4e Commission

Clause de tontine ou clause d’accroissement : une nouvelle jeunesse

Publié le 27/05/2016

Afin d’échapper à la qualification de pacte sur succession future, la clause de tontine ou clause d’accroissement est analysée comme assortie d’une condition résolutoire de prédécès et d’une condition suspensive de survie de chacun des cocontractants. Cependant, une telle analyse ne permet pas de régler de manière satisfaisante les relations des tontiniers avant la réalisation de la condition. La nouvelle jeunesse de la clause de tontine consiste à rechercher un nouveau fondement permettant tout à la fois de régir les relations entre les tontiniers pendente conditione et de reconnaître le droit de propriété du survivant sans encourir la qualification de pacte sur succession future prohibé.

1. Selon les termes du Vocabulaire juridique1, la clause d’accroissement est la « clause par laquelle les acquéreurs en commun d’un même bien conviennent que l’acquisition sera réputée faite pour le compte du seul survivant d’entre eux, dès le jour de l’acquisition, à l’exclusion des prémourants qui sont censés n’avoir jamais été propriétaire ». Ce même article propose comme synonyme « clause tontinière ».

2. En réalité, ces deux notions, même si elles sont proches, ne sont pas tout à fait synonymes. Aux termes de leur rédaction, les premières clauses disposaient que les acquéreurs étaient propriétaires indivis jusqu’au premier décès de l’un d’eux. À cette date, le survivant devenait propriétaire exclusif du bien par accroissement de sa part en raison du décès de son coacquéreur. Cette technique permettait au survivant d’un groupe familial de conserver la propriété d’un bien2 en dehors de toute règle successorale. Mais dans un arrêt du 15 décembre 18523, la Cour de cassation a considéré que la clause d’accroissement devait être analysée comme réalisant une mutation de propriété et non pas comme une augmentation. Ainsi, il fallait considérer que le prémourant, en consentant par avance à ce que sa part accroisse celle de son coacquéreur, disposait de manière anticipée d’un bien qui devrait dépendre de sa succession non encore ouverte.

3. Dans un célèbre arrêt du 24 janvier 19284, la Cour de cassation tira les conséquences de cette analyse et prononça la nullité de la clause d’accroissement comme réalisant un pacte sur succession future prohibé. La doctrine et la pratique réagirent à cette sanction en recherchant une autre formulation de la clause qui permette de la valider et de respecter la volonté des parties de transférer la propriété du bien au survivant. Plusieurs solutions furent proposées.

Nast5 proposa d’intégrer dans la clause un mécanisme de condition : le droit de propriété de l’un des indivisaires disparaissait par le jeu de la rétroactivité de la condition résolutoire de prédécès. Le prémourant voyait ses droits de propriété rétroactivement anéantis par le jeu de la condition résolutoire de prédécès alors que les droits du survivant étaient consolidés par le jeu de la condition suspensive de prédécès de l’autre coacquéreur.

Le doyen Savatier6 suggéra de réaliser directement l’acquisition au nom du futur survivant grâce au mécanisme de la condition. Le coacquéreur prémourant était censé n’avoir jamais été propriétaire du bien et ne pouvait donc pas avoir consenti un pacte sur succession future. Ainsi que certains auteurs7 l’ont fait remarquer, la proposition du doyen Savatier était exclusivement fondée sur la condition et n’était plus une clause d’accroissement. Selon cette proposition, les coacquéreurs n’étaient plus propriétaires indivis mais propriétaires conditionnels. La Cour de cassation a consacré cette analyse dans une décision du 3 février 19598 en décidant que la clause conférant la propriété d’un bien au survivant à compter du jour de l’acquisition par le jeu d’une condition suspensive de sa survie n’était pas une clause d’accroissement encourant la nullité.

4. L’une des principales préoccupations de la doctrine et de la pratique était de trouver un moyen de valider la clause afin de reconnaître le droit de propriété du survivant. L’insertion dans l’acte d’acquisition d’une double condition permet d’atteindre cet objectif. Chacun des acquéreurs devient propriétaire sous condition résolutoire du décès de l’autre et sous condition suspensive de sa propre survie. Ainsi, en éteignant les droits du prémourant, celui-ci est censé n’avoir jamais été propriétaire du bien et ne peut donc pas être suspecté d’en avoir disposé dans un pacte sur succession future. C’est à ce moment que l’expression « clause de tontine » ou « pacte tontinier » fût préférée à celle de clause d’accroissement9. Une telle clause permet aux coacquéreurs soucieux de se protéger mutuellement de prévoir un mécanisme attribuant la pleine propriété au survivant d’entre eux.

5. La clause de tontine est essentiellement utilisée par des couples non mariés, ou séparés de biens, pour acheter un immeuble ensemble et protéger le survivant en lui garantissant la pleine propriété dudit immeuble. Il est vrai que cette clause n’est pas sans inconvénient pour les héritiers du prémourant privés de tout droit sur le bien ou pour les créanciers de l’un ou l’autre des tontiniers dont le gage est incertain avant le dénouement de la situation. Régulièrement, des litiges surviennent entre les héritiers ou les créanciers et le survivant des tontiniers. Mais depuis la consécration jurisprudentielle de la clause analysée comme contenant une double condition, peu de difficultés sont à noter au moment de la réalisation de la condition au jour du premier décès.

6. La Cour de cassation10 a cependant eu à connaître d’un cas quelque peu particulier : celui où l’un des tontiniers tue l’autre. Quid, dans cette hypothèse de la réalisation de la condition ? Dans cette affaire, un couple acquiert une maison, l’acte d’acquisition stipulant une clause d’accroissement. Quelques années plus tard, l’homme tue sa compagne avant de se suicider trois jours après. Le mécanisme de la clause de tontine conduit à rendre rétroactivement l’homme seul propriétaire de ladite maison. L’héritière de la femme agit contre les héritières de l’homme en paiement du montant de la vente de l’immeuble. Elle invoque à l’appui de sa demande, l’article 1178 du Code civil aux termes duquel « la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement ». Les juges du fond rejettent sa demande aux motifs qu’il n’existe pas entre les parties à la clause de tontine de rapport « débiteur-créancier » et que l’article 1178 n’est pas applicable. La cour d’appel reconnaissant cependant que l’héritière de la femme a perdu une chance d’héritier de la moitié de l’immeuble, lui attribue à titre d’indemnité la moitié du prix de vente de l’immeuble. Cette décision illustre parfaitement la rigueur du mécanisme mis en place. La concubine étant décédée la première, son compagnon bénéficie du jeu de la clause et doit être considéré comme seul propriétaire de l’immeuble depuis le jour de son acquisition. Afin de tempérer cette solution quelque peu choquante voire immorale, les juges ont eu recours au mécanisme de la responsabilité civile afin d’accorder à l’héritière de la concubine assassinée la moitié de la valeur du prix de vente de l’immeuble au titre de sa perte d’une chance d’hériter.

