Exclusion légale de garantie en raison du caractère délibéré du manquement de l’architecte. La troisième chambre civile de la Cour de cassation fait un pas vers la faute dolosive ?
La troisième chambre civile de la Cour de cassation paraît faire un pas vers la faute dolosive, dans un certain contexte. En faisant ressortir le caractère délibéré du manquement de l’architecte à ses obligations et en retenant que la démolition des travaux réalisés était la conséquence de l’illégalité de ceux-ci, contraires au permis de construire, la cour d’appel a pu en déduire, sans retenir la faute intentionnelle du maître d’œuvre, qu’un tel comportement avait supprimé l’aléa inhérent au contrat d’assurance. L’exclusion légale de l’article L. 113-1 du Code des assurances pouvait donc être opposée par l’assureur.
Cass. 3e civ., 10 juin 2021, no 20-10774
Ouverture prudente, premier pas, hésitation ou affaire singulière ? Par un arrêt inédit1, la troisième chambre civile de la Cour de cassation revient sur l’exclusion légale de garantie de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances2. Son interprétation dépendra souvent du parti pris au sujet de l’autonomie de la faute dolosive consacrée clairement par la deuxième chambre civile de la juridiction3, en répétition d’une position adoptée depuis quelques années4. Jusqu’à présent, la troisième chambre civile avait plutôt préféré l’assimilation des fautes5, retenant classiquement que la faute intentionnelle ou dolosive doit avoir causé le sinistre tel qu’il est survenu6. Le questionnement renaît avec l’affaire commentée7.
En l’espèce, les acquéreurs d’un immeuble ont confié à une société d’architectes la maîtrise d’œuvre de la construction d’une maison. Depuis sa liquidation judiciaire, cette société, qui était assurée auprès de la société Mutuelle des Architectes Français (MAF), a été représentée en justice par son liquidateur judiciaire. En effet, elle a été assignée par les acquéreurs sur le fondement de l’ancien article 1147 du Code civil (devenu après l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1231-1). Ils ont invoqué le non-respect du permis de construire par la société d’architectes et l’obligation de démolir les travaux exécutés, leur causant préjudice. Envisageons successivement la faute de la victime (I) et l’appréhension de l’exclusion légale de garantie (II).
I – Faute de la victime
Examinant le premier moyen du pourvoi principal, la Cour de cassation s’est prononcée sur la limitation du droit à indemnisation des acquéreurs à hauteur de la moitié du dommage en raison de leur faute. Elle a ainsi approuvé l’arrêt infirmatif du 5 décembre 2019 de la cour d’appel de Rennes. On ne s’attardera pas outre mesure sur ce partage de responsabilité, la décision rappelant classiquement que les juges du second degré ont souverainement apprécié la proportion des fautes respectives menant à la répartition opérée. Néanmoins, l’exposition du contexte factuel présente un intérêt, ensuite, pour les aspects assurantiels.
En réponse à la critique8, l’arrêt d’appel motivé est conforté. Il est jugé que la « cour d’appel a constaté que les maîtres de l’ouvrage, auxquels avait été refusé un premier permis de construire, au motif que la démolition envisagée des murs de la longère aboutirait à une construction nouvelle, prohibée par les documents d’urbanisme au regard du classement de la parcelle en zone N – la zone naturelle du plan local d’urbanisme (PLU) désignant les secteurs naturels et forestiers d’une commune –, et qui connaissaient la nature des difficultés soulevées par le projet, avaient signé le devis de l’entreprise prévoyant la démolition des murs en terre de ce bâtiment, que le permis de construire délivré n’autorisait pas ». Le passage en force, en toute connaissance de cause, est sanctionné par la contribution à la naissance du dommage dont la réparation a été sollicitée.
La Cour poursuit en insistant sur la qualité de l’un des maîtres de l’ouvrage – homme de loi – lui donnant compétence pour se livrer à une appréciation éclairée de la situation. Elle module en conséquence, comme à l’accoutumée, le devoir de conseil invoqué, au profit du professionnel. « Ayant relevé que le litige les opposant au maître d’œuvre ne portait pas sur des désordres constructifs mais sur le non-respect des prescriptions du permis qui les exposai[t] à un risque que [l’un des maîtres de l’ouvrage], en sa qualité d’avocat, était en mesure d’apprécier, et retenu à bon droit que le devoir de conseil du maître d’œuvre ne l’obligeait pas à rappeler au maître de l’ouvrage l’obligation de respecter les prescriptions d’une autorisation de construire, elle a pu en déduire, sans être tenu de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que le dommage résultait d’une volonté commune des maîtres de l’ouvrage et de l’architecte de s’affranchir des contraintes du permis de construire pour réaliser le projet initial », d’où l’étendue fixée du droit à indemnisation reconnu en présence d’une indéniable faute professionnelle qui ne s’efface pas.
