Covid-19 : « On tire la sonnette d’alarme »

Publié le 22/04/2020

Interlocuteurs privilégiés des petites entreprises, les experts-comptables se mobilisent pour sensibiliser le gouvernement aux difficultés de leurs clients. Charles-René Tandé, président de l’Ordre des experts-comptables, est revenu pour les Petites Affiches sur la mission de sa profession pendant le confinement.

Les Petites Affiches : Comment travaillez-vous en ce moment ?

Charles-René Tandé : Nous sommes autorisés à poursuivre notre activité, à condition de mettre en place des règles de sécurité et de favoriser le télétravail. Celui-ci était pratiqué avant la crise mais a largement été accru depuis le début du confinement. Nous sommes équipés d’ordinateurs portables et pouvons travailler à distance. Les entretiens se font par téléphone ou visioconférence. Seulement, cela dépend aussi de nos clients, car nous devons être en possession de leurs documents comptables. Tous n’ont pas la possibilité de les scanner. Certains cabinets restent ouverts, avec un collaborateur maximum par bureau. Les clients peuvent passer déposer des dossiers en respectant les distances et les gestes barrière. Certains collaborateurs mettent les documents de côté pendant 48 heures pour les décontaminer.

LPA : En quoi consiste votre activité ?

Charles-René Tandé : Nous avons traversé plusieurs phases. Dans un premier temps, avec les fermetures immédiates, nous avons surtout travaillé à la mise en place de l’activité partielle. Nous n’avons pas fini de déposer des dossiers, et avons obtenu de pouvoir déposer des dossiers jusqu’au 30 avril. Aujourd’hui, nous sommes très mobilisés sur les questions de financement et de trésorerie. Il s’agit de savoir s’ils sont éligibles aux aides du fonds de soutien, et de les pousser à demander les prêts garantis par l’État. Nous les incitons aussi à continuer de payer leurs fournisseurs. Certains sont tentés de retarder ces paiements pour ménager leur trésorerie. S’ils agissaient aussi, il y aurait un effet domino catastrophique pour l’économie.

LPA : Les chefs d’entreprise n’ont pas assez recours à l’emprunt ?

Charles-René Tandé : Ils essaient de se passer de l’emprunt car ils craignent d’accumuler trop d’endettements. Ils ont peur de ne plus être en capacité de rembourser. Le paiement des charges sociales a été reporté, et parfois aussi l’impôt sur les sociétés. Ce sont des décalages de trésorerie. Dans 3 mois, il faudra payer ! Nous les incitons à demander des crédits, quitte à ce qu’ils les remboursent s’ils n’en ont pas besoin. Nous les engageons à avoir de la trésorerie devant eux car on ne connaît pas la durée de la crise. Nous ne connaissons ni la date de fin du confinement, ni la vitesse à laquelle l’économie va reprendre. En attendant, il suffit qu’un client ne règle pas – et cela arrive en ce moment – pour qu’ils se retrouvent en cessation de paiement.

LPA : Quel est le rôle de votre profession en ces temps de crise ?

Charles-René Tandé : Nous avons d’abord évidemment un rôle d’accompagnement des dirigeants sur la poursuite de leur activité pendant et surtout après la crise. Cependant, ce qui m’importe surtout en ce moment est que l’on puisse faire remonter au gouvernement ce que nous constatons sur le terrain. Nous sommes au contact de plus de 2 500 000 petites entreprises. Nous sommes un relais entre le ministère du Travail et les entreprises. Nos retours aident le gouvernement à adapter les dispositifs. Ils le font régulièrement et les mesures ont beaucoup évolué depuis le début de la crise.

LPA : Pouvez-vous me présenter le dispositif SOS Entreprises ?