7. Outre sa rigueur, que l’on peut considérer parfois comme excessive, l’analyse de la clause de tontine comme contenant une double condition résolutoire et suspensive pose un certain nombre de difficultés pour déterminer la situation des tontiniers pendente conditione. En effet, l’analyse actuelle ne permet pas de régler de manière satisfaisante la situation des tontiniers avant la réalisation de la clause. L’effet rétroactif de la condition conduit à considérer que le survivant a toujours été propriétaire de l’immeuble et que le prémourant n’a jamais eu de droits sur ce bien. En refusant de considérer que les parties au pacte tontinier sont en indivision, cela conduit à une impasse pour déterminer les droits de chacune des parties lorsqu’ils sont tous les deux en vie. Quels sont les actes qu’ils peuvent, ou non, passer ? Comment organiser le droit de jouissance du bien en cas de séparation du couple ? Quels sont les droits des créanciers sur le bien ? Autant de questions qu’il faut tenter de résoudre.

8. Le mécanisme de la rétroactivité permet d’échapper à la qualification de pacte sur succession future mais il conduit également à nier toute appropriation antérieure commune par les coacquéreurs. Ce raisonnement implacable et ses inconvénients n’ont pas échappé aux commentateurs11 qui ont soulevé les difficultés liées à la situation des tontiniers pendente conditione. Alors que les règles régissant les rapports entre indivisaires sont connues, « les relations de propriété conditionnelle ainsi définies sont plutôt obscures »12. Même si certains ont souligné la nécessité de trouver un mécanisme de remplacement permettant « le passage d’une propriété commune à une propriété privative sans contredire l’existence de l’appropriation commune antérieure, éviter que les parties en présence ne soient les ayants cause les unes des autres afin d’écarter le grief de pacte sur succession future »13, la Cour de cassation a persisté dans son choix en tentant d’aménager autant que faire se peut la situation des tontiniers avant la réalisation de la condition.

9. Le nombre de plus en plus grand de couples vivant ensemble sans être mariés a conduit également à une augmentation du nombre de clauses de tontine insérées dans les actes d’acquisition d’immeuble par ces couples désirant acheter ensemble. Les aléas de la vie font que ces couples se séparent avant même la réalisation de la condition du prédécès de l’un d’entre eux. C’est peut-être dans cette recrudescence de litiges entre tontiniers qu’il faut chercher la nouvelle jeunesse de la clause de tontine. Les quelques décisions de la Cour de cassation en la matière ne s’avèrent pas satisfaisantes du point de vue du raisonnement juridique14. Il apparaît impératif de réfléchir à un nouveau fondement de la clause qui soit conforme à la volonté des parties, c’est-à-dire acquérir un bien ensemble et qu’au décès du premier des coacquéreurs, l’autre en ait la propriété exclusive, sans pour autant qu’apparaisse la qualité d’ayant cause du prédécédé afin d’éviter la qualification de pacte sur succession future15.

10. Nier l’indivision ou tout au moins la volonté d’appropriation commune des coacquéreurs est contraire à la situation de fait. « Force est de constater que la situation décrite commence toujours par une appropriation commune et finit parfois de même »16. La multiplication des cas où les tontiniers se trouvent démunis pendente conditione en se retrouvant prisonniers de leur qualité de propriétaires conditionnels doit conduire au renouveau de la qualification de la clause de tontine. La nouvelle jeunesse de la clause tontinière ne réside pas tant dans le nombre de clauses insérées dans des actes d’acquisition que dans la recherche d’un fondement permettant de concilier une propriété collective du vivant des coacquéreurs et une propriété exclusive à compter du premier décès de l’un d’entre eux. Avant d’envisager quel pourrait être ce fondement et le renouveau de la clause de tontine (II), il est nécessaire de revenir sur les difficultés liées à la qualification de cette clause (I).

I – Les difficultés liées à la qualification de la clause de tontine

11. L’analyse classique de la clause de tontine comme créant une propriété conditionnelle a pour seul mérite de permettre au survivant d’acquérir la propriété exclusive du bien. L’objectif de protection du survivant est atteint mais au détriment d’une situation des tontiniers souvent inextricable pendente conditione (A). Afin de résoudre les litiges qui lui ont été soumis la jurisprudence a mobilisé la notion d’indivision en jouissance (B) qui permet de régler certains conflits survenant entre les signataires du pacte avant la réalisation de la condition.

A – La situation des tontiniers pendente conditione

12. Depuis la consécration par la Cour de cassation de la solution préconisée par le doyen Savatier17, les tontiniers sont considérés comme des propriétaires conditionnels. La clause de tontine comprend une double condition pour chacun des coacquéreurs : une condition résolutoire de son prédécès et une condition suspensive de sa survie. Cette analyse, devenue classique18, sous forme de droit conditionnel permet d’éviter la nullité de la disposition comme réalisant un pacte sur succession future prohibé et garantit au survivant la pleine propriété du bien de manière rétroactive au jour de l’acquisition sans craindre quelque recours que ce soit de la part des héritiers du prémourant, ce dernier étant censé n’avoir jamais été propriétaire dudit bien.

13. Au moment du premier décès c’est le caractère rétroactif du mécanisme conditionnel qui permet de considérer que le survivant a toujours été propriétaire du bien et que le prémourant n’a jamais eu de droit de propriété. Mais cette analyse ne permet pas de régler la situation juridique des tontiniers pendente conditione lorsqu’ils sont tous les deux en vie. Il faut alors déterminer les droits de chacun. L’analyse classique exclut toute indivision préexistante entre les coacquéreurs. La négation de cette appropriation antérieure commune pose un certain nombre de difficultés quant à la nature des droits des tontiniers et quant au statut de l’immeuble ainsi acquis, « énigme la plus troublante »19 de la tontine que l’on a pu ainsi qualifier de « mystérieuse »20.