Comment ne pas souscrire à une telle conclusion qui nous semble valoir indépendamment même des compétences de chacun ? Si un maître de l’ouvrage qui sait la nécessité d’un permis qu’il sollicite, va, en étant informé9, à son encontre par ses décisions et comportements, il sera malvenu à se plaindre que tout est de la faute d’autrui, sauf à consacrer la déresponsabilisation systématique par transfert sur autrui de la charge des conséquences de ses propres actes. L’inverse conduirait à accepter de donner effet à la mauvaise foi du maître de l’ouvrage – qui contamine l’autre maître de l’ouvrage avec qui il était lié, à supposer que ce dernier soit vraiment ignorant du contournement opéré, ce dont on peut sérieusement douter – de l’un agissant de concert avec l’autre, ici l’architecte !
Par rapprochement, la formule peut faire écho à celle en vertu de laquelle « l’obligation de répondre avec loyauté et sincérité aux questions posées par l’assureur à l’occasion de l’adhésion à une assurance relève de l’obligation de bonne foi qui s’impose en matière contractuelle, et que nul ne saurait voir sa responsabilité engagée pour n’avoir pas rappelé ce principe, ou les conséquences de sa transgression, à une autre partie »10. Ce point étant jugé, on en vient au droit des assurances ainsi éclairé par les éléments de contexte.
II – L’appréhension de l’exclusion légale de garantie
Identiques, le second moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, en ses deux premières branches, s’intéressent à l’exclusion légale de garantie. Tant les maîtres de l’ouvrage que le liquidateur judiciaire de la société d’architectes assurée critiquaient l’arrêt d’appel de juger l’assureur fondé « à opposer sa non-garantie du fait de l’absence d’aléa » afin de rejeter leurs demandes.
L’appréciation de la réponse faite impose de rappeler l’argumentation du moyen rejeté exprimée en deux branches. Avec la première, on se situe sur le terrain classique de la faute intentionnelle dite subjective car il est reproché à la cour d’appel de n’avoir pas caractérisé « la volonté de l’architecte de causer le dommage tel qu’il était survenu » – rappel d’une jurisprudence bien connue, appliquée jusque-là par la troisième chambre civile. Une telle conception est consacrée, y compris lorsque la deuxième chambre civile se prononce sur la faute intentionnelle non encore totalement bannie.
Il est défendu que « la faute intentionnelle de l’assuré, excluant la garantie de l’assureur, implique la volonté de créer le dommage et non pas seulement d’en créer le risque ». Il ne suffit pas d’un comportement particulièrement osé, conduisant probablement à une conséquence envisageable, puisqu’il faut spécifiquement vouloir celle-ci. Là encore, dans la conception traditionnelle de l’exclusion, la règle sur l’insuffisance de la création du risque est habituelle11. Sans dévier du résultat recherché sciemment, il convient de l’obtenir précisément par le comportement relevé – charge difficile de la preuve incombant à l’assureur. Or, en l’occurrence, l’assurée – au sens technique – de qui doit émaner la faute n’a pas agi dans le but préjudiciable qui est advenu au détriment des maîtres de l’ouvrage. Sur le terrain de la faute intentionnelle strictement entendue, la motivation de la cour d’appel ne pouvait passer le tamis du contrôle de cassation. Celui-ci existe, au moins avec une visée disciplinaire, même si la Cour rappelle, depuis 200012, que l’appréciation est souveraine, position ultérieurement précisée13. Il faut comprendre que les faits à partir desquels les juges déduisent l’exclusion sont appréciés souverainement ; en revanche, leur qualification, à partir de ce constat, reste indéniablement soumise au contrôle.
