Jugement J. Cohen-Sabban et X.Nogueras : l’avocat n’est pas un authentificateur

Publié le 18/04/2023

Au terme d’une décision très soigneusement motivée de 124 pages prononcée ce mardi, le tribunal correctionnel de Paris présidé par Isabelle Prevost-Desprez a relaxé les deux pénalistes du chef de complicité de tentative d’escroquerie au jugement, confirmant notamment qu’il ne pèse sur l’avocat aucune obligation d’authentification.

Jugement J. Cohen-Sabban et X.Nogueras : l'avocat n'est pas un authentificateur
Tribunal judiciaire de Paris. (Photo : ©P. Cluzeau)

Quand on leur demandait un pronostic, dans l’attente du jugement, les avocats répondaient en chœur : condamnation pour le secret professionnel, relaxe sur la complicité de tentative d’escroquerie au jugement. Bien sûr, chacun tempérait d’un « mais on ne sait jamais », inspiré tant par la superstition que par l’angoisse d’un séisme. Si le tribunal en effet avait retenu la complicité de tentative d’escroquerie, et donc acté le principe d’un devoir de vérification, voire d’authentification, des pièces produites, cela aurait fait peser sur eux une obligation matériellement impossible et donc gravement remis en cause l’exercice de la défense.

Mais le tribunal a validé le pronostic, preuve que celui-ci s’appuyait sur des raisonnements juridiques solides.

« Nulle obligation déontologique de certification de l’authenticité »

Gageons que le paragraphe 333 du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 18 avril 2023 restera dans les annales de la profession d’avocat. Il y est écrit :

333 – En quatrième lieu, l’article 21.4.4 du règlement intérieur national de la

profession d’avocat adopté le 12 juillet 2007 par le Conseil national des barreaux

(CNB) 28 dispose : « A aucun moment, l’avocat ne doit sciemment donner au juge une

information fausse ou de nature à l’induire en erreur ». Il résulte de ces dispositions

que nulle obligation déontologique de certification de l’authenticité des pièces versées

ne pèse sur un avocat dès lors que seule la production en justice, en connaissance de

cause, d’un document falsifié, est susceptible d’entrer dans les prévisions de ce texte.

Ce faisant, le tribunal valide la position de la profession d’avocat exposée à la barre par le vice-bâtonnier de Paris Vincent Nioré, cité comme témoin de la défense, le 1er février dernier. Rappelons qu’il était acquis dans cette affaire, y compris aux yeux des juges d’instruction, que rien ne démontrait la connaissance qu’auraient eue les avocats du caractère faux de la pièce transmise à la Cour. Les juges avaient cependant renvoyé les prévenus s’expliquer devant le tribunal, au motif que par sa qualité, l’avocat contribue à « renforcer la crédibilité d’une pièce ». En tant qu’ « homme de l’art », il « est présumé avoir procédé aux vérifications élémentaires que commande sa profession ».

Lors de son témoignage, Vincent Nioré avait rappelé avec fermeté que « L’avocat est tenu à un devoir de loyauté à l’égard du juge et doit s’abstenir de verser sciemment des pièces qu’il sait être fausses. Ce n’est pas l’imprudence qui est sanctionnée mais la conscience claire ». Il avait également mis en garde contre une prétendue obligation d’authentification « que l’on me trouve le texte qui vient dire que l’avocat est tenu à un devoir de vérifier l’authenticité des pièces qu’on lui a remis, il n’existe aucun texte, coutume ou usage en ce sens, absolument aucun » . Et de prévenir : « si on crée une obligation d’authentification, il n’y aura plus d’avocats, c’est la mort de la profession. Comment tout vérifier ? C’est impossible ! ».

Dans ses réquisitions, le parquet avait convenu lui aussi qu’il n’y avait pas d’obligation d’authentification, mais selon l’un des deux procureurs, Julien Goldszlagier : « ce qu’on peut attendre c’est qu’ils soient vigilants, pas d’une vigilance vétilleuse, sourcilleuse mais comme le dit l’arrêt de 2016, qu’ils procèdent à des vérifications élémentaires. Il leur est reproché, alors que l’insuffisance de leurs diligences n’avait pas permis de faire taire leur propre suspicion, d’avoir produit ces pièces en dissimulant les raisons qu’ils avaient eux-mêmes de douter de leur authenticité ».

Si cette affaire a un mérite, c’est d’avoir crevé l’abcès. Non, l’avocat n’est pas un authentificateur de pièces, ni même seulement débiteur d’une obligation de procéder à des « vérifications élémentaires » dans le cadre d’un devoir de vigilance non « vétilleux ».

La négligence est une faute disciplinaire, pas pénale

Mais peut-être les prévenus ont-ils été à ce point négligents que cela puisse constituer l’élément intentionnel d’une complicité ? La justice invoquait à l’appui de sa thèse plusieurs décisions de jurisprudence que feu Me  Temime avait méticuleusement examinées pour les écarter lors de sa plaidoirie, soulignant que sur les 10 citées, 6 ne concernaient pas les avocats (deux notaires, une société, un cadre de banque, un médecin et un expert-comptable) et que les 4 restantes visaient uniquement des avocats-conseils coupables d’avoir rédigé des faux. Ce qui n’avait rien à voir avec les faits de la cause.