14. L’effet rétroactif de la clause remet en cause l’existence d’une indivision préalable entre les coacquéreurs. Si l’on se place au jour de la réalisation de la condition, le prémourant n’a jamais eu de droit de propriété et par voie de conséquence aucun des attributs de ce droit sur le bien alors que le survivant est le seul à avoir un droit exclusif de propriété. Cela conduit à considérer que pendente conditione, il n’y a effectivement pas d’indivision entre les tontiniers. Ainsi que certains auteurs21 ont pu le faire remarquer, cette analyse n’est exacte que si l’on se place après le décès de l’un des coacquéreurs. Mais si l’on raisonne au jour de l’acquisition et de l’insertion de la clause dans l’acte par les parties, autrement dit du vivant des deux coacquéreurs, il s’avère impossible de dire qui est propriétaire du bien. C’est ici que le bât blesse : comment déterminer le régime applicable aux relations entre les tontiniers ? En particulier, il s’agit de pouvoir résoudre les difficultés pouvant apparaître en cas de désaccord sur l’administration du bien et celles liées au droit des créanciers.

15. C’est ainsi que la Cour de cassation22 a pu considérer que la clause de tontine est nécessairement accompagnée d’une clause d’inaliénabilité jusqu’à son dénouement si la clause est insérée dans un acte à titre gratuit. La haute juridiction tire ici la conséquence du caractère incertain de la propriété affectée d’une double condition résolutoire et suspensive. Pendente conditione, il est impossible de réaliser des actes de disposition et d’aliéner le bien. Chacun des tontiniers ne pourrait que céder son propre droit s’il trouve un acquéreur qui accepte de devenir titulaire d’un droit incertain lié au prédécès de l’autre tontinier.

16. À défaut de pouvoir disposer seul du bien, il est admis que les coacquéreurs peuvent en jouir. S’ils vivent ensemble, ce droit ne pose aucune difficulté mais s’ils se séparent, une éventuelle jouissance à titre privatif est-elle envisageable au profit de l’un d’eux ? Faut-il indemniser (et comment) le tontinier privé de ce droit de jouissance ? Là encore, l’entente entre les coacquéreurs est primordiale. S’ils en conviennent, ils peuvent disposer du bien, le louer ou accorder à l’un d’eux un droit de jouissance à titre privatif. Mais en cas de mésentente, les tontiniers se retrouvent dans une impasse. Le jeu de la double condition et son effet rétroactif se retournent contre eux. En l’absence d’indivision en propriété, ils ne peuvent solliciter le partage de l’immeuble pas plus qu’ils ne peuvent révoquer de manière unilatérale la clause litigieuse.

17. Il arrive fréquemment qu’après leur séparation, l’un des membres du couple conserve la jouissance de l’immeuble acquis ensemble. Dans le cadre d’une acquisition sous le régime de droit commun de l’indivision (pour un couple non marié ou marié sous un régime séparatiste), une indemnité d’occupation est due à l’indivision. La Cour de cassation a été saisie à plusieurs reprises de la question d’accorder, ou non, ce droit à une indemnité d’occupation lorsque l’acte d’acquisition contenait une clause de tontine.

B – Une indivision de jouissance ?

18. Après l’adoption de l’analyse classique, une controverse a vu le jour quant à l’existence ou non d’une indivision entre les tontiniers avant la réalisation de la condition. Certains auteurs ont admis l’existence d’une indivision pendente conditione dont l’un des premiers fut Nast23. Selon cet auteur, les coacquéreurs sont propriétaires indivis sous condition résolutoire de leur prédécès. Au jour de la réalisation de la condition, l’indivision sur la nue-propriété disparaît rétroactivement pour le prémourant qui est donc réduit de manière rétroactive à la situation de simple usufruitier. Ce raisonnement permet de concilier, tant bien que mal, l’indivision perçue derrière la clause de tontine et le mécanisme de la double condition rétroactive24.

D’autres25 nient toute appropriation indivise du bien acquis en commun. Selon ces auteurs, l’indivision suppose des droits concurrents mais non contradictoires ou incompatibles. Or les droits des tontiniers sont contradictoires puisque pendente conditione, les coacquéreurs sont propriétaires sous condition résolutoire de leur prédécès et sous condition suspensive de leur survie. Lorsque la condition se réalise, un seul d’entre eux apparaît comme propriétaire exclusif depuis le jour de l’acquisition ce qui exclut toute notion d’indivision.

19. Indivision et rétroactivité semblent difficilement conciliables. Cependant, en pratique des difficultés demeurent qu’il faut résoudre. Accepter les pleins effets de la rétroactivité de la condition devrait conduire, dans l’absolu, à devoir attendre la réalisation de la condition pour statuer sur les droits de chacun des tontiniers. Le juge ne peut retarder ainsi dans le temps la solution d’un litige dont il est saisi. Tant que les coacquéreurs sont en vie, « l’examen des faits révèle l’indéniable persistance d’une appropriation commune »26. Alors qu’elle persiste à considérer que la clause de tontine exclut toute indivision en propriété, la Cour de cassation reconnaît à chacun des tontiniers le droit de jouir indivisément du bien acquis avant la réalisation de la condition.

20. Dans plusieurs décisions27, la Cour de cassation rappelle que l’acquisition assortie d’une clause de tontine exclut toute indivision entre les tontiniers mais, reconnaît dans le même temps une forme d’indivision en jouissance sur le bien afin de régler les litiges opposant les tontiniers entre eux ou à leurs créanciers avant la réalisation de la condition. Même si dans chaque arrêt, la haute juridiction utilise des termes similaires afin d’exclure toute indivision préexistante entre les tontiniers, il est possible de noter une certaine évolution dans la position de la Cour suprême.

Ainsi, dans l’arrêt rendu le 9 février 199428, les hauts conseillers estiment que « tant que la condition ne s’est pas réalisée, les parties ont des droits concurrents qui emportent le droit pour chacune d’elles de jouir indivisément du bien, droit dont l’exercice peut être organisé par le juge ». L’emploi des termes « droits concurrents » ou de « jouir indivisément du bien » ne sont pas sans rappeler la situation des… indivisaires de droit commun ! Selon certains commentateurs29, cette décision serait le signe d’une « jurisprudence de transition ».

À propos d’un litige opposant un créancier à l’un des signataires d’un pacte tontinier, la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 novembre 199730, approuve la cour d’appel qui « a relevé que la condition suspensive de survie n’étant pas réalisée à la date de délivrance du commandement aux fins de saisie immobilière a décidé que le débiteur n’était pas titulaire d’un droit privatif de propriété sur le bien immobilier ou partie du bien, objet dudit commandement ». Indirectement, la Cour de cassation reconnaît ainsi qu’une propriété collective préexiste à la propriété privative qui n’apparaît qu’après le décès de l’un des tontiniers. Pour certains31, c’est le signe d’un revirement puisque la théorie classique considère, au contraire, que la propriété privative préexiste au décès du prémourant.

