Discipline des avocats : le nouveau traitement des réclamations en 4 questions

Publié le 22/12/2022

La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021, complétée par le décret du 30 juin 2022, a institué une nouvelle procédure disciplinaire à l’encontre des avocats. Me Patrick Lingibé explique dans le détail comment celle-ci va désormais fonctionner.  

Avocat en robe
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L’article 42 de la loi 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ainsi que les articles 8 à 26 du décret n° 2022-965 du 30 juin 2022 réformant l’organisation de la profession d’avocat sont venus instituer une nouvelle procédure disciplinaire au sein de la profession d’avocat. L’objectif principal est de casser l’idée de l’entre-soi au sein de la profession. Il convient cependant de rappeler que depuis 2012 la profession elle-même avait mené des travaux très avancés et portait un projet de réforme de sa discipline afin de prendre en compte l’intérêt du plaignant dans la procédure disciplinaire. C’est ainsi que plusieurs travaux ont été conduits notamment par la Conférence des Bâtonniers de France et le Conseil national des barreaux.

La réforme disciplinaire a institué un nouveau traitement concernant les réclamations d’auteurs émis à l’encontre des avocats. Cette procédure est organisée par un nouveau chapitre II bis avec les quatre nouveaux articles 186-1 à 186-4 créés par l’article 11 du décret du 30 juin 2002 et insérés dans le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat. Préalablement, il convient de préciser que l’envoi d’une réclamation est une condition nécessaire à la saisine, par son auteur, de la juridiction disciplinaire. À défaut de réclamation formelle, il n’y a point de saisine possible de l’instance disciplinaire.

1.Quelle forme et quel contenu doit présenter la réclamation émise à l’encontre d’un avocat pour être recevable ?

La forme et le contenu de la réclamation doivent répondre à des conditions précises fixées par l’article 186-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat. Cette réclamation peut émaner de toute personne, physique ou morale, y compris d’un tiers.

Il convient de noter que la circulaire n° CIV/05/22 en date du 9 novembre 2022 de présentation de la réforme de la discipline des avocats du garde des Sceaux a entendu apporter des précisions terminologiques et la différence qu’il convenait de faire entre d’une part, le terme « tiers » et d’autre part, l’acception utilisée « auteur de la réclamation » sur lesquels la profession s’interrogeait. Il est indiqué que lorsque le texte évoque « le tiers », cela signifie que l’auteur de la réclamation n’est pas avocat. En revanche, lorsque le texte évoque « l’auteur de la réclamation », cela signifie qu’il peut être avocat ou tiers. Cette distinction faite par la Chancellerie est pourtant loin d’être évidente et convaincante sur le plan exégétique, le terme de tiers pouvant parfaitement trouver à s’appliquer à un avocat dans des situations précises.

Il y a un principe intangible à retenir d’emblée qui ne souffre que d’une seule exception que nous verrons plus loin : toute réclamation formulée à l’encontre d’un avocat doit être adressée, au préalable, au bâtonnier par tout moyen conférant date certaine à sa réception, telle qu’une lettre recommandée avec accusé de réception, une lettre recommandée électronique avec accusé de réception électronique, le dépôt sur une plateforme avec un récépissé du dépôt, une remise en main propre contre récépissé, ou encore, un acte de commissaire de justice. Il convient de rappeler que le bâtonnier qui est également une autorité juridictionnelle lorsqu’il statue en matière de contentieux de l’honoraire est ici le filtre, le réceptacle, le passage obligé pour la réception de toutes les réclamations concernant un avocat de son barreau.

Le ministre de la Justice préconise dans sa circulaire aux barreaux de mettre en ligne sur leur site internet une plateforme qui permettrait de recevoir les réclamations des justiciables. Nous souscrivons à cette suggestion, un tel dispositif permettant d’assurer une meilleure information des clients des avocats.

Sur le plan du contenu, la réclamation doit comporter les informations obligations suivantes : la date, les nom, prénoms et adresse de l’avocat mis en cause, les faits à l’origine de la réclamation ainsi que la signature de l’auteur de la réclamation. Elle doit être accompagnée des pièces utiles qui permettront de procéder à son examen.

L’article 186-1 précité liste de manière minutieuse les éléments indispensables en fonction de la personne de l’auteur à l’origine de la réclamation suivant ci c dernier est une personne physique ou morale.

Si la réclamation émane d’une personne physique, elle doit mentionner en outre son nom, ses prénoms, sa profession, son domicile, sa nationalité, sa date et lieu de naissance.

Si la réclamation émane d’une personne morale, elle doit mentionner en outre sa forme, sa dénomination, son siège social, l’organe qui la représente légalement.

L’absence des éléments d’identification de l’auteur ainsi que le défaut de précision des faits reprochés sont de nature à entraîner le rejet de la requête pour irrecevabilité par le bâtonnier saisi.

2. Comment est instruite une réclamation faite à l’encontre d’un avocat ?

La procédure d’instruction des réclamations est organisée par les dispositions de l’article 186-2 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat. Deux situations sont ici à distinguer : d’une part, celle où la réclamation est adressée au bâtonnier et d’autre part, celle où elle est faite directement auprès du procureur général.

