Discipline des avocats : à quoi sert l’enquête déontologique ?

Publié le 22/11/2022

Suite à la réforme de la procédure disciplinaire des avocats réalisée par la loi pour la confiance dans la justice du 22 décembre 2021, Me Patrick Lingibé revient sur la question de l’enquête déontologique, son utilité et les modifications apportées. 

Discipline des avocats : à quoi sert l’enquête déontologique ?
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

L’enquête déontologique est prévue par l’article 187 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat. Cet outil a été créé par l’article 1er du décret n° 2005-531 du 24 mai 2005 modifiant le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat et relatif à la discipline. Elle figurait à l’origine dans le chapitre III intitulé « Procédures disciplinaires ». L’article 12 du décret n° 2022-965 du 30 juin 2022 modifiant le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat n’a pas substantiellement modifié le dispositif originel de l’enquête déontologique, sauf sur deux points mineurs. Le premier résulte d’un déplacement de cet article 187 qui se retrouve désormais dans un nouveau chapitre II ter, lequel précède le chapitre III consacré à la procédure disciplinaire, démontrant ainsi sur le plan formel son caractère non disciplinaire. Le deuxième réside dans la possibilité désormais pour le bâtonnier de désigner plusieurs délégués afin de procéder à une enquête déontologique. Le présent article aborde les contours de cet instrument pratique de contrôle qui peut être utilisé par les bâtonniers et qui se situe bien en amont de toute procédure disciplinaire.

1° Une prérogative laissée à l’autorité ordinale

 Le dispositif institué par l’article 187 du décret de 1991 modifié offre au bâtonnier la possibilité de recourir à l’enquête déontologique, laquelle n’est jamais une obligation pour lui. Il peut en effet emprunter directement la voie disciplinaire.

Il revient au bâtonnier d’apprécier seul les éléments factuels qui lui sont rapportés et de décider soit de lui-même, soit à la demande du procureur général ou soit sur la plainte de toute personne intéressée, d’ouvrir une enquête déontologique.

C’est donc une prérogative qui est propre au bâtonnier. Elle est totalement indépendante du conseil de l’ordre. Ce dernier n’a aucun rôle à ce niveau contrairement à celui qui lui incombe dans le cadre de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un avocat avec la désignation d’un rapporteur pris au sein dudit conseil.

Cependant, la décision de recourir à une enquête déontologique doit toujours être motivée et s’appuyer sur des éléments tangibles et objectivés, cela afin d’échapper à toute critique. Lorsqu’il est saisi de faits dénoncés par le procureur général ou un plaignant, le bâtonnier pourra s’appuyer sur la lettre de saisine et les éléments communiqués pour lancer l’enquête déontologique.

En revanche, dans le cas où cette enquête procède de sa propre initiative, il devra être particulièrement vigilant sur les éléments fondants ladite enquête afin d’éviter toute contestation sur l’action menée à l’égard de l’avocat. La première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi validé la visite domiciliaire faite par un bâtonnier dans le cadre d’une enquête déontologique où l’avocat critiquait l’absence d’impartialité et d’objectivité de l’autorité ordinale :

« Mais attendu que le bâtonnier tient des dispositions de l’article 187 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 la faculté de faire procéder ou de procéder lui-même, de sa propre initiative à une enquête sur le comportement d’un avocat de son barreau ; qu’après avoir constaté que la visite par M. Y… du cabinet de M. X.. avait été motivée par diverses réclamations dont celle du bailleur du local professionnel de ce dernier se déclarant impayé de loyers et charges ainsi que par l’impossibilité de le joindre, la cour d’appel qui a relevé que cette visite constituait la seule manière d’obtenir une information sur la réalité du fonctionnement du cabinet faute de ligne téléphonique, a exactement retenu que cette mesure, loin d’être critiquable, constituait pour le bâtonnier un impérieux devoir ; que régulière, l’enquête déontologique n’a pu entacher la validité de la procédure disciplinaire ; » (Cass. Civ., 1re, 17 octobre 2012, n° 11-17.999).

La seule obligation qui est imposée formellement au bâtonnier est celle afférente à l’information : il doit aviser sans délai et par tout moyen le procureur général ou l’auteur de la plainte de sa décision de ne pas procéder à une enquête déontologique.