Il demeure qu’est soutenue déjà la violation de l’article 1964 (ancien)14 du Code civil (relatif à la qualification de contrat aléatoire, tel le contrat d’assurance) et de l’article L. 113-1 du Code des assurances, grief répété ensuite. Si la référence au second, siège de l’exclusion légale en son alinéa 2, ne saurait surprendre, celle au texte (abrogé depuis) du Code civil nous semble déjà préparer, en complément de l’autre disposition, la transition avec l’autre pan de l’argumentation15, comme en atteste aussi le même passage de l’arrêt d’appel mis en exergue à chaque fois : « l’architecte16 ne pouvait ignorer qu’il existait un risque très élevé que la commune refuse toute régularisation avec pour conséquence inéluctable l’obligation de démolir l’ouvrage ».
En ce qui concerne la seconde branche, elle apparaît dans la continuité, mais comme une anticipation de la dualité possible de la faute intentionnelle et de la faute dolosive – un même effet conduisant à l’exclusion de la garantie erga omnes avec deux notions différentes17. Dans cette optique, il est ébauché une définition de la faute dolosive autonome, point qui fait débattre la doctrine : « la faute dolosive exclusive de garantie suppose que l’assuré ait conscience de l’apparition inéluctable d’un dommage futur » – l’adjectif est à relever. Il s’agit d’une conception qui laisse une place à une forme de subjectivité, même si elle se détache de la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu, puisqu’il suffit d’adopter un comportement (ou de se résigner à une abstention) qui a une très haute probabilité de faire advenir un dommage, sans que ce dernier soit exactement recherché. Tout du moins, on pourrait présumer que le dommage est quasiment voulu, puisqu’on ne peut lutter contre ce qui est inéluctable. On ne peut l’empêcher ou l’éviter. Le risque est très grand d’aboutir à un tel résultat, en choisissant telle attitude. On peut même estimer que tout assuré, placé dans les circonstances décrites, devrait savoir l’issue raisonnablement envisageable.
La « conscience » évoquée peut a priori traduire différentes choses – à défaut d’une précision prétorienne parfaitement explicite. On peut d’abord y voir une façon détournée de revenir à la faute intentionnelle classique, sous couvert de présentation de la faute dolosive. En admettant la consécration de l’autonomie de cette dernière, on peut ensuite considérer qu’une telle faute qualifiée suppose un minimum d’aptitude de son auteur du point de vue de ses facultés personnelles – qui, au moment de son comportement, ne saurait être privé de lucidité et de raison – à la différence de la faute simple qui ne nécessite ni imputabilité ni volonté dirigée, selon l’article 414-3 du Code civil. On peut encore se demander si cette conscience n’est pas la perception des suites possibles de son attitude que tout un chacun est susceptible d’avoir en étant placé dans des circonstances semblables. Enfin, cela pourrait être une combinaison de ces éléments, qui peuvent être liés les uns aux autres. Le pourvoi semble pencher pour cette approche lorsqu’il soutient pour bâtir sa critique (« cependant ») « que la conscience du risque de refus de régularisation, même élevé, ne suffisait pas à établir celle du caractère inéluctable de ce dommage futur ». Certains pourraient y déceler une connaissance des conséquences.
Dans ce contexte, la Cour de cassation se prononce – avec l’arrière-plan à ne pas occulter du partage de responsabilité décrit précédemment. Remarquons que la troisième chambre civile n’emploie pas ouvertement l’expression de faute dolosive, bien plus discrète que ne l’a été la cour d’appel dont le moyen annexé nous apprend qu’elle a jugé ainsi : « ce comportement caractérise une faute dolosive justifiant l’application de l’article L. 113-1 du Code des assurances en ce qu’elle a supprimé l’aléa inhérent au contrat d’assurance ». Relevons que pour expliquer le fondement technique de l’exclusion légale, il est généralement enseigné que la faute a pour effet de supprimer l’aléa au stade de l’exécution du contrat d’assurance – à ne pas confondre avec l’exigence d’aléa lors de la formation du contrat, pour sa validité même18. La référence au texte sur l’aléa et à son défaut sont, à eux seuls, impuissants à caractériser l’exclusion19.