Par deux arrêts, l’un du 9 novembre 201132 et l’autre du 17 décembre 201333, la Cour de cassation accorde au tontinier privé de la jouissance du bien une indemnité d’occupation à hauteur de la moitié de la valeur locative, indemnité à la charge du tontinier ayant bénéficié d’une jouissance à titre exclusif de l’immeuble depuis la séparation du couple. Là encore, la haute juridiction évoque « des droits concurrents », termes en règle générale utilisés en matière d’indivision. L’arrêt de 2013 est même rendu au visa de l’article 815-9 du Code civil et « des règles régissant la clause d’accroissement ». Cependant, l’indivision à laquelle la Cour de cassation se réfère est une indivision de jouissance ; elle continue d’exclure toute indivision en propriété.

21. Ainsi, les parties à un pacte tontinier ne seraient pas en indivision en propriété car, en définitive, il n’y aura qu’un seul propriétaire, mais ces parties bénéficieraient d’un droit de jouissance indivis du bien pouvant prendre la forme d’une indemnité d’occupation au profit de celui qui est privé de la jouissance du bien. Une telle solution permet à la Cour de cassation de régler les désaccords survenant entre tontiniers, notamment en cas de séparation du couple mais ce raisonnement n’est pas satisfaisant. Plusieurs reproches peuvent lui être adressés.

22. En premier lieu, il semble difficile d’admettre que l’on puisse être propriétaire et titulaire d’un droit de jouissance sur un même bien. En effet, il n’est possible d’avoir un droit de jouissance que sur la chose d’autrui34. Dans le même ordre d’idées, il est inconcevable qu’une seule et même clause exclue l’indivision en propriété et permette une indivision en jouissance sur le même bien puisque le droit de jouissance est un attribut de la propriété35.

En deuxième lieu, le jeu de la condition permet de déterminer le propriétaire au moment du premier décès mais cela peut difficilement permettre de justifier la situation des tontiniers lorsqu’ils sont tous les deux en vie. Ainsi que le professeur Zenati36 l’a souligné, « on ne peut pas régir une situation actuelle par des effets futurs, fussent-ils certains et rétroactifs ». Il faut garder à l’esprit que la rétroactivité demeure une fiction. La réalisation de la condition permet de déterminer le propriétaire de l’immeuble mais elle ne peut permettre de déterminer le titulaire du droit de propriété pendente conditione, et ce d’autant plus qu’il peut arriver que la condition ne soit jamais accomplie, en cas de décès simultané des coacquéreurs, par exemple37. Dans ce cas, quel est le statut du bien lorsque les tontiniers sont vivants ? Est-ce à dire que le bien n’aurait pas de propriétaire avant la réalisation de la condition ?

En troisième lieu, il est infondé de prétendre que les parties à un pacte tontinier ne peuvent être en indivision en raison de l’existence d’une double condition assortissant leur droit de propriété. Si l’on se réfère à la théorie de la condition, ce qui est impossible, c’est que les deux droits (celui qui est suspendu et celui qui est menacé) sont en indivision. Rien n’empêche que seul le droit menacé fasse l’objet d’une indivision38.

En quatrième lieu, en admettant que le propriétaire du bien ne puisse être déterminé qu’au moment du premier décès, ce n’est qu’à ce moment (et non avant) qu’il est possible de savoir qui est censé avoir eu la jouissance du bien. Soit celui qui a joui du bien décède le premier et, par voie de conséquence, ce prémourant a occupé un bien ne lui appartenant pas. Dans ce cas, il est redevable d’une indemnité d’occupation qui, si elle n’a pas été déterminée avant, pèsera sur sa succession. Soit le tontinier qui a joui du bien est celui qui survit. Dans cette hypothèse, il n’a fait qu’occuper et jouir d’un bien dont il est propriétaire exclusif, et ce, depuis le jour de l’acquisition. À quel titre devrait-il payer une indemnité d’occupation ? Si une telle somme a été mise à sa charge, pourrait-il en réclamer le remboursement à la succession du tontinier prémourant ? Soit, enfin, le prémourant n’a pas joui du bien. Il est considéré comme n’en ayant jamais été propriétaire. S’il a bénéficié d’une indemnité d’occupation au titre de l’occupation à titre privatif de l’immeuble par l’autre tontinier, sa succession doit, en principe, la restituer. Cette solution apparaît particulièrement injuste pour les héritiers du tontinier prédécédé puisqu’ils sont non seulement privés de tout droit de propriété sur le bien mais l’éventuelle indemnité d’occupation perçue par leur auteur vient augmenter le passif successoral.

23. Considérer que toute indivision en propriété est exclue par la clause de tontine tout en accordant aux tontiniers le droit de jouir indivisément de la jouissance de ce même bien n’est pas satisfaisante. Il faut alors trouver un autre fondement au pacte tontinier afin de permettre le passage d’un droit de propriété indivis à une propriété exclusive sans encourir le risque de qualification de pacte sur succession future. Une première analyse réside dans la possibilité d’inclure la clause de tontine dans les statuts d’une société39. Une telle disposition permet, en effet, de remédier à certains inconvénients de la tontine dite « classique », en particulier quant à la gestion de l’immeuble.

Il est également possible, ainsi que le professeur Michel Grimaldi40 l’a suggéré, de tenter de concilier indivision et clause de tontine. Chacun des tontiniers achète la moitié du bien sous condition suspensive de sa survie et l’autre moitié sous conditions résolutoire de son prédécès. Au moment du premier décès, le tontinier survivant devient propriétaire de l’ensemble. Pendente conditione, il faut faire application de la règle selon laquelle les droits sous condition suspensive sont inexistants et ceux sous condition résolutoire sont purs et simples. Ainsi, on peut considérer que chacun est propriétaire de la moitié du bien. Cependant, si le prémourant dont le droit de propriété est rétroactivement anéanti a joui à titre privatif du bien ou si, à l’inverse, il a perçu une indemnité d’occupation, le tontinier survivant serait fondé à demander le paiement, ou le remboursement, d’une telle indemnité à sa succession.

24. Il n’existe qu’une seule solution rationnelle permettant tout à la fois de justifier le droit de jouissance indivis et chacun des tontiniers pendente conditione. Il faut revenir à la notion de clause d’accroissement et considérer que le mécanisme de la tontine repose sur une indivision en propriété avant de permettre une appropriation individuelle au moment du décès du premier des tontiniers. Une telle solution présente, en outre, le mérite d’être conforme à la volonté des parties41.

II – Le renouveau de la qualification de la clause de tontine

25. Plusieurs solutions ont été proposées pour résoudre la difficulté de consacrer la propriété privative du survivant sans nier l’appropriation commune antérieure et sans, non plus, encourir la nullité de la clause pour pacte sur succession future. Tel est le cas, par exemple de l’effet déclaratif du partage42.

