Avocats : le nouveau conseil de discipline commun Antilles-Guyane en six points
Un décret n° 2025-77 du 29 janvier 2025 relatif à la déontologie et à la discipline des avocats a été publié au Journal Officiel du jeudi 30 janvier 2025. Ce texte de seulement quatre articles comporte des réformes de fond, dont celle touchant la discipline des barreaux de Guyane, Martinique et Guyane et dans une moindre mesure Mayotte par rapport à La Réunion.

Nous aborderons les dispositions de ce décret concernant l’outre-mer en six points.
1° Les origines de cette réforme organisationnelle pour les barreaux d’Atlantique.
Il convient de rappeler que les conseils régionaux de discipline sont composés d’avocats provenant de plusieurs barreaux départementaux : un avocat poursuivi ne sera, en pratique, jamais jugé majoritairement par des avocats appartenant à son barreau, conséquence de la pluralité de barreaux présents dans ledit conseil.
Ce schéma organisationnel n’existe malheureusement pas en outre-mer.
En effet, une cour d’appel ultramarine ne comporte qu’un ordre d’avocats avec un barreau, exception faite de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion qui comprend deux barreaux réunionnais (Saint-Denis et Saint-Pierre) et le barreau de Mayotte depuis la départementalisation de ce territoire à compter de mars 2011 suite à la loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009.
Ainsi, les cours d’appel de Cayenne, de Fort-de-France, de Basse-Terre, de Nouméa et de Papeete ne disposent que d’un seul barreau guyanais, martiniquais, guadeloupéen, calédonien et polynésien.
Le problème majeur rencontré par ces conseils de discipline ultramarins résulte du fait qu’ils sont composés d’avocats issus du même barreau que l’avocat poursuivi.
Cette situation n’est pas neutre car elle génère nécessairement des reproches touchant les risques d’impartialité des juges disciplinaires au regard de l’isolement du territoire ultramarin et de la proximité qu’une telle situation est de nature à entraîner.
Il convient de noter que dans une décision QPC rendue le 16 mai 2013, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de considérer que le fait que le conseil régional de discipline de Papeete soit constitué exclusivement d’avocats provenant du même barreau que l’avocat poursuivi ne portait pas atteinte aux exigences d’indépendance et d’impartialité de l’organe disciplinaire en cause. Le juge constitutionnel fait ici preuve de réalisme face à des situations hors normes que connaît l’outre-mer pluriel et que n’avons pas manqué pourtant de mettre en exergue constamment.
Cependant, cette décision constitutionnelle de circonstance n’exclut pas que cette organisation pose une difficulté au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) notamment au regard du principe d’impartialité intangible imposé à toute juridiction quelle que soit sa nature.
D’ailleurs, le même Conseil constitutionnel va déclarer conforme la composition du conseil régional de discipline des avocats de Paris dans une décision n° 2011-179 QPC du 29 septembre 2011, Mme Marie-Claude A. [Conseil de discipline des avocats] dans des termes on ne peut plus clairs :
« 3. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense et des principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;
4.Considérant, en premier lieu, qu’en instituant un conseil de discipline unique dans le ressort de chaque cour d’appel, le législateur a entendu garantir l’impartialité de l’instance disciplinaire des avocats en remédiant aux risques de proximité entre les membres qui composent cette instance et les avocats qui en sont justiciables; qu’en maintenant le conseil de l’ordre du barreau de Paris dans ses attributions disciplinaires, il a, d’une part, tenu compte de la situation particulière de ce barreau qui, au regard du nombre d’avocats inscrits, n’est pas exposé au même risque de proximité ; qu’il a, d’autre part, entendu assurer une représentation équilibrée des autres barreaux relevant de la cour d’appel de Paris au sein d’un conseil de discipline commun ; que, dès lors, la différence de traitement établie par le législateur repose sur des critères objectifs et rationnels, poursuit un but d’intérêt général et est en rapport direct avec l’objet de la loi ; »
Autrement dit, pour le juge constitutionnel le fait que la composition des conseils régionaux de disciplines soient composés d’avocats issus de barreaux différents de l’avocat poursuivi assurent les principes constitutionnels d’indépendance et d’impartialité des juridictions disciplinaires.