Il est vrai que les motivations employées peuvent parfois créer une espèce de confusion. En l’occurrence, la Cour de cassation n’a pas repris dans sa décision certains des motifs d’appel instructifs quant à l’état d’esprit des juges, qui tranchent parfois moins avec un fondement rigoureux, du moins adapté, qu’avec une conviction habillée par une apparence technique20. Ainsi, a simplement été mise en avant l’absence d’aléa, entérinant la position de la MAF. On apprend que l’assureur déniait sa garantie « en raison de la disparition de l’aléa au sens de l’ancien article 1964 du Code civil », « à la date de déclaration du chantier, le 30 mars 2009, puisque, selon l’expert, c’est l’établissement du DCE21 en mars 2008 qui matérialise la volonté de l’architecte de ne pas respecter le permis de construire ». L’aléa à différentes étapes… semble-t-il. L’assureur soulignait (encore) « à cet effet le concert frauduleux entre l’architecte et les maîtres de l’ouvrage qui ne peuvent lui réclamer sa garantie en vertu du principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Il était défendu une analyse de l’exclusion qui « n’exige pas la volonté de commettre le dommage tel qu’il est survenu comme en matière de faute intentionnelle ». Pour infirmer le jugement et mettre l’assureur hors de cause, la cour d’appel a, elle, jugé explicitement « que ce comportement caractérise une faute dolosive justifiant l’application de l’article L. 113-1 du Code des assurances en ce qu’elle a supprimé l’aléa inhérent au contrat d’assurance ». La comparaison de la décision à l’annexe permet de constater que les juges de cassation ont fait un tri dans le flot des « justifications » du refus de garantie opposé aux tiers lésés.
La troisième chambre civile reprend la description du comportement de l’architecte responsable faite par la cour d’appel insistant sur la démarche délibérée de l’intéressé22, cherchant à dissimuler sa transgression sciemment construite : « La cour d’appel, qui a constaté que la démolition des murs devant être conservés ne découlait pas d’un aléa de chantier mais d’une volonté de les démolir résultant du dossier de consultation des entreprises (DCE), a relevé que l’expert avait noté que, si l’enveloppe de la nouvelle construction avait été établie avant les démolitions, “c’était certainement pour que ces dernières ne soient pas réalisées au vu et au su de tout le monde” et retenu qu’en élaborant un DCE qui ne respectait pas l’obligation de conserver les murs en terre et les matériaux existants en dépit des longs échanges ayant eu lieu sur ce point avec les services d’urbanisme de la commune, l’architecte ne pouvait ignorer qu’il existait un risque très élevé que celle-ci refuse toute régularisation avec pour conséquence inéluctable l’obligation de démolir l’ouvrage » (pt 9). Par de tels constats, la croyance en une éventuelle régularisation, permettant d’échapper au risque de la démolition, s’étiole carrément. La régularisation serait miraculeuse, si bien qu’elle apparaît comme une issue irréaliste, partant on parvient à l’équivalence de l’obligation de démolition23.
À partir des constatations opérées par les juges du second degré, la Cour de cassation effectue son contrôle de qualification en jaugeant la motivation délivrée (« a pu en déduire »). La troisième chambre civile écarte ouvertement la critique sur le terrain de la faute intentionnelle subjective, en l’indiquant très explicitement comme étant un moyen inopérant : « sans retenir la faute intentionnelle du maître d’œuvre ». C’est donc que la Cour admet, implicitement mais nécessairement, que l’autre aspect de l’exclusion légale de l’article L. 113-1 est ici à l’œuvre, en rejetant le moyen non fondé pour l’autre branche. Pour autant, la Cour demeure silencieuse sur la dénomination de faute dolosive au point 10, décisif, de son arrêt non publié au Bulletin. Elle retient néanmoins les éléments de qualification généralement admis d’une telle faute. En effet, elle juge que la cour d’appel a « ainsi fait ressortir le caractère délibéré du manquement de l’architecte à ses obligations » et « un tel comportement avait supprimé l’aléa inhérent au contrat d’assurance ». La suppression de l’aléa n’est pas sa diminution, point qui a pu être débattu en doctrine24. Il s’agit de l’effet produit, explicatif de l’exclusion légale, comme explicité.
Quant au caractère inéluctable ou inévitable du dommage, on peut penser que la Cour ne le mentionne qu’en réponse au moyen, par référence à la motivation des juges d’appel, sans s’étendre. Il nous semble néanmoins présent, d’une certaine manière, même si l’attendu n’est pas forgé en formule de principe. La Cour précise que la cour d’appel a « retenu que la démolition des travaux réalisés était la conséquence de l’illégalité de ceux-ci ». La prise de risque voulue pouvait fortement ou forcément aboutir, pour tout assuré, à cette conséquence. Peut-être même, par une interprétation souple, eu égard aux circonstances de l’espèce, aurait-il pu être retenue une faute intentionnelle classique. Il est cependant vrai que l’architecte a davantage cherché à contourner les règles pour parvenir à la construction litigieuse que souhaité aboutir à la démolition, malgré le risque pleinement assumé. Aussi, cela rend plus adaptée la faute dolosive qu’il faut certes démontrer pour l’assureur25.
