Convention d’honoraires et aide juridictionnelle : gare à l’invalidité !

Publié le 07/06/2023

Un avocat a du rembourser les honoraires versés par son client, malgré l’existence d’une convention d’honoraires, après que celui-ci a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Me Patrick Lingibé analyse les leçons à tirer de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 mai dernier (consultable en intégralité en bas de l’article) qui a confirmé l’obligation de rembourser. 

Convention d’honoraires et aide juridictionnelle : gare à l’invalidité !
Photo : ©AdobeStock/Medienzunft Berlin

Monsieur P. a effectué le 20 novembre 2019 une demande d’aide juridictionnelle.

Le 23 décembre 2019, une convention d’honoraires a été établie entre les parties, laquelle stipulait notamment que le client« déclare que ses ressources et/ou son patrimoine l’excluent du bénéfice du mécanisme de l’aide juridictionnelle ou qu’ilentend expressément renoncer […] à solliciter le bénéfice de cette aide ».

Le 17 février 2020, l’aide juridictionnelle a été accordée à Monsieur P.

Suite à cette aide juridictionnelle, Monsieur P. a obtenu par ordonnance rendue le 30 juin 2021 de la première présidente de la cour d’appel d’Orléans que Maître D., avocat, rembourse la somme de 1 500 euros TTC perçue au titre d’honoraires facturés.

Maître D. a formé un pourvoi contre l’ordonnance.

Par arrêt rendu le 25 mai 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et validé l’ordonnance déférée.

C’est l’occasion de rappeler le cadre juridique dans lequel évolue l’avocat et d’aborder les dispositions qui s’appliquent en cas d’aide juridictionnelle.

I – Avocat-Client : une relation consumériste

Dans son pourvoi, Maître D. a soulevé un moyen unique fondé sur trois arguments qu’il est intéressant de rappeler.

En premier lieu, il soutenait que la renonciation expresse au bénéfice de l’aide juridictionnelle emporte le droit pour l’avocat d’obtenir le paiement de ses honoraires.

L’ordonnance querellée constatait que le client avait conclu, le 23 décembre 2019, une convention d’honoraires avec son conseil stipulant qu’il déclarait être exclu du mécanisme de l’aide juridictionnelle ou entendait expressément renoncer à en solliciter le bénéfice, stipulation insérée postérieurement à la demande d’aide juridictionnelle datée du 20 novembre 2019.

Qu’en déniant l’applicabilité de cette clause de renonciation au motif inopérant que l’exercice, en cours de procédure, de la liberté de choix de son avocat par le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle n’emporte pas renonciation rétroactive à cette aide, quand elle avait relevé l’existence d’une renonciation expresse et rétroactive du client à sa demande d’aide juridictionnelle n’emporte pas renonciation rétroactive à cette aide, quand elle avait relevé l’existence d’une renonciation expresse et rétroactive du client à sa demande d’aide juridictionnelle, la juridiction du premier président n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l’article 32 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article 1103 du code civil ;

En deuxième lieu, en présence d’une renonciation expresse du client au bénéfice de l’aide juridictionnelle, l’avocat a droit au paiement de l’intégralité des honoraires convenus, peu important que ses diligences aient été accomplies avant ou après la demande d’aide juridictionnelle.

Que sur ce point, l’ordonnance attaquée a constaté que, dans une convention intervenue postérieurement à la demande d’aide juridictionnelle, le client avait expressément renoncé au bénéfice de cette aide.

Qu’en condamnant ainsi Maître D. à rembourser le client du chef d’honoraires indûment perçus prétexte pris que les diligences de l’exposant avaient été exécutées postérieurement à la demande d’aide juridictionnelle, la juridiction du premier président avait violé ensemble les articles 32 de la loi du 10 juillet 1991 et 1103 du code civil ;

Enfin en troisième lieu, la règle selon laquelle l’avocat ne peut réclamer au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale que la rémunération des diligences qu’il a accomplies avant la demande d’aide, à l’exclusion de celles faites postérieurement, ne s’applique que s’il est établi que l’avocat en charge du dossier a été informé d’une telle demande.

En l’espèce, l’ordonnance attaquée a constaté que l’exposant avait objecté n’avoir jamais été informé de la demande d’aide étatique formée par son client avant que celui-ci n’y renonce expressément.

