De l’obligation de conseil de l’architecte et du bureau d’études
La Cour de cassation adopte une position sévère en optant pour une obligation de conseil étendue du maître d’œuvre et du bureau d’études.
Même en l’absence d’informations pourtant connues du maître d’ouvrage, la responsabilité de l’architecte et du bureau d’études a ainsi été retenue.
Cass. 3e civ., 2 juin 2016, no 15-16981, PB
Pèse sur l’architecte une obligation de renseignement et de conseil qui résulte « de la loi, des usages et de l’équité »1.
Il résulte de la jurisprudence, abondante en la matière, que le devoir de conseil du maître d’œuvre est étendu.
Dans cet arrêt récent, la Cour de cassation a retenu, dans le cadre de la construction d’un hall d’exposition, la responsabilité de l’architecte chargé de la maîtrise d’œuvre de conception et du bureau d’études qui s’était vu confier une mission d’études techniques et de direction des travaux, les condamnant chacun pour moitié à l’indemnisation du maître d’ouvrage.
Deux ans après la réception – avec réserves – le maître d’ouvrage déclare deux sinistres auprès de son assureur dommages ouvrage : l’un concernant l’insuffisance de résistance des dalles en bois recouvrant les caniveaux sur lesquels circulent des engins de levage et le second relatif à la résistance de la dalle bétonnée dudit hall.
L’assureur dommages ouvrage dénie sa garantie au motif d’une utilisation non conforme du hall d’exposition aux pièces écrites du marché.
Outre l’assureur dommages ouvrage, le maître d’ouvrage assigne l’architecte et le bureau d’études ainsi que leurs assureurs respectifs.
La cour d’appel condamne l’architecte et le bureau d’études – et leurs assureurs – in solidum au paiement de dommages et intérêts, au motif d’un manquement à leur obligation de conseil. Il leur est reproché de n’avoir pas donné au maître d’ouvrage des conseils adaptés portant notamment sur la circulation d’engins à l’intérieur du hall et le déplacement de charges lourdes alors même que le maître d’ouvrage ne les en avait pas informés.
Ils forment un pourvoi alléguant que l’obligation de conseil du maître d’œuvre ne portait pas sur des faits connus ou devant l’être par son cocontractant alors qu’en l’espèce, le maître d’ouvrage, professionnel de locaux destinés à l’évènementiel, n’avait pas informé le maître d’œuvre de la nécessité de réaliser un ouvrage devant supporter la circulation de charges roulantes lourdes.
Rejetant tout manquement à son obligation de conseil, l’architecte considérait qu’il n’avait en tout état de cause pas à supporter une part de responsabilité – et donc des condamnations – dès lors que le bureau d’études était en charge de la conception des sols.
La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que l’architecte et le bureau d’études auraient dû se préoccuper du mode d’exploitation de l’ouvrage et de la « question des charges roulantes » compte tenu notamment de la surface importante du hall d’exposition. Elle confirme en conséquence le manquement de l’architecte et du bureau d’études à leur obligation de conseil.
Concernant l’exonération de responsabilité invoquée par l’architecte, la Cour de cassation relève la faute de celui-ci qui n’avait pas informé le bureau d’études sur l’utilisation concrète du bâtiment à édifier, ce qui aurait notamment permis la rédaction d’un CCTP mieux adapté.
Édictant un « devoir de collaboration » de l’architecte et du bureau d’études, elle conclut à leur condamnation pour moitié, compte tenu de leurs fautes respectives.
La responsabilité de l’architecte avait d’ores et déjà été retenue du fait d’un manquement à l’obligation de se renseigner sur la finalité des travaux2.
La solution retenue en l’espèce par la Cour de cassation est sévère à double titre.
D’une part, le maître d’ouvrage, pourtant professionnel pour les locaux destinés à l’évènementiel, n’avait pas informé l’architecte et le bureau d’études de la circulation et du déplacement d’engins lourds.
D’autre part, alors que le bureau d’études était spécifiquement en charge de la conception des sols et que sa part de responsabilité aurait pu légitimement être plus importante, la condamnation par moitié entre l’architecte et le bureau d’études apparaît comme une solution de « facilité » adoptée par la Cour de cassation.