On reste ici dans le domaine de l’assurance de responsabilité civile professionnelle, hypothèse typique de l’expression de cette forme de l’exclusion légale, même si la jurisprudence ne l’y a pas cantonnée en admettant son jeu en assurance de responsabilité sans distinction26 et en assurance de biens27. En assurances de dommages, la deuxième chambre civile admet encore la coexistence des fautes intentionnelle et dolosive28. En l’espèce, les demandes en garantie contre la MAF ont été rejetées.
Certes, l’arrêt est inédit, dans des circonstances pour le moins particulières où la sympathie pour l’assuré, professionnel du secteur, s’évanouit. Il s’agit d’un cas quasiment limite dans lequel le comportement choquant de l’assuré ne mérite pas le secours de la mutualité. De plus, l’architecte bénéficie déjà d’un partage de responsabilité avec ses clients tout aussi « indélicats ». Quant à sa « victime », elle a dès lors clairement participé à la naissance du préjudice qu’elle a invoqué. Du coup, pourrait-on y voir un arrêt d’espèce, qui n’aurait pas vocation à consacrer toujours la faute dolosive, ici retenue29, du moins à réserver encore une place à la faute intentionnelle ? Seraient alors à l’abri, grâce au bénéfice du jeu de l’assurance, les nombreux maîtres de l’ouvrage qui, sans tort à eux imputables, subissent un comportement du professionnel de la construction, de surcroît souvent l’objet d’une procédure collective avec ses conséquences sur la solvabilité.
Tout du moins, il pourrait s’agir d’une forme de tempérament à la compréhension rigoureuse de principe de l’exclusion légale, grâce à cette ouverture pour appréhender, au cas par cas, ce genre de comportement hautement critiquable. Encore, la Cour ne met pas en avant l’expression de faute dolosive, ni ne prend la peine d’une définition ciselée. En outre, dans l’annexe, il est fait simple allusion (sans de plus amples détails) à la faute dolosive prévue par la loi « ainsi que [par] l’article 2.111 des conditions générales ». Faudrait-il comprendre qu’une stipulation de la police définissait une exclusion, valable30, qui pourrait dès lors être accueillie ? A contrario, une absence de prévisibilité contractuelle permettrait de revenir à la faute intentionnelle exclusive ? Rien de moins sûr à défaut de connaissance de la version applicable du contrat et du mutisme de l’arrêt sur ce point. Il demeure que même si l’on ne peut présager de l’avenir avec une seule décision de ce type, la troisième chambre civile retient l’exclusion légale en dehors de la stricte faute intentionnelle jusque-là défendue. En période de crise sanitaire, l’image de l’hirondelle qui ne fait pas toujours le printemps peut être remplacée par celle de la vague de virus qui pourrait agiter l’automne et au-delà… Il faudra voir la position de la troisième chambre civile lorsqu’elle sera à nouveau saisie de cette question sensible aux lourdes conséquences pratiques.
Notes de bas de pages
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1.
LEDA juill. 2021, n° 200d7, p. 4, obs. C. Charbonneau ; RGDA juill. 2021, n° 200h0, p. 23, note A. Pélissier ; RDI 2021, p. 433, obs. C. Charbonneau.
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2.
V. réf. citées, D. Noguéro, « L’exclusion légale de la faute dolosive en cas de suicide », Gaz. Pal. 27 oct. 2020, n° 389r9, p. 46 et « L’exclusion légale de la faute intentionnelle ou dolosive en droit des assurances », in Mélanges Suzanne Carval, à paraître. Et A. Pélissier, « Faute intentionnelle ou dol. La place du débat en assurance construction », RDI 2021, p. 262.
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3.
Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11538 : Bull. civ. II ; D. 2020, AJ, p. 1107 ; Dalloz actualité, 9 juin 2020, obs. R. Bigot ; JCP G 2020, chron. 768, n° 20, obs. J. Kullmann ; Gaz. Pal. 7 juill. 2020, n° 381r4, p. 34, obs. C. Berlaud ; Gaz. Pal. 7 juill. 2020, n° 382p9, p. 10, 2e esp., note A. Touzain ; LEDA juill. 2020, n° 112u7, p. 1, 1re esp., obs. P.-G. Marly ; JCP G 2020, 950, 1re esp., note L. Mayaux ; BJDA.fr 2020, n° 70, obs. S. Abravanel-Jolly ; RGDA sept. 2020, n° 117s0, p. 24, 2e esp., note J. Kullmann ; J. Kullmann, « Connaissance, conscience et volonté : retour sur les fautes intentionnelles et dolosives, à l’occasion de deux arrêts sur le suicide et les dommages causés à autrui », RGDA sept. 2020, n° 117s5, p. 7 ; RDC sept. 2020, n° 117a0, p. 59, note F. Leduc ; Resp. civ. et assur. 2020, comm. 178, 2e esp., note D. Bakouche ; JCP E 2020, 1413, n° 5, obs. P.-G. Marly ; JCP G 2020, chron. 1268, spéc. n° 2, obs. M. Bacache ; RLDC 2021/1, n° 188, pan., spéc. n° 5, obs. B. Beignier.
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4.
Encore (absence de faute dolosive examinée), Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-14306 : Bull. civ. II ; JCP G 2020, act. 659, obs. S. Maouche ; D. 2020, AJ, p. 1106 ; JCP G 2020, chron. 768, n° 20, obs. J. Kullmann ; Gaz. Pal. 23 juin 2020, n° 379v2, p. 35, obs. C. Berlaud ; BJDA.fr 2020, n° 69, obs. L. Perdrix ; Gaz. Pal. 7 juill. 2020, n° 382p9, p. 10, 1re esp., note A. Touzain ; LEDA juill. 2020, n° 112u7, p. 1, 2e esp., obs. P.-G. Marly ; JCP G 2020, 950, 1re esp., note L. Mayaux ; RGDA sept. 2020, n° 117s0, p. 24, 1re esp., note J. Kullmann ; J. Kullmann, « Connaissance, conscience et volonté : retour sur les fautes intentionnelles et dolosives, à l’occasion de deux arrêts sur le suicide et les dommages causés à autrui », RGDA sept. 2020, n° 117s5, p. 7 ; Resp. civ. et assur. 2020, comm. 178, 1re esp., note D. Bakouche ; JCP E 2020, 1413, n° 5, obs. P.-G. Marly ; JCP G 2020, chron. 1268, spéc. n° 2, obs. M. Bacache ; RLDC 2021/1, n° 188, pan., spéc. n° 5, obs. B. Beignier.
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5.
Parenthèse, Cass. 3e civ., 7 oct. 2008, n° 07-17969 : RDI 2008, p. 561, obs. L. Karila ; RGDA 2008, p. 912, 1re esp., note J. Kullmann ; Resp. civ. et assur. 2009, comm. 122 ; M. Asselain, « Violation délibérée de ses obligations professionnelles par l’assuré : à la recherche d’une sanction », Resp. civ. et assur. 2009, étude 6. Questionnement (ensuite fermé), Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-14264 et Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-18842 : RDI 2017, p. 485, obs. D. Noguéro – Cass. 3e civ., 30 nov. 2017, nos 16-22668, 16-23722, et 16-23777.
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6.
Cass. 3e civ., 1er juill. 2015, nos 14-19826 et 14-50038 et Cass. 3e civ., 1er juill. 2015, nos 14-10210, 14-11971, 14-13403 et 14-17230 : RDI 2015, p. 425, obs. D. Noguéro ; Resp. civ. et assur. 2015, comm. 304, note H. Groutel – Cass. 3e civ., 13 juill. 2016, nos 15-20512 et 15-24654 : RGDA sept. 2016, n° 113u1, p. 410, note P. Dessuet ; Resp. civ. et assur. 2016, comm. 324, note H. Groutel. Et, depuis 2017, Cass. 3e civ., 5 déc. 2019, nos 18-21679 et 18-22915 : RGDA janv. 2020, n° 117b1, p. 49, note J.-P. Karila ; RGDA janv. 2020, n° 117b8, p. 62, note J. Kullmann.
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7.
« De la dualité de la faute dolosive et de la faute intentionnelle » pour C. Charbonneau. L’auteur estime que même non publié l’arrêt est dans la « veine de la deuxième chambre civile ». La faute dolosive distincte de celle intentionnelle est aussi admise en assurance construction, même si « la typicité des faits de l’arrêt et l’absence de publication ne permet pas d’y voir un alignement clair ». « Reconnaissance discrète de la faute dolosive par la troisième chambre civile » pour A. Pélissier. L’auteur considère que « Tout porte à croire au revirement et à la reconnaissance de la faute dolosive mais en toute discrétion ». Ou « l’art de ne pas appeler un chat, un chat ».