26. Il semble que la solution la plus satisfaisante consiste à revenir à la notion de clause d’accroissement (A) en démontrant qu’une telle clause n’opère pas une mutation du droit de propriété mais une réelle augmentation d’un droit préexistant et qu’en reconnaissant une telle indivision antérieure à la réalisation de la condition, la situation des tontiniers pendente conditione trouve un fondement plus rationnel (B).

A – Le retour de la clause d’accroissement

27. La notion de propriété non perpétuelle selon laquelle, « au décès de l’un des acquéreurs, son droit de propriété cesse ce qui a pour conséquence de laisser l’autre droit libre de tout concours et d’en faire un droit de propriété exclusive »43 permet de définir ce que pourrait être l’accroissement en termes de droit de propriété. Les parties peuvent, en effet, convenir que la propriété s’éteindra à un moment déterminé ou tout au moins déterminable, le caractère perpétuel de la propriété n’étant pas d’ordre public. Le droit du prémourant s’éteint et vient augmenter les droits de l’indivisaire survivant. Il n’y a aucun transfert de propriété. Plusieurs personnes sont cotitulaires de droits de propriété sur le même bien, le droit de l’un d’eux s’éteint, les autres cotitulaires ont une part plus grande.

28. Les difficultés pour déterminer la situation des tontiniers pendente conditione trouvent leur origine dans l’analyse faite par la Cour de cassation de la clause d’accroissement en considérant qu’elle opérait une mutation de propriété44. C’est pour cette raison que la doctrine a proposé de modifier la rédaction de la clause afin qu’elle repose sur une double condition résolutoire et suspensive. Cependant, dans les deux cas, l’objectif poursuivi par les parties est le même : assurer au survivant un droit de propriété complet, à l’abri de toute critique de la part des héritiers du prémourant. La distinction entre les deux clauses peut paraître « artificielle »45.

29. La clause d’accroissement présente, cependant, un avantage par rapport à la clause conditionnelle puisqu’elle permet de reconnaître l’appropriation collective des tontiniers avant la réalisation de la condition. Elle n’a été écartée que, dans le seul but d’éviter le risque de nullité pour pacte de succession future prohibé. En réalité, l’accroissement ne traduit pas un transfert de propriété. Plutôt que de rivaliser d’imagination pour trouver une formulation permettant de valider la clause sans se référer à la notion d’accroissement, la doctrine aurait sans doute mieux fait de combattre la solution retenue par la Cour de cassation46.

30. En considérant que la clause d’accroissement entraînait un transfert de propriété du prémourant au survivant, la Cour de cassation a, certes, contenté l’administration fiscale mais au prix d’une erreur d’interprétation. Affirmer que l’accroissement opère un transfert de propriété est inexact, c’est même une « contre-vérité »47. Dans le cadre d’une indivision de droit commun, l’indivisaire a vocation à la totalité de la chose. Il n’a pas besoin d’acquérir un nouveau droit. Si l’un des coïndivisaires renonce à son droit, la part des autres est automatiquement augmentée. L’on ne considère pas qu’il y a un transfert de propriété entre les indivisaires.

31. Si l’on revient à la définition de l’accroissement, aux termes du vocabulaire juridique48, il s’agit d’une « forme d’accession naturelle, encore appelée atterrissement ou alluvion résultant d’un apport des terres d’une rivière ou d’un fleuve à un fonds riverain (C. civ., art. 556) » ou encore du « droit en vertu duquel les cohéritiers ou colégataires bénéficient de la part d’un ou de plusieurs cohéritiers ou colégataires renonçants ». Autrement-dit, il s’agit d’une augmentation d’un bien par génération spontanée sans acquisition externe. Lorsqu’un hériter renonce à sa part de succession (sans être représenté), sa part accroît celle de ses cohéritiers, il n’a jamais été soutenu que cet accroissement révélait une mutation de propriété entre l’héritier renonçant et son cohéritier. Il est possible de multiplier les exemples. L’article 1406 du Code civil vise également une hypothèse d’accroissement lorsqu’il qualifie de biens propres « les valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres ».

32. Appliqué à la tontine, le raisonnement doit être le même. Les tontiniers acquièrent ensemble un immeuble en l’assortissant d’une clause d’accroissement. Lors du décès du premier tontinier, sa part accroît celle de l’autre qui devient propriétaire exclusif sans qu’il y ait de transfert de propriété. S’il n’y a pas de transfert de propriété, il ne peut y avoir de pacte sur succession future prohibé.

33. Revenir à la qualification de clause d’accroissement plutôt qu’au droit de propriété conditionnel présente un certain nombre d’avantages non négligeables. L’un des principaux réside sans doute dans une meilleure détermination de la situation des tontiniers pendente conditione.

B – La situation des tontiniers

34. En qualifiant la clause insérée dans l’acte d’acquisition de clause d’accroissement plutôt que de clause conditionnelle, la situation des tontiniers apparaît plus rationnelle et il semble plus aisé d’établir les droits de chacun pendente conditione et au moment du premier décès. Pendente conditione, les coacquéreurs sont titulaires de droits concurrents sur le bien. Ils sont donc en situation d’indivision. Dans l’arrêt du 18 novembre 199749, la Cour de cassation l’avait d’ailleurs reconnu à demi-mot en se référant au droit privatif de propriété dont le tontinier ne peut être titulaire qu’au jour de la réalisation de la condition. A contrario, si pendente conditione, le coacquéreur n’a pas de droit privatif, on peut en déduire qu’il a un droit collectif, indivis, de propriété.

35. Reconnaître l’existence d’une appropriation antérieure commune entre les coacquéreurs permet de déterminer plus facilement les droits de chacun, en particulier en cas de séparation. En leur qualité d’indivisaires, chacun a le droit de jouir du bien. Si l’un des tontiniers bénéficie d’un droit de jouissance à titre privatif, il est redevable d’une indemnité d’occupation. Dans ses décisions de 2011 et de 201350, la Cour de cassation excluait toute indivision en propriété et accordait une indemnité d’occupation à hauteur de la moitié de la valeur locative du bien au profit du tontinier privé du droit de jouir du bien. La haute juridiction n’avait effectivement pas d’autre choix que de désigner l’autre tontinier comme bénéficiaire (et non pas l’indivision) puisqu’elle niait l’existence de l’indivision. Si l’on reconnaît que les tontiniers sont en situation d’indivision, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement : si l’un des indivisaires jouit à titre exclusif du bien, il est redevable d’une indemnité d’occupation qui doit correspondre à la valeur locative du bien (et non pas seulement à la moitié) au profit de l’indivision. Cette indemnité doit figurer à l’actif du compte d’indivision. L’existence de cette indemnité est justifiée par la situation des parties avant le premier décès et ne peut être remise en cause au moment du décès de l’un d’eux51.