2° Une mise en œuvre relativement souple

Parce qu’elle est totalement déconnectée de la procédure disciplinaire, l’enquête déontologique présente une grande souplesse dans ses modalités. L’intérêt majeur de cet outil est de permettre rapidement au bâtonnier d’avoir en sa possession des éléments pertinents sur les faits reprochés à l’avocat de son barreau. Elle permet ainsi d’éviter de lancer une procédure disciplinaire pour des faits qui finalement ne relèvent pas du fait disciplinaire. Si cet outil n’est pas une étape obligatoire et préalable à l’action disciplinaire, il est néanmoins utile au bâtonnier pour apprécier les éléments rapportés et donner la réponse la plus appropriée qui convient.

Le bâtonnier peut mener lui-même l’enquête déontologique. Cependant, il nous paraît plus prudent d’en confier la conduite à des délégués : cela permet ainsi au bâtonnier d’avoir une distanciation sur le rapport qui lui sera remis ainsi que les suites qu’il entendra y donner. En effet, même si l’enquête déontologique n’est pas soumise aux principes rigoureux de l’enquête disciplinaire, il convient d’éviter dans la mesure du possible que l’autorité qui prend la décision de poursuivre le cas échéant soit la même que celle qui a établi le rapport fondant lesdites poursuites.

C’est le bâtonnier qui désigne à cette fin, parmi les membres ou anciens membres du conseil de l’ordre, un ou plusieurs délégués qui doivent établir un rapport et le lui transmettent. Avant la réforme de 2022, l’article 187 ne prévoyait la possibilité de désigner formellement qu’un seul délégué. Désormais, la possibilité de désigner au choix du bâtonnier plusieurs délégués dans certaines affaires complexes est la bienvenue, notamment sur les critiques souvent de partialité soulevée.

Une différence notable distingue l’enquête déontologique de l’enquête disciplinaire : l’enquête disciplinaire peut être confiée également à d’anciens membres du conseil de l’ordre en plus des membres ordinaux en exercice ; l’enquête disciplinaire exige pour sa validité que le rapporteur désigné soit un membre du conseil de l’ordre en exercice durant toute la procédure.

Lorsqu’il décide de ne pas procéder à une enquête, le bâtonnier doit aviser sans délai et par tout moyen le procureur général ou l’auteur de la plainte selon que l’enquête a été demandée par l’un ou l’autre.

Il convient de préciser enfin que le bâtonnier est une autorité de poursuite et qu’à ce titre, il ne peut être récusé comme le procureur général. Cependant, il doit néanmoins dans l’exercice de ses fonctions d’autorité poursuivante faire preuve d’une objectivité.

3° Une enquête devant néanmoins répondre à certaines exigences

 L’objectif de l’enquête déontologique est avant de tout de permettre au bâtonnier de se faire une opinion rapide sur des faits dénoncés à l’encontre d’un avocat de son barreau. Elle n’est pas soumise aux contraintes et lourdeurs de la procédure disciplinaire qui est enserrée dans un temps contraint avec des règles de forme et de fond rigoureuses. Cependant, le bâtonnier ou son délégué devra veiller à ce qu’elle soit menée dans des conditions qui ne soient pas critiquables.

Ici se pose la question de savoir si une telle enquête doit être obligatoirement soumise au principe du contradictoire. Ce principe n’est pas formellement imposé pour sa validité dans la mesure où nous ne sommes pas dans une procédure disciplinaire. Ainsi, dans un arrêt topique rendu le 30 juin 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation a précisé qu’il « résulte de l’article 72.2 du Règlement intérieur national (RIN), que le bâtonnier, ou son délégué, qui procède à une enquête déontologique préalablement à l’exercice de l’action disciplinaire, n’est pas tenu d’entendre contradictoirement l’avocat concerné. Dès lors, après avoir justement énoncé que l’enquête déontologique ne fait pas partie de la procédure disciplinaire et qu’elle n’a pas nécessairement un caractère contradictoire, c’est à bon droit que la cour d’appel a écarté la demande de nullité. » (Cour de cassation, Première civile, 30 juin 2021, 19-23.722). Dans cette affaire, le juge fait référence au sixième alinéa de l’article P. 72.2 du règlement intérieur du barreau de Paris qui précise : « Le délégué ne sera pas tenu de dresser procès-verbal des auditions auxquelles il aura éventuellement procédé. De même, il ne sera pas tenu d’entendre contradictoirement l’avocat concerné. ». Il convient de noter que le conseil de l’ordre de Paris vient de modifier les dispositions de son règlement intérieur afin d’y intégrer la réforme disciplinaire. L’enquête déontologique fait l’objet d’un nouvel article P. 72.7 beaucoup plus détaillé réparti en trois sous-articles distincts.

