L’avocat, le juge et la procédure

Publié le 07/03/2024

L’audition d’une juge Marseillaise au Sénat le 5 mars dernier ravive la vieille polémique sur le rôle de l’avocat et les fameuses erreurs de procédure. Une conséquence parmi d’autres du manque de moyens de la justice. 

L’avocat, le juge et la procédure
Inscription sur l’un des murs du Tribunal judiciaire de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

Voici que ressurgit, à l’occasion de l’audition d’une magistrate devant une commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic, l’accusation à l’endroit des avocats d’abuser de la procédure. Elle a déclenché immédiatement leur indignation sur les réseaux sociaux. Et pour cause. À quoi servirait-il d’établir des règles de procédure si celles-ci n’étaient pas respectées et leur violation sanctionnée ? Il y a quelques années de cela, un magistrat du parquet confiait à qui voulait bien l’entendre : « l’avocat doit à un moment donné arrêter les recours et se souvenir qu’il est un auxiliaire de justice et que sa mission consiste à aider le juge ». On se demande bien combien de recours pouvait selon lui intenter un avocat et à partir de quand il devait se dire « non, ça pourrait servir mon client, mais je dois épargner cette peine à mon juge et l’aider dans son œuvre de justice » ? Précisons à ce stade que l’avocat qui raisonnerait ainsi serait en situation de faute professionnelle, ce qui avait visiblement échappé à l’auteur de cette déclaration.

Il y a fort à parier que cette vision n’est pas isolée puisqu’elle réapparaît à intervalles réguliers. On l’a vue par exemple à l’occasion de l’affaire dite Cohen-Sabban Nogueras jugée l’an dernier. Dans ce dossier, il était reproché aux deux pénalistes renommés d’avoir communiqué un faux à une cour d’assises. Avaient-ils fabriqué ce faux ? Non, concluaient les trois juges d’instruction dans leur ordonnance de renvoi. Savaient-ils qu’il était faux ? Pas davantage. Mais, ils avaient quand même été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris au motif qu’ils auraient dû le savoir. Et le parquet avait requis des peines de prison *! Avec la meilleure bonne foi du monde, certains magistrats avançaient alors qu’une pièce communiquée par un avocat avait à leurs yeux plus de crédibilité, plus de valeur, et ils en déduisaient par un étonnant raisonnement inversé qu’ainsi l’avocat en quelque sorte certifiait les pièces qu’il communiquait, de sorte qu’il devait aussi en répondre si elles s’avéraient fausses. À l’époque, le vice-bâtonnier de Paris Vincent Nioré était venu dire à la barre que l’avocat ne pouvait matériellement pas endosser ce rôle. Et pour cause, comment imposer une obligation impossible ? Quel avocat a le pouvoir de vérifier en comparution immédiate par exemple la validité des différentes attestations que produit le client qu’il a vu cinq minutes avant l’audience ?

L’expression de ce type de malentendu sur la mission réelle de l’avocat irrite la profession. Et on le comprend tant cela alimente la caricature habituelle du métier dans l’opinion publique : celle du « baveux » dont la passion immorale et condamnable consiste à faire relâcher des assassins en traquant le détail de procédure. Elle a cependant un mérite, révéler au grand jour ces incompréhensions qui nourrissent au quotidien la tension entre avocats et magistrats et donner ainsi une chance de dialoguer pour dissiper les préjugés. Si des avocats commettent des abus, ils doivent être poursuivis et sanctionnés, des procédures existent. Dans le cas contraire, il faut les laisser travailler. Si c’est l’état de la procédure pénale qui paralyse le travail de la justice, alors il faut envisager de la modifier, mais pas contraindre l’avocat à s’autocensurer.

À l’origine de tout ceci, chacun l’aura compris, il y a encore et toujours le manque de moyens. C’est lui qui, bien souvent, pousse le juge épuisé à s’agacer que l’avocat lui complique la tache quand il suffirait, pour que la pile de dossiers descende plus vite, qu’il se taise. La solution est tentante, mais ce n’est pas la bonne.

 

*Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras ont été relaxés de l’accusation de faux, mais le jugement est frappé d’appel.

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