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8.
D’abord, « l’acceptation des risques par le maître de l’ouvrage, susceptible de diminuer son droit à réparation, suppose qu’il ait été informé par le professionnel des risques encourus » (la faute de la victime), ce qui n’était pas vérifié par la recherche d’une attention attirée par l’architecte sur les non-conformités du CCTP (cahier des clauses techniques particulières) aux prescriptions du permis de construire et leurs conséquences. Ensuite, « le profane est en droit de se fier aux informations délivrées par un professionnel sans avoir à procéder à de plus amples vérifications », à savoir l’absence de réserve de l’architecte sur le projet de construction.
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9.
Comp. mise à l’écart de « l’acceptation des risques » du maître de l’ouvrage sans compétence dans le domaine et non informé par l’architecte, Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-14264 : RDI 2017, p. 485, 1re esp., obs. D. Noguéro.
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10.
Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 97-18737 : Bull. civ. I, n° 101 – Cass. 1re civ., 30 oct. 2007, n° 05-16789 ; Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n° 11-15529 : Bull. civ. I, n° 222.
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11.
Cass. 1re civ., 7 mai 1980, n° 79-10683 : Bull. civ. I, n° 139 – Cass. 1re civ., 17 déc. 1991, n° 89-17299 : Resp. civ. et assur. 1992, comm. 108 ; RGAT 1992, p. 364, note J. Kullmann – Cass. 1re civ., 10 avr. 1996, n° 93-14571 : Bull. civ. I, n° 172 – Cass. 2e civ., 18 oct. 2012, n° 11-13084 : Resp. civ. et assur. 2013, comm. 36, 1re esp., note H. Groutel ; RGDA 2013, p. 56, 3e esp., note J.-P. Karila – Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 12-12813 : Bull. civ. II, n° 44 ; Resp. civ. et assur. 2013, comm. 197, note D. Bakouche et comm. 200 ; RGDA 2013, p. 586, note A. Pélissier (3e moyen) – Cass. 2e civ., 12 janv. 2017, n° 16-10042 : RGDA mars 2017, n° 114h7, p. 169, note L. Mayaux.
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12.
Revirement, Cass. 1re civ., 4 juill. 2000, n° 98-10744 : Bull. civ. I, n° 203. Et H. Groutel, « L’appréciation de l’aléa et de la faute intentionnelle dans le contrat d’assurance », Resp. civ. et assur. 2000, chron. 24.
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13.
Exemple, Cass. 2e civ., 18 mars 2004, n° 03-11573 : Bull. civ. II, n° 130 – Cass. 2e civ., 18 mars 2004, n° 03-10720. Encore, Cass. 2e civ., 9 avr. 2009, n° 08-15867 : RDI 2009, p. 483, obs. D. Noguéro ; Resp. civ. et assur. 2009, comm. 197, note H. Groutel ; RGDA 2009, p. 747, note L. Mayaux.
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14.
Disposition abrogée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, au 1er octobre 2016. Depuis, C. civ., art. 1108, al. 2. Elle concerne la formation du contrat d’assurance. Les plaideurs l’invoquent néanmoins avec constance pour l’exclusion.
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15.
Refusant le seul terrain de l’absence d’aléa pour caractériser l’exclusion, Cass. 3e civ., 30 mars 2010, nos 09-13307 et 09-12652 : RGDA 2010, p. 684, 1re esp., note J. Kullmann ; JCP G 2011, 398, n° 2, obs. J. Kullmann – Cass. 3e civ., 29 mars 2011, n° 09-16749 : RGDA 2011, p. 696, note J. Kullmann.
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16.
Comprendre par cette formule, la société d’architectes assurée, s’exprimant par son architecte.
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17.
Techniquement, la faute commise en cours de contrat prive celui-ci d’aléa, explication technique pouvant cohabiter avec une analyse plus morale.
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18.
Dernièrement, sur la sanction, Cass. 2e civ., 6 mai 2021, n° 19-25395 : Bull. civ. II ; D. 2021, AJ, p. 903 ; Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. R. Bigot et A. Cayol ; LEDC juin 2021, n° 200d6, p. 2, obs. G. Guerlin ; RGDA juin 2021, n° 200e6, p. 7, note A. Pimbert ; RLDC 2021/7, n° 194, obs. E. Golosov ; LEDA juill. 2021, n° 200d1, p. 1, obs. M. Asselain.