36. Il reste à déterminer s’il s’agit d’une indivision de droit commun ou d’une indivision spécifique. Autrement-dit est-il possible, ou souhaitable, de soumettre les tontiniers à l’ensemble des règles relatives à l’indivision de droit commun ?

Si l’on se contente de qualifier la situation des tontiniers d’indivision uniquement en raison de leur appropriation commune préalable au décès de l’un d’eux, il est impossible de les soumettre à l’ensemble des règles de l’indivision légale. Certaines particularités demeurent. Il s’agirait « en quelque sorte d’une indivision sui generis »52. Cela permettrait d’expliquer que l’usage privatif du bien par un coacquéreur soit générateur d’une indemnité d’occupation, mais que l’une des parties ne puisse pas demander le partage du bien mis en tontine pas plus que son créancier personnel ne pourrait provoquer ce même partage au nom de son débiteur53.

Pour d’autres54, c’est la notion de propriété collective55 et le régime des quotes-parts qui justifierait que la situation des tontiniers ne relève pas de l’indivision légale. Dans certains cas, la quote-part détermine de manière stricte et définitive la vocation de son titulaire, catégorie dont relèverait l’indivision notamment. Dans d’autres cas, cette quote-part ne serait qu’une évaluation mathématique et temporaire des droits de chacun et qui aurait vocation à évoluer. On peut placer dans cette catégorie la renonciation d’un héritier dans une succession par exemple. Selon le professeur Libchaber, la tontine relève de cette dernière catégorie : les droits de chaque tontinier ayant vocation à évoluer en fonction des décès des prémourants. Ainsi, la tontine serait « une forme d’indivision qui n’est pas l’indivision légale : les copropriétaires ne disposent que de droits viagers destinés à s’éteindre pour reconstituer une propriété exclusive sur la tête du survivant ; tandis que dans l’indivision régie par la loi, ils sont véritablement titulaires de quotes-parts fixes traitées comme des objets de propriété intangibles »56.

37. À l’inverse, serait-il possible de soumettre les tontiniers au régime de l’indivision légale de droit commun ? Pendente conditione, les rapports des tontiniers entre eux et à l’égard de leurs créanciers relèveraient de l’indivision de droit commun. Tant que les tontiniers sont en vie, leurs rapports obéiraient au droit commun de l’indivision. Ainsi, il serait possible de permettre aux tontiniers de demander le partage afin d’éviter les situations de blocage en cas de mésentente du couple. Il serait également possible d’appliquer l’article 815-17 du Code civil au droit des créanciers. Les créanciers de l’indivision seraient autorisés à poursuivre la saisie et la vente du bien indivis et les créanciers personnels pourraient provoquer le partage au nom de leur débiteur57. Mais dans le cadre d’une clause d’accroissement, les parties conviennent, à l’avance, que leur droit sera éteint par leur prédécès et que leur part viendra accroître celle du survivant. Ils renoncent à solliciter le partage de manière définitive. Les tontiniers ne peuvent renoncer à ce droit que dans le cadre d’une convention d’indivision.

Or, selon les termes de l’article 1873-3 du Code civil relatif à la durée des conventions d’indivision, la durée est soit déterminée avec un maximum de cinq ans renouvelable par les parties ou par tacite reconduction, soit indéterminée. Dans le cas d’une convention à durée déterminée, le partage ne peut être demandé que pour de justes motifs alors que dans le cas d’une durée indéterminée, le principe du partage à tout moment est maintenu. Les parties à un pacte de tontine renonçant à demander le partage, il ne peut s’agir d’une convention à durée indéterminée. Il s’agit alors d’une convention à durée déterminée dont la durée ne peut en principe dépasser cinq ans. Il faut que les parties renouvellent leur accord tous les cinq ans soit qu’elles prévoient une tacite reconduction jusqu’au premier décès de l’une d’elles. Il n’y a pas dans ce cas d’indivision perpétuelle puisque les tontiniers déterminent eux-mêmes le cadre de l’indivision dans laquelle ils souhaitent se placer avec comme terme le premier décès de l’un d’eux58.

38. Quitte à renouveler la qualification et le régime de la clause de tontine, autant aller au bout du raisonnement et la soumettre au droit commun de l’indivision. Le principal obstacle à l’application du droit commun réside dans la durée de l’indivision. Cependant, cet obstacle peut être levé en considérant que l’accord des parties formalisé dans l’acte d’acquisition est une convention d’indivision dont la durée déterminée de cinq ans doit être soit renouvelée expressément, soit par tacite reconduction avec comme terme, le premier décès de l’une des parties. Ainsi, les règles de l’indivision légale s’appliqueraient, exception faite du droit de demander le partage auquel les parties renoncent dans le cadre de leur convention.

39. Au premier décès, les droits du prémourant sont éteints et viennent accroître la part du survivant. Il n’y a pas de pacte sur succession future puisqu’il n’y a pas transfert de droit mais simple augmentation de la vocation du survivant en raison du décès du prémourant. À compter de ce premier décès, le survivant devient seul propriétaire du bien sans évincer les règles de l’indivision qui s’avèrent très utiles pendente conditione pour régler les rapports des tontiniers entre eux.

40. En conclusion, il nous semble que privilégier le mécanisme de la clause d’accroissement à celui de la double condition résolutoire et suspensive pour qualifier le pacte tontinier s’avère plus satisfaisant. Cela permet de respecter la volonté des parties qui souhaitent acquérir ensemble et permettre au survivant de devenir seul propriétaire. Certes, comme précédemment, le bien échappe aux héritiers du prémourant mais cela résulte de la volonté des parties. Dès lors qu’elles ont été informées et conseillées quant aux conséquences de la clause d’accroissement, la décision leur appartient. Le principal avantage de la clause d’accroissement est de faire apparaître au grand jour la situation d’indivision qui existe entre les tontiniers avant la survenance du décès de l’un d’eux. Ainsi, leurs rapports sont plus aisés à définir, notamment en cas de désaccord ou de séparation.