Charles-René Tandé : Nous avons créé une base d’information pour les experts-comptables et les collaborateurs de cabinet qui se posent des questions quant à la mise en place des dispositifs annoncés par le gouvernement. Nous avons également mis en place une hotline à destination des chefs d’entreprise qui n’ont pas d’expert-comptable et avons répondu à plus de 4 000 questions. Nous avons, enfin, mis en place un dispositif SOS Cabinet pour répondre aux cabinets en difficulté. Les experts-comptables sont eux aussi éprouvés par la crise. Certains ont des personnes infectées par le Covid dans leurs équipes, d’autres sont peu outillés pour le télétravail, d’autres encore sont situés dans des zones où la connexion internet est difficile. Il faut faire appel à la solidarité interprofessionnelle pour assurer une continuité de service. C’est important pour que les salariés continuent à être payés. Nous assurons chaque mois 7 millions de bulletins de salaire.

LPA : Que vous disent les chefs des petites entreprises ?

Charles-René Tandé : En ce qui concerne l’indemnité de 1 500 euros pour les indépendants, les critères retenus sont assez restrictifs et ne permettent pas à tous d’en bénéficier. Et quand bien même s’ils sont éligibles, la somme est très faible pour couvrir les frais fixes de l’entreprise. Sans compter la rémunération du dirigeant qui ne peut prétendre au chômage partiel et voit ses revenus ramenés à zéro. Les entreprises un peu fragiles se voient par ailleurs refuser les prêts garantis par l’État à hauteur de 90 %. Les banquiers les accordent aux entreprises en bonne santé, mais pas assez à celles qui sont juste à l’équilibre. Nombre d’entreprises hésitent à arrêter leur activité car vont bientôt être en état de cessation de paiement. Celles-ci ne survivront pas s’il n’y a pas un rapide apport en trésorerie et que le confinement dure encore plusieurs semaines.

LPA : Quels sont les secteurs les plus touchés ?

Charles-René Tandé : Les entreprises qui ont dû fermer dès le 12 mars sont en difficulté, mais elles ont en général bénéficié rapidement de l’activité partielle. Je m’inquiète particulièrement pour le BTP, secteur qui s’est arrêté sans en avoir eu l’obligation. Avec tous les sous-traitants, c’est un pôle très important de l’économie française et il est quasiment à l’arrêt.

LPA : Les mesures gouvernementales sont-elles adaptées à la situation ?

Charles-René Tandé : Le gouvernement a très vite décidé de décaler les charges sociales et les impôts sur les sociétés, et de mettre en place des prêts garantis par l’État. Cette réponse a été à la fois rapide et appropriée. Seulement, la mise en œuvre des dispositifs prend du temps. On tire la sonnette d’alarme, car pour certaines entreprises, c’est une question de jours. Cela va être très difficile de payer les salaires d’avril. S’il n’y a pas d’apport en trésorerie d’ici la fin du mois si les questions sur l’activité partielle ne sont pas résolues elles ne passeront pas le cap.

LPA : Que préconisez-vous ?

Charles-René Tandé : Nous demandons que soient très vite et de manière presque automatique débloquée des fonds pour les petites entreprises. Il faudrait qu’à partir du moment où un expert-comptable a vérifié les comptes et certifié de la viabilité d’une entreprise, celles-ci puissent bénéficier de 50 000 ou 100 000 euros sous 48 heures. Cela ne serait pas un coût très fort pour l’État car ces entreprises rembourseraient ensuite ces sommes.

LPA : Vous avez également plaidé pour que les chefs entreprises puissent continuer de verser des dividendes. Pour quelles raisons ?

Charles-René Tandé : Les chefs d’entreprise doivent emprunter pour acheter les titres d’une société. Les dividendes couvrent souvent le montant des emprunts. Beaucoup de chefs d’entreprise ne se versent pas de salaires et se rémunèrent par les dividendes. Nous considérions donc qu’une interdiction de verser des dividendes pourrait mettre des petites structures en difficulté. Maintenant que cette interdiction ne concerne plus que les entreprises réalisant plus d’1,5 milliard de chiffre d’affaires et employant plus de 5 000 salariés, cela n’est plus une question.

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