Lorsque la réclamation est adressée au bâtonnier qui est l’autorité naturelle de réception des réclamations, ce dernier doit accuser réception sans délai des réclamations formulées à l’encontre d’un avocat relevant de son barreau en indiquant à son auteur qu’il sera informé des suites qui lui seront données. Le délai de trois mois imparti par l’article 186-3 du décret du 27 novembre 1991 modifié précité pour organiser une éventuelle conciliation commence à courir à compter de la réception de cette réclamation. La réclamation doit faire l’objet d’une instruction par le bâtonnier ou par le membre du conseil de l’ordre qu’il délègue. L’autorité ordinale a au terme de ce délai deux possibilités :

*La première : soit il estime que la réclamation est abusive ou manifestement mal fondée. Dans un tel cas, il doit informer sans délai son auteur qu’il n’entend pas donner suite en précisant les motifs de sa décision.

Nous attirons l’attention sur l’obligation de motivation de l’ordonnance ordinale de refus d’instruire la réclamation dont il a été saisi.

*La deuxième : soit il n’estime pas abusive ou manifestement mal fondée la réclamation reçue. Dans ce cas, il doit eninformer l’avocat mis en cause, en lui joignant, le cas échéant, les pièces utiles, et l’inviter à présenter ses observations dans un délai.

Lorsque la réclamation a été adressée directement au procureur général par son auteur, ce dernier peut décider de saisir lui-même, sur le fondement de ce signalement, la juridiction disciplinaire.

C’est la seule hypothèse où la requête d’un plaignant ne sera pas considérée comme irrecevable du fait qu’elle ne mentionne pas la réclamation préalable du bâtonnier exigée dans la procédure ordinaire.

Cependant, l’hypothèse d’une saisine directe de la juridiction disciplinaire par le procureur général ne pourra être selon nous qu’exceptionnelle pour ne pas dire très rarissime.

En effet, cette autorité ne disposera pas de tous les éléments nécessaires à une telle saisine, laquelle suppose que soient démontrés a minima que les faits dénoncés sont établis et que ceux-ci relèvent bien du champ disciplinaire.

Il convient de rappeler que le Il de l’article 21 de la loi n° 71_1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques confie au bâtonnier la compétence pour instruire toute réclamation et organiser la conciliation le cas échéant qui doit donc, au préalable, lui être adressée.

Sur ce point, il convient de relever que même si le procureur général est une autorité de poursuite à l’instar de l’autorité ordinale, il ne dispose cependant pas des mêmes prérogatives et moyens d’information et d’investigation que le bâtonnier, notamment par le déclenchement d’une éventuelle enquête déontologique que ce dernier peut déclencher à l’encontre du confrère incriminé. Une telle enquête permet d’être fixé sur les faits dénoncés dans une réclamation reçue et voir ainsi l’orientation à lui donner à partir d’éléments vérifiés préalablement.

Si le procureur général ne saisit pas la juridiction disciplinaire, ce qui sera le cas selon nous le plus probable en l’absence d’éléments suffisants justifiant une saisine directe de ladite juridiction, il doit aviser l’auteur de la réclamation de la possibilité pour lui de s’adresser directement au bâtonnier.

Le garde des Sceaux propose à cet effet aux procureurs généraux en annexe dans sa circulaire informative deux modèles de lettre de réponse à adresser aux personnes les saisissant directement de réclamations à l’encontre d’avocats.

 3.En quoi consiste exactement la nouvelle conciliation instituée ?

La conciliation connue déjà par les bâtonniers dans le règlement des différends entre avocats, est organisée au profit de l’auteur de la réclamation par les dispositions de l’article 186-3 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat.

Ce nouveau dispositif prévoit que dans un délai de trois mois à compter de la réception de la réclamation formulée à l’encontre d’un avocat, le bâtonnier peut organiser une conciliation entre les parties lorsque la nature de la réclamation le permet.

Attention, il n’existe pas un droit à la conciliation mais une simple option que l’autorité ordinale doit apprécier in concreto.

Dans sa circulaire informative, le garde des Sceaux énonce deux situations dans lesquelles l’affaire ne serait pas de nature à permettre l’organisation d’une conciliation :

*La première situation résulterait du fait que la mise en présence des parties en litige serait préjudiciable à l’une d’elles.

*La deuxième situation se justifierait lorsque les faits reprochés à l’avocat seraient d’une gravité telle que la saisine directe de la juridiction disciplinaire s’imposerait en tout état de cause.

Le bâtonnier doit convoquer les parties, par tout moyen, au moins dix jours avant la date de la séance de conciliation, sauf à ce que les parties aient consenti à un délai plus court.

La convocation adressée aux parties doit leur indiquer qu’elles peuvent être assistées d’un avocat.

La conciliation se déroule selon les modalités fixées par le bâtonnier, sous l’autorité de ce dernier ou d’un avocat délégué qui peut être en l’espèce un membre ou un ancien membre du conseil de l’ordre, un avocat honoraire qu’il délègue à cette mission.