La composition particulière au niveau disciplinaire du barreau de Paris trouve sa justification uniquement du fait du grand nombre d’avocats qui le compose, ce qui permet ainsi d’assurer le respect les deux principes précités.
Cela est loin d’être le cas pour les conseils de discipline existant dans les barreaux d’outre-mer qui sont composés exclusivement d’avocats issus du même barreau que l’avocat poursuivi.
C’est pour régler cette problématique que deux amendements seront déposés successivement par deux députés guadeloupéen et guyanais.
Une première tentative de réforme va être portée par l’ancienne députée guadeloupéenne Justine Bénin qui présentera un amendement le 14 mai 2021 dans le cadre des débats parlementaires portant sur la loi confiant dans l’institution judiciaire. Cet amendement sera rejeté.
La deuxième tentative résultera d’un amendement présenté par le député et président de la délégation outre-mer Davy Rimane. S’il a été rejeté dans un premier temps, il sera repris et complété par le ministre de la Justice avec un article additionnel 13 bis A inséré dans le projet de loi qui deviendra l’article 41 de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Cet article 41 va ajouter dans le chapitre III du livre Ier de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée après le deuxième alinéa de l’article 22, un alinéa ainsi rédigé :
« En outre, un conseil de discipline commun est institué dans le ressort des cours d’appel de Cayenne, de Fort-de-France et de Basse-Terre pour connaître des infractions et des fautes commises par les avocats relevant des barreaux de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Il siège dans le ressort de la cour d’appel dont relève l’avocat faisant l’objet de poursuites. ».
Il convient de noter que le garde des sceaux a indiqué que cet amendement avait le mérite de résoudre une problématique posée par le droit européen face à l’exigence de l’impartialité objective appliquée au demeurant au sein de tous les conseils régionaux de discipline de l’hexagone, avec l’exception parisienne justifiée par son important effectif.
Le conseil de discipline commun équivaut donc à la création d’un conseil interrégional de discipline regroupant les trois barreaux de Guyane, Martinique et de Guadeloupe.
2° Le siège du conseil de discipline commun.
Conformément au troisième alinéa de l’article 22 de la loi du 31 décembre 1971 modiée, le siège de ce conseil interrégional de disciplinaire est attributaire du barreau auquel appartient l’avocat inquiété.
En effet, il doit impérativement siéger dans le ressort de la cour d’appel dont relève l’avocat faisant l’objet de poursuites.
L’avocat guyanais, martiniquais ou guadeloupéen comparaitra donc toujours devant la juridiction disciplinaire qui siégera sur son territoire d’exercice : c’est uniquement la composition du conseil de discipline commun qui changera et ne sera jamais composé majoritairement de confrères membres appartenant à son barreau.
C’est d’ailleurs la cour d’appel du siège barreau de l’avocat poursuivi qui connaitra des recours contre les décisions prises par le conseil de discipline commun.
3° Le recours à la visioconférence pour les membres du conseil de discipline commun et des membres du conseil de l’ordre de Mayotte.
L’article 41 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a ajouté un III à l’article 22-1 de la loi de 1971 modifiée permettant à certains représentants des conseils de l’ordre désignés comme membres du conseil de discipline commun :
« II.-Lorsque la venue des représentants des conseils de l’ordre ne relevant pas du ressort de la cour d’appel de l’avocat poursuivi à l’audience du conseil de discipline commun est matériellement impossible, ces représentants participent à l’audience et au délibéré depuis le conseil de l’ordre de leur barreau ou, à défaut, depuis un autre lieu situé sur le territoire de la République relié, en direct, à la salle d’audience par un moyen de communication audiovisuelle. Lorsque la venue du ou des représentants du conseil de l’ordre du barreau de Mayotte siégeant au conseil de discipline mentionné au premier alinéa de l’article 22 est matériellement impossible, ces représentants participent à l’audience et au délibéré dans les mêmes conditions. ».
Cette disposition législative permet de pallier la présence physique des juges disciplinaires lorsque celle-ci « est matériellement impossible ».
Il faut savoir que la Guyane est distante de la Martinique de plus de 1 400 kilomètres à vol d’oiseau et de plus de 1 600 kilomètres de la Guadeloupe.
Cependant, les conditions pour recourir à la Visioconférence pour les audiences devront être précisées par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la Justice.