Même si les notions de clause d’accroissement et de clause de tontine sont considérées comme synonymes, il sera peut-être utile de préférer dorénavant le terme de clause d’accroissement à celui de clause de tontine. Le renouveau et la nouvelle jeunesse de la clause tontinière passe par un retour aux sources en termes d’appellation mais aussi de régime. Le mécanisme de la double condition résolutoire et suspensive adopté pendant de nombreuses décennies a abouti à une impasse en voulant nier la situation de fait des tontiniers avant la réalisation de la condition. En revenant au mécanisme de l’accroissement qui n’opère pas de transfert de propriété, la situation des tontiniers est plus rationnelle et conforme à la réalité des faits : tant qu’ils sont tous les deux en vie, les tontiniers ont des droits indivis sur le bien.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cornu G., Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 9e éd, 2011, PUF, coll. Quadrige, v. « accroissement ».
  • 2.
    Sur l’origine de la clause, v. not. Dumortier B. H., « Recherche d’un nouveau fondement de la validité de la clause d’accroissement eu égard à la prohibition des pactes sur successions futures », RTD civ. 1987, p. 651.
  • 3.
    D. 1852, 1, p. 336.
  • 4.
    Cass. req., 24 janv. 1928 : D. 1928, I, p. 157, rapp. Cécile ; S. 1929, I, p. 137 note Vialleton H. ; RTD civ. 1928, p. 458, obs. Savatier R. ; Defrénois 1928, n° 21686 ; Rev. crit. legisl.et jur. 1929, p. 459, obs Trasbot A.
  • 5.
    Nast M., « De l’acquisition conjointe d’un immeuble avec clause d’accroissement au profit du survivant », Defrénois 1928, art. 21759.
  • 6.
    Savatier R., obs. préc., RTD civ. 1928, p. 458.
  • 7.
    Zenati F., obs. sous Cass. 1re civ., 9 févr. 1994 : RTD civ. 1995, p. 151.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 3 févr. 1959 : D. 1960, p. 592, note de La Marnierre E. S. ; JCP G 1960, II, 11823, note Voirin P.  ; RTD civ. 1960, p. 692, obs. Savatier R. ; Defrénois 1960, art. 27953 ; Journ. not. 1960, art. 46160, obs. Gouy C.
  • 9.
    Le terme de tontine fait référence à Lorenzo Tonti qui aurait été le premier à imaginer des groupements d’investisseurs constitués pour une durée déterminée et dans lesquels les cotisations étaient capitalisées afin qu’au terme prévu, les bénéfices soient répartis entre les seuls survivants. Les tontines financières sont aujourd’hui régies par les articles R. 322-139 et suivants du Code des assurances. Il est impossible d’assimiler ces tontines du droit des assurances à la clause insérée dans un acte d’acquisition. En effet, les tontines financières font appel à l’épargne publique et consistent à spéculer sur le décès d’autrui alors que dans le cadre d’une acquisition des liens étroits unissent les acquéreurs (rapports de couple ou de famille en général) et ont pour but de protéger le survivant. Sur cette question, v. not. Dumortier B. H., « Contrats aléatoires, clause d’accroissement ou de tontine insérée dans une acquisition en commun », JCl. Code, fasc. unique, app. art. 1964, n° 2.
  • 10.
    Cass 3e civ., 5 déc. 2012 : AJDI 2013, p. 628, obs. Delmotte A. ; RTD civ. 2013, p. 95, obs. Hauser J. ; Defrénois 30 juin 2013, n° 112y7, p. 663, obs. Dumortier B. H. ; RDC 2013, p. 994, obs. Bénabent A. ; RDC 2013, p. 945, obs. Latina M. ; RDC 2013, p. 1021, obs. Goldie-Genicon C. ; Contrats, conc. consom. 2013, comm. 48, note Leveneur L. ; LEDC févr. 2013, p. 2, obs. Pellet S. ; LEDIU févr. 2013, p. 7, obs. Lambert S. ; Mikalef-Toudic V., « La qualification de la clause de tontine », in Grandes décisions du droit des personnes et de la famille, Batteur A. (dir.), 2e éd, 2016, Lextenso, p. 585 et s.
  • 11.
    V. not., Dumortier B. H., art. préc., RTD civ. 1987, p. 651 et s., spèc. p. 657 ; Zénati F., obs. préc., RTD civ. 1995, p. 151.
  • 12.
    Zénati F., obs. préc., RTD civ. 1995, p. 152.
  • 13.
    Dumortier B. H., art. préc., RTD civ. 1987, p. 657.
  • 14.
    V. infra nos 20 et s.
  • 15.
    Sur cette nécessité, v. not. Dumortier B. H., art. préc., RTD civ. 1987, p. 651 et s ; Grimaldi M., obs. sous Cass. 1re civ., 9 févr. 1994 : D. 1995, Somm., Comm., p. 51.
  • 16.
    Dumortier B. H., art. préc., RTD civ. 1987, p. 664.
  • 17.
    V. supra n° 3.
  • 18.
    Sur l’emploi de ce terme, v. not. Dumortier B. H., art. préc., RTD civ. 1987, p. 658.
  • 19.
    Patarin J., obs. sous cass. Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, RTD civ. 1998, p. 432.
  • 20.
    Grimaldi C., « Mystérieuse tontine », in Mélanges en l’honneur du professeur G. Champenois, 2012, Defrénois, p. 417 et s.
  • 21.
    Not., Leblond N., obs. sous Cass. 1re civ., 9 nov. 2011 : Defrénois 15 avr. 2012, n° 40457, p. 343.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 8 janv. 2002 : Bull. civ. I, n° 3 ; JCP G 2002, II, 10036, note Chartier Y. ; RTD civ. 2002, p. 542, obs. Revet T.
  • 23.
    Nast M., art. préc., Defrénois 1928, art. 21759. Pour une même opinion, v. égal. Mazeaud J., « Les clauses d’accroissement ou de réversion et la jurisprudence de la Cour de cassation », Defrénois 1961, n° 28080 ; Nerson R, obs. sous Cass. ch. mixte, 27 nov. 1970 : RTD civ. 1971, p. 619 ; Morin G., « La clause d’accroissement », D. 1971, Chron., p. 55 ; Morin G., « Raison, problèmes et dangers des achats conjoints avec clause d’accroissement », Journ. not. 1971, art. 50109 ; Goulletquer P. et Talon D., « Réflexions impertinentes sur un contrat d’actualité : le pacte tontinaire », Gaz. Pal. Rec. 1981, 1, doctr. p. 318 : Larroumet C., obs. sous Cass. 1re civ., 11 janv. 1983 : D. 1983, Jur., p. 501.