Le tribunal dans sa décision prend soin de démontrer que l’élément intentionnel n’est pas constitué quel que soit le type de complicité invoqué.

334 – En cinquième lieu, s’agissant d’une qualification de complicité, par aide et

assistance, d’escroquerie au jugement impliquant l’usage de faux en écriture publique

ou authentique, l’élément intentionnel requis par la loi, qui ne peut donc être à bon

droit constitué par la seule reconnaissance d’une négligence – même particulièrement

grave eu égard à la qualité de professionnel du droit des deux prévenus – ni de la

validation intellectuelle de la probabilité d’un subterfuge, doit procéder de la

connaissance acquise de la fausseté des documents litigieux conjuguée à la conscience

concomitante de participer ainsi à la réalisation de l’action frauduleuse des auteurs

principaux.

(….)

« 337 – En huitième et dernier lieu, la circonstance que M. NOGUERAS et M.

COHEN-SABBAN n’aient pu que nourrir un scepticisme, fût-il flagrant, quant à la

parfaite légalité de la stratégie de défense conçue par M. DAWES et aient même

acquis l’intime conviction que ce dernier était, à tout moment, susceptible de

concrétiser son action frauduleuse grâce aux agissements délictuels de M. HUGHES et

à son positionnement central dans l’équipe de défense ne peut caractériser le dol

général du délit de complicité lequel se compose de la connaissance de la prohibition

légale et de la volonté de la transgresser. Autrement dit, la seule conscience d’une

réalité factuelle et juridique est insuffisante à la vérification d’un dol général à défaut

de la démonstration de la volonté d’agir en dépit de cette connaissance. (…) »

Le tribunal relève ainsi, exactement comme l’avait plaidé la défense, que si le comportement professionnel des deux avocats a souffert « de graves négligences, d’un désinvestissement, d’un manque criant de professionnalisme et même de la commission d’une infraction à la loi pénale protégeant le secret professionnel » cela relève de l’autorité disciplinaire, pas de l’infraction de complicité de tentative d’escroquerie au jugement.

Si les intéressés sont quand même condamnés, à une amende de 15 000 euros et une interdiction d’exercer de trois ans avec sursis, donc bien loin de la prison ferme requise par l’accusation, c’est uniquement pour la violation du secret professionnel. Ils ont d’ailleurs reconnu avoir transmis à tort le dossier à l’émissaire du client.

Les avocats soulagés par le jugement

Bien que rédigé en des termes assez durs, le jugement est conforme à une analyse juridique raisonnable des faits.  À la sortie de la salle d’audience, les avocats étaient donc soulagés, tant s’agissant du sort réservé à leurs confrères que sur l’avenir de l’exercice de la défense pénale. Quant à la justice, elle a montré qu’elle se faisait respecter en sanctionnant d’une part le faux et la tentative d’escroquerie au jugement commis par M. Dawes et son émissaire M. Hugues, d’autre part, la violation du secret professionnel par les avocats.

Reste une question : pourquoi une telle obstination s’agissant de la complicité de tentative d’escroquerie au jugement alors que l’élément intentionnel, de l’avis général, faisait défaut ? Certains ont vu dans cette procédure une possible manœuvre d’intimidation dirigée contre la défense. D’autres mettent en garde contre une vision déformée de l’avocat issue des procédures de justice négociée. En d’autres termes, la tentation d’une justice en manque de moyens de transformer l’avocat en collaborateur du juge dans son oeuvre de justice, y compris dans l’exercice de la défense, par exemple en lui ôtant la charge d’apprécier la validité des éléments qui lui sont soumis. À coup sûr, ce procès traduit en tout cas une méfiance des magistrats à l’égard des avocats que ces derniers déplorent et qui est source de tensions régulières. Deux incidents survenus ces dernières semaines aux assises de Nîmes et de Dijon sont venus illustrer cette dégradation inquiétante des relations entre les deux professions.

Quant aux propos très durs du jugement sur le manque de professionnalisme supposé des avocats, pourtant tous deux très respectés dans leur profession, on ne peut s’empêcher de rappeler que dans cette affaire, aucun magistrat, ni à l’instruction ni aux assises, n’a réclamé la traduction ni lu les fameux 114 DVD de la procédure espagnole qui fondait la procédure française. Ceux-là même qu’on reproche aux avocats d’avoir transmis à un tiers en violation du secret professionnel dans l’espoir que quelqu’un les décrypte pour eux. La justice a invoqué le manque de  temps et de moyens. Ce qui ne l’a pas empêchée de condamner M. Dawes à 22 ans de réclusion criminelle. L’idée que les avocats exerceraient leur métier dans des conditions nettement plus favorables que les juges est sans doute un autre mythe à déconstruire, après celui de l’avocat authentificateur de pièces….Tous souffrent de la pauvreté de la justice et font ce qu’ils peuvent pour que la machine tourne quand même.

Me Hervé Temime, à qui avocats et magistrats ont rendu hommage lors d’une minute de silence en début d’audience, a disparu brutalement le 10 avril dernier, sans avoir eu le temps de connaître le résultat de ce qui fut sa dernière plaidoirie. Au moins la vie lui a-t-elle accordé la possibilité, avant de partir, de contribuer à sauver la robe et l’honneur de deux de ses confrères et de défendre le plein exercice de cette profession qu’il aimait tant…

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