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19.
V. nos précédents commentaires sur la question. En ce sens aussi, critique sur la confusion entretenue, A. Pélissier, note sous Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-10774 : RGDA juill. 2021, n° 200h0, p. 23, spéc. p. 24.
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20.
Pour une inspiration, Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-14264 : RDI 2017, p. 485, 1re esp., obs. D. Noguéro.
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21.
Dossier de consultation des entreprises.
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22.
Sur cette exigence (ici, non établie), Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-10363 : RGDA avr. 2016, n° 113g8, p. 162, note A. Pélissier – Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-19000.
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23.
Comp. A. Pélissier, note sous Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-10774 : RGDA juill. 2021, n° 200h0, p. 23, spéc. p. 24 : pour l’auteur, « l’inéluctable n’apparaît qu’en dernier maillon de l’enchaînement causal dans lequel s’intercale un simple risque de non-régularisation. Le sinistre ne semble donc pas inéluctable, l’aléa n’avait donc pas disparu, la situation aurait pu, même avec une très faible probabilité, être régularisée. L’aléa était certes faussé (…) ».
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24.
Par suite de la référence à un aléa faussé, Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-24650 : Bull. civ. II, n° 168 ; Resp. civ. et assur. 2013, comm. 360 ; D. Bakouche, « La faute dolosive exclusive de garantie (À propos d’un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 12 septembre 2013) », Resp. civ. et assur. 2013, étude 8 ; JCP G 2014, 383, note A. Pélissier ; J. Kullmann, « L’assuré fautif : après le faisan et le malfaisant, le risque-tout », RGDA janv. 2014, n° 110d3, p. 8. Comp. exigence de la disparition de tout aléa, Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 12-12813 : Bull. civ. II, n° 44 ; Resp. civ. et assur. 2013, comm. 197, note D. Bakouche et comm. 200 ; RGDA 2013, p. 586, note A. Pélissier. Encore, C. Charbonneau, obs. sous Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-10774 : RDI 2021, p. 433.
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25.
Cass. 2e civ., 6 févr. 2020, n° 18-17868 : Bull. civ. II ; D. 2020, AJ, p. 336 ; Dalloz actualité, 25 févr. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020, Pan., p. 1205, spéc. p. 1207, obs. D. Noguéro ; AJ Contrat 2020, p. 289, 2e esp., obs. P. Guillot et B. Néraudau ; RGDA mars 2020, n° 117f4, p. 35, note R. Schulz ; BJDA.fr 2020, n° 68, obs. C. Cerveau-Colliard ; Gaz. Pal. 16 juin 2020, n° 380d2, p. 60, note P. Giraudel ; RLDC 2021/1, n° 188, pan., spéc. n° 4, obs. S. Ben Hadj Yahia.
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26.
Exemple, un particulier, Cass. 2e civ., 25 oct. 2018, n° 16-23103 : Bull. civ. II ; AJ Contrat 2018, p. 530, obs. B. Néraudau et P. Guillot ; BJDA.fr 2018, n° 60, note R. Bigot ; Resp. civ. et assur. 2019, comm. 32 ; Resp. civ. et assur. 2019, repère 1, « Plus dure sera la chute », par H. Groutel ; Gaz. Pal. 5 mars 2019, n° 343v1, p. 65, note B. Cerveau ; RDC 2019, n° 115u3, p. 42, note S. Pellet ; Resp. civ. et assur. 2019, chron. 5, obs. H. Groutel ; JCP G 2019, chron. 663, n° 2, obs. J. Kullmann.
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27.
Exemple, Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-24650 : Bull. civ. II, n° 168.
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28.
Des critères de qualification différents, Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15829 : RGDA mai 2019, n° 116n2, p. 13, note A. Pimbert ; Resp. civ. et assur. 2019, comm. 175, note H. Groutel ; JCP G 2019, chron. 683, n° 2, obs. J. Kullmann ; BJDA.fr 2019, n° 63, obs. S. Abravanel-Jolly.
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29.
Comp. des faits identiques pour un architecte assuré auprès de la MAF ne respectant pas le permis de construire, mais avec une solution du cas différente par mise à l’écart de la faute intentionnelle, et balayage de celle dolosive, Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-14264 : RDI 2017, p. 485, 1re esp., obs. D. Noguéro.
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30.
V. aussi, troisième et quatrième branches du moyen du pourvoi incident du liquidateur judiciaire (en annexe).
Référence : AJU001o2