  • 24.
    Certains des partisans de cette thèse évoquent une indivision qui ne serait qu’apparente (Nerson R., obs. préc., RTD civ. 1971, p. 622) ou « un état de fait » ressemblant à une indivision (Mazeaud J., art. préc., Defrénois 1961, art. 28080, n° 16).
  • 25.
    Voirin P., note préc., JCP G 1960, II, 11823 ; Zimmerman J., Des limites extra-légales à la prohibition des pactes sur succession future en droit français, thèse, 1935, Nancy, p. 298. V. égal. Dumortier H. B., art. préc., RTD civ. 1987, p. 661.
  • 26.
    Dumortier H. B., art. préc., RTD civ. 1987, p. 662.
  • 27.
    Cass. 1re civ., 27 mai 1986 : Bull. civ. I, n° 140 ; D. 1987, p. 139 note Morin G. ; JCP N 1987, 166, note Raffray J.-G. et Sénéchal M. ; JCP G 1987, II, 20763, note Dagot M., Defrénois 1987, n° 33888, note Morin G. ; Journ. not. 1987, p. 67 obs Poulnais M. – Cass. 1re civ., 9 févr. 1994 : D. 1994, p. 417, rapp. Thierry J. ; D. 1995, Somm., p. 51, obs. Grimaldi M. ; RTD civ. 1995, p. 151, obs. Zénati F., p. 159 ; RTD civ. 1995, p. 165, obs. Patarin J. – Cass. 1re civ., 18 nov. 1997 : Bull. civ. I, no 315 ; JCP G 1998, II, 10051, note du Rusquec E. ; JCP G. 1998, I, 171, spéc. no 10, obs. Périnet-Marquet H. ; JCP N 1998, 1498, étude Dumortier H. B. ; Defrénois 30 mars 1998, n° 36761, p. 377, note Mazeron H. ; RTD civ. 1998, p. 432, obs. Patarin J. ; RTD civ. 1998, p. 946, obs. Zenati F. – Cass. 1re civ., 9 nov. 2011 ; D. 2012, p. 971, obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; RTD civ. 2012, p. 95, obs. Hauser J. ; Defrénois 15 avr. 2012, n° 40457, p. 343, note Leblond N. ; Dr. famille 2012, comm. 10, obs. Beignier B. ; Dr. famille 2012, comm. 49, obs. Brun-Wauthier A.-S. ; JCP N 2012, 1123, note Leveneur L. ; Contrats, conc. consom. 2012, comm. 57, obs. Leveneur L. ; RDC 2012, p. 445, obs. Libchaber R. ; LPA 8 févr. 2013, p. 3, obs. Chamoulaud-Trapiers A. – Cass. 1re civ., 17 déc. 2013 ; D. 2014, p. 78 ; AJDI 2014, p. 807, obs. Cohet F. ; RTD civ. 2014, p. 407, obs. Dross W. ; JCP N 2014, 127, obs. Faucher A. ; RDC 2014, p. 425, note Pellet S.
  • 28.
    Cass. 1re civ., 9 févr. 1994, préc.
  • 29.
    Zénati F., obs préc., RTD civ. 1995, p. 151, spéc. p. 153.
  • 30.
    Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, préc.
  • 31.
    Dumortier H. B., étude préc., JCP N 1998, 1498.
  • 32.
    Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, préc.
  • 33.
    Cass. 1re civ, 17 déc. 2013, préc.
  • 34.
    V. en ce sens, Pellet S., obs. préc., RDC 2014, p. 425 ; Libchaber R., obs. préc., RDC 2012, p. 445 ; v. Dumortier H. B., préc., JCl. Code, fasc. unique, app. art. 1964, nos 28 et s.
  • 35.
    V. en ce sens Grimaldi M., obs. préc., D. 1995, Somm., Comm., p. 51.
  • 36.
    Zénati F., obs préc., RTD civ. 1995, p. 153.
  • 37.
    En ce sens, Larroumet C., note sous Cass. 1re civ., 11 janv. 1983 : D. 1983, Jur., p. 501.
  • 38.
    Zénati F., obs préc., RTD civ. 1995, p. 155.
  • 39.
    Sur cette question, v. not. Leroy M., « Observations sur les clauses de tontine insérées dans les statuts d’une société », Gaz. Pal. 23 févr. 2013, n° 119k8, p. 11.
  • 40.
    Grimaldi M., obs. préc., D. 1995, Somm., p. 51.
  • 41.
    En ce sens, v. not. Pellet S., obs préc., RDC 2014, p. 425.
  • 42.
    Dumortier H. B., art. préc., RTD civ. 1987, p. 657.
  • 43.
    Zénati F., obs préc., RTD civ. 1995, p. 154.
  • 44.
    V. supra n° 3.
  • 45.
    Larroumet C., note préc., D. 1983, Jur., p. 501.
  • 46.
    Ibid.
  • 47.
    Zénati F., obs préc., RTD civ. 1995, p. 154.
  • 48.
    Cornu G., op. cit., v. « accroissement ».
  • 49.
    Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, préc.
  • 50.
    Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, préc. ; Cass. 1re civ., 17 déc. 2013, préc.
  • 51.
    V. supra n° 22.
  • 52.
    Rubellin P., « Éclairage, la tontine infernale », BJE sept. 2012, p. 274.
  • 53.
    Il est en effet admis que le tontinier ne peut pas résilier son engagement de manière unilatérale. Le lien créé entre les tontiniers ne peut cesser que d’un commun accord des parties ou lors du décès de l’un d’eux.
  • 54.
    Libchaber R., obs. préc., RDC 2012, p. 445.
  • 55.
    Sur cette question, v. not. Duvert C., « La propriété collective », LPA 6 mai 2002, p. 4 ; Zénati-Castaing F., « La propriété collective existe-t-elle ? », in Mélanges G. Goubeaux, 2009, LGDJ-Dalloz, p. 589 ; Libchaber R., obs. préc., RDC 2012, p. 445. Libchaber R., « La recodification du droit des biens », in Le Code civil 1804-2004. Livre du Bicentenaire, 2004, Dalloz-Litec, p. 297 et s.
  • 56.
    Libchaber R., obs. préc., RDC 2012, p. 445.
  • 57.
    En ce sens, v. Pellet S., obs. préc., RDC 2014, p. 425, spèc. note n° 8.
  • 58.
    En ce sens, Zénati F., obs. préc., RTD civ. 1995, p. 155 et 156. L’auteur aboutit à la même conclusion en se référant à la solution jurisprudentielle selon laquelle il peut être dérogé à la règle de cinq ans dans des formes particulières d’indivision. En effet, la règle de la durée de cinq ans vise à empêcher la création de biens de mainmorte ce qui n’est pas le cas de la clause d’accroissement qui ne rend le bien indisponible que jusqu’au premier décès de l’une des parties.
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