Affaire Kerviel, suite et fin ?

Publié le 11/10/2018

La commission d’instruction des demandes en révision, composée de magistrats de la Cour de cassation qui siègent dans une composition spéciale, a rejeté le 20 septembre dernier la demande en révision déposée par Jérôme Kerviel. Dans ce dossier hors normes, les procédures s’épuisent et l’intérêt médiatique s’éteint. Mais l’affaire n’est pas encore terminée !

Dix ans après la révélation en janvier 2008 des pertes de trading abyssales subies par la Société Générale en raison des opérations occultes réalisées par Jérôme Kerviel, la demande en révision de son procès par le trader a été jugée irrecevable par la commission d’instruction des demandes en révision. Il tentait une nouvelle fois, par le biais de cette procédure, de démontrer que la banque connaissait ses activités et qu’elle était complice. Une thèse que la justice a jusqu’ici toujours écartée. Le 5 octobre 2010, le tribunal correctionnel, considérant que Jérôme Kerviel avait agi seul et à l’insu de sa banque, l’a condamné pour faux et usage de faux, abus de confiance et introduction frauduleuses de données dans un système informatique à 5 ans de prison, dont trois ferme et 4,9 milliards d’euros de dommages intérêts, soit le montant des pertes de trading engendrées par ses activités. Ce jugement a été confirmé dans toutes ses dispositions par la cour d’appel de Paris le 24 octobre 2012.

Revirement

Mais le 19 mars 2014, la Cour de cassation, tout en confirmant la condamnation pénale du trader, a infirmé la partie relative aux dommages intérêts. Le tribunal comme la cour d’appel avaient appliqué la jurisprudence de l’époque aux termes de laquelle en cas d’atteinte aux biens, l’auteur d’un délit devait l’entière réparation du préjudice, sans que la faute éventuelle de la victime puisse venir diminuer son droit à réparation. Cette jurisprudence, distincte de celle relative aux dommages corporels qui, elle, acceptait un partage de responsabilité sur le terrain civil, était notamment fondée sur l’idée que l’auteur d’un dommage aux biens ne devait pas pouvoir tirer un avantage matériel de ses exactions. Dans son arrêt du 19 mars, la Cour de cassation opère un revirement et aligne le régime des dommages aux biens sur celui des dommages aux personnes. La cour d’appel de Versailles statuant sur renvoi a entendu le message. Dans un arrêt du 22 septembre 2016, elle a ramené les dommages intérêts dus par Jérôme Kerviel à un million d’euros en considérant que la banque avait, par sa négligence, concouru à la réalisation de son dommage et réduit d’autant son droit à réparation. Pour le reste, elle a confirmé l’entière responsabilité pénale du trader. Lors du procès à Versailles, qui ne devait porter que sur les intérêts civils, le trader avait néanmoins tenté de replaider la partie pénale en produisant notamment les enregistrements réalisées par une commandante de police d’une magistrate du parquet, à l’insu de celle-ci. Elle y confiait notamment que le parquet était à l’époque de l’enquête sous l’influence de la banque.

Pas de fait nouveau

C’est en se fondant notamment sur ces enregistrements mais aussi sur plusieurs affirmations de la commandante de police que Jérôme Kerviel a donc tenté d’obtenir la révision de son procès. Las ! La commission relève dans sa décision que les propos de la policière sont invalidés par les pièces du dossiers. Plus généralement, concernant ses doutes rétrospectifs sur l’indépendance de son enquête dont elle considère aujourd’hui qu’elle a été menée sous l’influence de la banque, la commission note « il ne s’agit que des impressions d’un enquêteur qui ne reposent sur rien de précis et ne peuvent à elles seules fonder une requête en révision ». Restait le plus embarrassant pour la Société Générale, à savoir la fameuse conversation entre la policière et la magistrate. Une instruction sur plainte de l’intéressée est en cours au TGI de Lille. Tout en émettant des doutes sur la recevabilité du document, la commission relève « à supposer que ces éléments puissent être jugés recevables ils tendent seulement à établir que les magistrats du parquet étaient sous l’influence des avocats de la Société Générale. Il sera seulement rappelé que Monsieur Kerviel a été renvoyé devant le tribunal correctionnel à l’issue d’une instruction conduite par un magistrat du siège et que ce sont des magistrats du siège qui l’ont jugé tant en première instance qu’en appel ». Et la commission de conclure « Il résulte des développements qui précèdent que Monsieur Kerviel ne justifie pas d’un fait nouveau ou d’un élément inconnu de la juridiction au sens des dispositions susmentionnées ».

Le volet prud’homal en appel

Jérôme Kerviel avait également déposé contre la banque des plaintes avec constitution de partie civile. Il accusait notamment la banque de faux et usage de faux en alléguant du fait qu’elle aurait trafiqué les enregistrements des discussions intervenues entre lui et sa hiérarchie lors de la découverte de ses positions en janvier 2008. Mais un rapport d’expert a démontré que c’était techniquement impossible. Il accusait également la banque d’escroquerie au jugement au motif qu’elle n’aurait pas justifié du montant de sa perte ni informé la justice du traitement fiscal de celle-ci. Une analyse factuelle et juridique erronée que le juge d’instruction n’a pas retenue. Le 25 juillet 2017, les plaintes se sont soldées par une ordonnance de non-lieu. Reste le contentieux prud’homal. Faisant fi des décisions du tribunal correctionnel et de la cour d’appel constatant les graves fautes pénales commises par le salarié Jérôme Kerviel, le conseil de prud’hommes de Paris a considéré que la banque aurait dû licencier le trader en 2005 quand il a commis un premier dérapage et non pas en 2008. Ce qui lui a suffit pour demander à condamner la banque. Jérôme Kerviel réclamait environ un million d’euros, dont son bonus au titre de l’année 2007 de 300 000 euros ainsi que 324 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou encore 170 000 euros pour préjudice moral. Il demandait encore 4,9 milliards de dommages intérêts pour absence de bonne foi dans l’exécution du contrat. Le conseil des prud’hommes lui a alloué 450 000 euros dont son bonus et 100 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’affaire sera plaidée devant la cour d’appel de Paris le 30 octobre prochain.