L’enquête déontologique peut être ou ne pas être contradictoire dans la mesure où elle n’est soumise à aucune forme sacramentelle. Ce caractère contradictoire est laissé à l’appréciation de l’enquêteur en fonction des circonstances. Cependant, nous recommandons pour notre part que le délégué du bâtonnier conduise son enquête déontologique, dans la mesure du possible et si les conditions s’y prêtent, de manière contradictoire. Accorder une importance toute particulière à la manière de conduire l’enquête déontologique et donc à la contradiction ne peut que renforcer le caractère sérieux, probant et impartial de cette enquête. L’enquêteur aura donc tout intérêt, particulièrement en certains cas, à proposer à l’avocat concerné d’être entendu et à acter le cas échéant le refus opposé par ce dernier.

L’enquête déontologique est close par la remise d’un rapport qui contient les éléments recueillis par le bâtonnier ou le délégué. Au vu des éléments recueillis, le bâtonnier aura deux possibilités :

*Soit il décide de ne pas poursuivre l’avocat et classe l’affaire. Il doit en aviser le procureur général et, le cas échéant, le plaignant.

*Soit il décide d’engager des poursuites disciplinaires à l’encontre de l’avocat concerné. Il doit en aviser également le plaignant et le procureur général.

Il y a un intérêt à veiller à ce que l’enquête déontologique soit réalisée dans des conditions impartiales et contradictoires car elle peut servir de base à des poursuites disciplinaires. Dans ce cas, elle constituera une pièce cotée et paraphée du dossier disciplinaire. D’ailleurs, il est fait observer que la rédaction du premier alinéa de l’article 188 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 mentionne expressément que la saisine de la juridiction disciplinaire peut se faire après une enquête déontologique, ce qui démontre que cette enquête a vocation à déclencher le cas échéant une action disciplinaire : « Dans les cas prévus à l’article 183, directement ou après enquête déontologique, le bâtonnier dont relève l’avocat mis en cause ou le procureur général saisit l’instance disciplinaire par un acte motivé. Il en informe au préalable l’autorité qui n’est pas à l’initiative de l’action disciplinaire. » Ce qui plaide pour qu’elle soit sérieusement établie à toutes fins utiles.

L’enquête déontologique est un véritable outil aux mains des bâtonniers qui doivent néanmoins la repositionner en tenant compte du changement de paradigme posé par la réforme disciplinaire de la profession d’avocat : l’article 42 de la loi 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et d’autre part et les 18 articles du décret n° 2022-965 du 30 juin 2022 modifiant le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat accordent une nouvelle place au plaignant qu’il convient d’intégrer désormais tant sur la forme que sur le fond dans la procédure réformée.

Article 187 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat modifié par l’article 12 du décret n° 2022-965 du 30 juin 2022 (les ajouts sont en gras) :

 « Le bâtonnier peut, soit de sa propre initiative, soit à la demande du procureur général, soit sur la plainte de toute personne intéressée, procéder à une enquête sur le comportement d’un avocat de son barreau. Il peut désigner à cette fin, parmi les membres ou anciens membres du conseil de l’ordre, un ou plusieurs délégués qui établissent un rapport et le transmettent au bâtonnier. Lorsqu’il décide de ne pas procéder à une enquête, il en avise sans délai et par tout moyen l’auteur de la demande ou de la plainte.

 Au vu des éléments recueillis au cours de l’enquête déontologique, le bâtonnier décide s’il y a lieu d’exercer l’action disciplinaire. Il avise de sa décision sans délai et par tout moyen le procureur général et, le cas échéant, le plaignant.

 Lorsque l’enquête a été demandée par le procureur général, le bâtonnier lui communique le rapport.

 Le bâtonnier le plus ancien dans l’ordre du tableau, membre du conseil de l’ordre ou, à défaut, le membre du conseil de l’ordre le plus ancien dans l’ordre du tableau, met en œuvre les dispositions du présent article lorsque des informations portées à sa connaissance mettent en cause le bâtonnier en exercice. »

 

À lire aussi sur le même sujet par le même auteur : Circulaire sur la réforme de la discipline des avocats : à quoi répond-elle ?

Plan
X