Le nouvel article 194-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat précise ainsi que les caractéristiques techniques des moyens de communication audiovisuelle utilisés doivent permettre de s’assurer de l’identité des personnes y participant.
Elles doivent également assurer la qualité de la transmission et, lorsque l’audience ou l’audition n’est pas publique, la confidentialité des échanges.
Le décret du 29 janvier 2025 a ouvert également le recours à la Visioconférence pour les représentants du conseil de l’ordre de Mayotte siégeant au conseil de discipline du ressort de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, ces deux territoires étant distant l’un de l’autre de plus de 1 400 kilomètres.
Attention cependant, le principe reste la participation et la présence physique des membres du conseil de discipline commun.
D’ailleurs, le III de l’article 22-1 de la loi de 1971 modifiée prévoit expressément que le recours à la Visioconférence n’est possible que si le déplacement du membre du conseil de l’ordre concerné s’évère « matériellement impossible ».
Il conviendra donc que la décision prise par l’organe disciplinaire précise les raisons qui ont matériellement rendu impossible la participation physique du membre du conseil de discipline commun à l’audience.
4° La désignation des membres du conseil de discipline commun
Il n’y a pas de particularité par rapport au mode de désignation des membres des conseils régionaux de discipline traditionnels.
Cependant, le décret a veillé néanmoins à lever toute difficulté en apportant des précisions sur ce point.
Ainsi, après chaque renouvellement, chacun des conseils de l’ordre guyanais, martiniquais et guadeloupéen doit désigner cinq titulaires pour siéger au conseil de discipline commun.
Il faudra faire attention à ce que cette désignation intervienne en tout état de cause avant le 31 décembre de chaque année.
En tout état de cause, les cinq membres déjà désignés par chacun des conseils de l’ordre avant le 31 décembre 2024 constitue le conseil de discipline commun aux trois cours d’appel de Cayenne, Fort-de-France et Basse-Terre, soit au total 15 membres.
5° Le rôle du président du conseil de discipline commun
La président du conseil de discipline commun doit être désigné parmi les 15 membres titulaires désignés par les trois conseils de l’ordre composant le conseil de discipline commun.
Le décret du 29 janvier 2025 prend le soin de préciser les fonctions particulières du président lorsque tous les membres du conseil de discipline commun ne sont pas tous en présentiel.
Le président du conseil interrégional de discipline doit diriger les débats depuis la salle d’audience.
Il doit préalablement contrôler, lors de l’audience et du délibéré, que les conditions dans lesquelles la personne se connecte sont compatibles avec le respect de la sérénité des débats et, le cas échéant, la confidentialité des échanges.
En tout état de cause, le décret pose une présomption de connexion régulière lorsque le représentant du conseil de l’ordre se connecte depuis le local du conseil de l’ordre.
Cette présomption doit a contrario être démontrée lorsque le membre du conseil de discipline commun se trouve dans un autre lieu que celui du local ordinal, ce qui pourra être le cas lorsque les locaux ordinaux ne sont pas équipés pour les échanges par voie de Visioconférence.
6° Date d’application du décret du 29 janvier 2025
Il convient de préciser que les dispositions du décret du 29 janvier 2025 sont entrées en application depuis le vendredi 31 janvier 2025 et ne s’appliquent qu’aux procédures disciplinaires engagées et aux réclamations reçues postérieurement à la date du 30 janvier 2025.
Cependant, il conviendra d’attendre l’arrêté ministériel du garde des sceaux fixant les conditions techniques du dispositif devant permettre aux membres des conseils de l’ordre de Guyane, Martinique, de Guadeloupe et de Mayotte de pouvoir participer aux audiences disciplinaires en recourant à la Visioconférence.
Dans l’attente, les membres devront se déplacer pour participer aux audiences disciplinaires qui seraient organisées.
Le décret du 29 janvier 2025 ne modifie pas pour autant les règles essentiellement applicables au fonctionnement du conseil de discipline commun, lesquelles restent les mêmes que celles applicables ordinairement aux conseils régionaux de discipline hexagonaux, sauf dispositions contraires.
Pour le rappel des règles de la procédure disciplinaire applicable, le lecteur pourra se référer à notre article intitulé « Avocats : la nouvelle procédure disciplinaire en 14 questions-réponses ».
Référence : AJU496823