Cette argumentation conduisait Maître D. à soutenir que la juridiction du premier président n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l’article 32 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article 1103 du Code civil.

Elle n’a pas convaincu la Cour de cassation.

En effet, il convient de rappeler que la relation liant l’avocat à son client est de nature consumériste

L’avocat est un prestataire de service juridique et se trouve donc soumis aux exigences et rigueurs du Code de la consommation.

Il s’évince que la convention d’honoraires qu’il conclut sur la base des dispositions législative et réglementaire propres à la profession d’avocat doit également respecter certaines dispositions impératives du Code de la consommation.

La convention d’honoraires soumise par un avocat à son client qui en accepte les termes, constitue la loi entre les parties signataires suivant le principe rappelé par les dispositions de l’article 1103 du Code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. ».

Cependant, cette loi contractualisée entre les parties ne fait pas obstacle à l’intervention du juge de l’honoraire qui exerce un pouvoir de modération en vue de protéger le consommateur client de l’avocat.

Ainsi, par arrêt rendu le 21 janvier 2010, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé « Mais attendu que l’existence d’une convention entre l’avocat et son client ne fait pas obstacle au pouvoir du juge, statuant sur une contestation en matière d’honoraires, de réduire les honoraires convenus lorsque ceux-ci apparaissent exagérés au regard du service rendu ; Et attendu qu’ayant fait ressortir le caractère exagéré des temps mentionnés sur les notes d’honoraires alors que le travail de l’avocat n’avait été que préparatoire à la défense de la commune, le premier président, qui n’était pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et n’avait pas à effectuer d’autres recherches, faisant état des critères déterminants de son estimation, a souverainement apprécié le montant des honoraires dus par la commune ;» (Cass. 2ème civile, 21 janvier 2010, n° 06-17.179).

La contestation de l’honoraire organisé par l’article 174 précité conduit nécessairement le juge de l’honoraire, en l’espèce le bâtonnier en première instance et le premier président en appel, à procéder à une analyse de la convention d’honoraires litigieuse et donc nécessairement de la validité de certaines clauses qui y figurent, pour pouvoir statuer in fine sur la rémunération de l’avocat. Ainsi, la Cour de cassation a approuvé un premier président d’avoir prononcé la nullité d’une convention d’honoraires en raison de l’honoraire de diligence qui revêtait en l’espèce un « caractère manifestement dérisoire par comparaison avec l’honoraire de résultat » (Cass. 2ème civile, 10 novembre 2021, n° 19-26.183).

Il en a été de même dans une décision rendue le 27 octobre 2022 que nous avons commentée (Avocats : le contrôle des clauses abusives d’une convention d’honoraires, Patrick Lingibé, Actu-Juridique.fr du 31 octobre 2022).

La protection du consommateur devient encore plus forte lorsqu’il s’agit d’une personne bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.

II – Aide juridictionnelle : attention au bénéficiaire putatif

Pour rappel, l’aide juridictionnelle est accordée en application de l’article 2 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée aux « personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice (…) ».

L’octroi de cette aide dépend des ressources de la personne qui la demande.

Dans une procédure traditionnelle, sur la base d’un dossier qu’elle présente avec les pièces justificatives, le bureau d’aide juridictionnelle accorde l’aide juridictionnelle qui peut être totale ou partielle.

Une fois l’aide juridictionnelle totale accordée, l’avocat ne peut demander à son bénéficiaire une somme pour ses prestations.

Dans le cas de l’affaire soumise à la Cour de cassation, l’aide juridictionnelle avait été accordée au client de Maître D. après la signature de la convention d’honoraires qu’il avait fait signer à Monsieur P.

Le contenu de la clause de renoncement contenue dans cette convention d’honoraires ne souffrait pas d’ambiguïté puisque le client excluait tout recours à l’aide juridictionnelle.

Nous relevons que la convention d’honoraires a été signée le 23 décembre 2019 et que la décision d’octroi de l’aide juridictionnelle date du 17 février 2020, soit 56 jours d’écart.

Un justiciable-client peut-il renoncer volontairement à l’aide juridictionnelle alors qu’il y a droit ?

L’avocat qui le reçoit ne doit-il pas inciter cette personne à solliciter l’aide juridictionnelle au regard de sa situation pécuniaire ?

La réponse de la Cour de cassation invite l’avocat à méditer sur des deux questions.

Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence du juge communautaire et du juge national qui vise avant tout à protéger le client consommateur de l’avocat, qui se trouve pour elle dans un rapport déséquilibré avec l’avocat.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi et valide la décision rendue par la première présidente de la cour d’appel d’Orléans :

« Après avoir constaté que l’aide juridictionnelle avait été accordée à M. [P] postérieurement à la convention qui stipulait qu’il entendait expressément y renoncer, le premier président en a exactement déduit que cette convention était privée d’effets et que M. [D] ne pouvait, en l’absence de renonciation rétroactive du client au bénéfice de l’aide juridictionnelle ou de décision de retrait de celle-ci, lui réclamer une quelconque rémunération au titre des diligences accomplies après la demande d’aide juridictionnelle, peu important que son client ne l’ait pas informé de cette demande.

Il s’en déduit que pour que l’avocat puisse obtenir le paiement de ses honoraires, il aurait fallu :

*Soit que Monsieur P. renonçât rétroactivement volontairement au bénéfice de l’aide juridictionnelle, ce qui visiblement n’était pas le cas puisqu’il avait saisi le bâtonnier pour obtenir le remboursement des honoraires réglés antérieurement.

*Soit que le bureau d’aide juridictionnelle prenne une décision de retrait de cette aide juridictionnelle, encore fallut-il le saisir à cet effet avec un résultat incertain.

Il convient de rappeler ci-dessous pour information les articles 50 et 50-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l’aide juridique qui ont trait au retrait de l’aide juridictionnelle :

Article 50 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée :

« Sans préjudice des sanctions prévues à l’article 441-7 du Code pénal, le bénéfice de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention de l’avocat est retiré, en tout ou partie, même après l’instance ou l’accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé, dans les cas suivants :

 1° Si ce bénéfice a été obtenu à la suite de déclarations ou au vu de pièces inexactes ;

 2° S’il survient au bénéficiaire, pendant cette instance ou l’accomplissement de ces actes, des ressources telles que si elles avaient existé au jour de la demande d’aide juridictionnelle ou d’aide à l’intervention de l’avocat, celle-ci n’aurait pas été accordée ;

 3° Lorsque la décision passée en force de chose jugée a procuré au bénéficiaire des ressources excédant les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle ;

 4° Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention de l’avocat a été jugée dilatoire, abusive, ou manifestement irrecevable ;

 5° Lorsque les éléments extérieurs du train de vie du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention de l’avocat apparaissent manifestement incompatibles avec le montant des ressources annuelles pris en compte pour apprécier son éligibilité. »

Article 51 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée :

 « Le retrait de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention de l’avocat peut intervenir jusqu’à quatre ans après la fin de l’instance ou de la mesure. Il peut être demandé par tout intéressé. Il peut également intervenir d’office. »

Il convient de rappeler les dispositions de l’article 71 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique qui se rapporte au retrait de l’aide juridictionnelle :

 « Le retrait de l’aide juridictionnelle est décidé par le bureau ou la section du bureau qui a prononcé l’admission soit d’office, soit à la demande de la juridiction qui a eu à connaître de l’affaire, de tout intéressé ou du ministère public.

 La demande est adressée au président du bureau qui a accordé l’aide juridictionnelle. »

Cet arrêt de la Cour de cassation invite donc les avocats à un devoir de vigilance dans les conventions d’honoraires qu’ils font signer à des clients qui sont en situation de difficulté et relèveraient à l’évidence de l’aide juridictionnelle.

Sur ce point, une clause expresse de renonciation à l’aide juridictionnelle n’aura aucune pertinence si la situation du bénéficiaire lui permettait ab initio de bénéficier de l’aide juridictionnelle et si surtout il obtient par la suite ladite aide.

Dans une telle situation, l’avocat risque de se retrouver à rembourser les honoraires perçus au titre de sa convention d’honoraires qui sera anéantie par la décision postérieure d’octroi d’aide juridictionnelle à son client initialement payant.

Du côté des juges de l’honoraire que sont les bâtonniers en première instance, cette décision arrêt invite au devoir de contrôle sur la validité de la convention d’honoraires lorsqu’une décision d’aide juridictionnelle intervient postérieurement à la signature de cette convention, laquelle perd donc ses effets juridiques par voie de conséquence.

pourvoi_n°21-21.523_25_05_2023

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