Le délégué du bâtonnier peut être un membre de la juridiction disciplinaire à la condition qu’il ne siège pas ensuite dans les affaires dans lesquelles il est intervenu au stade de la conciliation. Nous préconisons fortement de notre côté d’éviter dans la mesure du possible que l’avocat  délégué à cette mission de conciliation soit par ailleurs membre du conseil régional de discipline.

En cas de conciliation, un procès-verbal doit être établi et signé respectivement par l’avocat mis en cause, l’auteur de la réclamation et le bâtonnier ou son délégué à la conciliation, un exemplaire dudit procès-verbal devant être remis à chacun des signataires.

En cas d’échec du processus conciliatoire, le bâtonnier ou son délégué doit attester l’absence de toute conciliation.

Il est précisé que les constatations et les déclarations recueillies au cours de la conciliation ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure ni, en tout état de cause, dans une quelconque autre procédure.

Le recours à la conciliation ne devrait, selon nous, être mis en œuvre par le bâtonnier que si la perspective d’un règlement amiable a des chances très sérieuses d’aboutir.

4. Quelles suites doivent être données à une réclamation et dans quel délai ?

C’est l’article 186-4 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat qui prévoit l’information à donner sur les suites consécutives à la réclamation formulée à l’encontre d’un avocat.

 Sauf signature du procès-verbal établi en cas de conciliation, le bâtonnier doit informer par tout moyen l’auteur de la réclamation des suites qu’il entend donner à celle-ci.

Le cas échéant, il lui doit lui faire connaître les raisons pour lesquelles il n’entend pas engager une procédure disciplinaire. Dans cette hypothèse, il doit préciser à l’auteur de la réclamation qu’il dispose de la possibilité d’en saisir le procureur général près la cour d’appel ou de saisir directement la juridiction disciplinaire, en lui indiquant, à cette fin, les adresses utiles.

Il est à relever que le décret ne fixe aucun délai dans lequel le bâtonnier doit informer l’auteur de la réclamation des suites qu’il entend y donner.

C’est selon nous un oubli fâcheux qui lèse le droit de l’auteur de la réclamation.

Dans sa circulaire informative, le garde des Sceaux précise que l’auteur de la réclamation serait donc libre de saisir directement la juridiction disciplinaire à l’issue du délai de trois mois pendant lesquels le bâtonnier a la faculté d’organiser une conciliation.

Nous ne partageons pas une telle interprétation qui ajoute au texte réglementaire, étant précisé qu’une circulaire ne peut être, par principe, qu’informative et en aucun cas pallier les insuffisances d’un texte normatif.

De plus, dans un certain nombre de réclamations reçues, le bâtonnier sera amené à recourir à des enquêtes déontologiques, lesquelles ne pourront pas être bouclées dans le délai de trois mois impartis pour statuer sur la conciliation.

Le bâtonnier ne pourra donc pas, même avec la meilleure volonté du monde, apporter une réponse circonstanciée à l’auteur d’une réclamation dans le même délai de trois mois retenu par le ministre de la justice dans sa circulaire par simple référence à celui indiqué par le décret en matière de conciliation.

Pourtant, un processus conciliatoire ne saurait être assimilé à un processus de traitement d’une réclamation de nature contentieuse et les délais ne sauraient être les mêmes, ne serait-ce parce que les moyens mis en œuvre par le bâtonnier saisi ne sont pas les mêmes et ne poursuivent pas les mêmes objectifs.

De plus, retenir par simple assimilation un délai non fixé par un texte disciplinaire serait de nature à poser des difficultés au regard du respect de principes qui sont de nature constitutionnelle et conventionnelle.

Il convient de rappeler sur ce point dans sa décision rendue le 17 février 1950, ministre de l’Agriculture c/ Dame Lamotte, le juge du Palais Royal a posé un principe général du droit selon lequel toute décision administrative doit être susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, même sans texte, destiné à s’assurer de la légalité dudit acte.

En tout état de cause, il appartenait au pouvoir réglementaire de fixer un délai maximal au bâtonnier pour statuer sur une réclamation formulée contre un avocat au terme duquel l’absence de réponse serait considérée comme une décision implicite de rejet permettant ainsi au plaignant de saisir directement la juridiction disciplinaire.

Faute d’avoir expressément et formellement mentionné un délai butoir de traitement des réclamations de nature contentieuse, le décret du 30 juin 2022 aboutit en réalité à vider de sens la portée de la réforme pourtant réalisée dans l’intérêt des auteurs de réclamations formées à l’égard d’avocats.

De plus, notamment le principe d’égalité et l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la règle de droit auraient dû amener le pouvoir réglementaire à fixer expressément un délai maximal imparti aux bâtonniers pour statuer sur les réclamations non susceptibles d’aboutir à une conciliation.

Pour notre part, nous estimons qu’un délai maximal fixé à six mois aurait été pertinent compte tenu des incidents pouvant se greffer sur la réclamation formée par un auteur à l’encontre d’un avocat, notamment avec l’ouverture par le bâtonnier dans un certain nombre de cas d’une enquête déontologique (pour plus de précisions sur cet outil mis à la disposition des bâtonniers voir notre article du 22 novembre sur ce sujet).

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