civile aux comportements déloyaux », a-t-il précisé, ce qui reviendrait à obliger les parties à produire l’intégralité des pièces détenues, et à instaurer un devoir de participation active et efficace à l’instruction de l’affaire. Une démarche qu’il soutient, même si la « simple mise en œuvre des principes de déontologie et de loyauté pourraient y suffire ».

De même, Frédéric Dana est revenu sur l’obligation de formation initiale et continue prescrite à l’égard des juges consulaires. Ainsi à Nanterre, les juges de procédures collectives se forment régulièrement (en 2018, deux juges supplémentaires ont obtenu le DU du droit des entreprises en difficultés et 4 autres rejoignant les procédures collectives se sont inscrits au DU de 2018).

En contentieux, outre les formations dispensées par l’ENM, les cessions internes au tribunal de Nanterre, et notamment les formations de présidents de délibérés, seront maintenues, un effort « d’autant plus nécessaire que les facteurs de déstabilisation de la jurisprudence se sont considérablement accrus ces dernières années ».

Des règles en mouvement ?

Dans un récent rapport, la Conférence générale des juges consulaires a émis un certain nombre de propositions, qui bien que reprises par le Sénat n’ont pas été retenues par l’Assemblée nationale. Le rapport de cette commission est cependant actuellement examiné par la Chancellerie. Frédéric Dana a ainsi évoqué la complexité des règles de compétence en matière contentieuse entre les tribunaux civils et de commerce, « sujet vécu au quotidien » et « susceptible de ralentir les procédures ».

Son tribunal continue de suivre attentivement le cheminement de la réforme du droit de la responsabilité civile, engagée depuis maintenant plus de 10 ans (loi du 17 juin 2008) relative à la prescription en matière civile, réforme indispensable à ses yeux. Elle est évidemment en lien direct avec celle touchant au droit des contrats du régime général et à la preuve des obligations. « Elle permettra de consolider une jurisprudence de plus en plus éloignée de la lettre du texte, et là encore d’assurer la nécessaire prévisibilité des décisions de justice », a-t-il détaillé. Elle ajustera les contours de notions aujourd’hui diffuses, comme la réparation de la perte de chances, ou la réparation d’un préjudice subi par un tiers du fait d’un manquement contractuel. Il nous apparaît urgent de passer de la réflexion à l’action et de donner à la démarche sa pleine cohérence et efficacité.

Au chapitre des réformes, il a conclu en citant l’ordonnance du 2 novembre 2017 sur l’insolvabilité. Le président du tribunal pense que ce texte « apporte des précisions utiles sur la compétence des tribunaux de commerce spécialisés, pour ouvrir ou connaître des procédures principales ou secondaires, même si les occasions de mettre ces disposition à l’épreuve ont été rares en 2018 ».

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